Pour une sécurité sociale de l'alimentation
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Pour une compréhension concise du projet, vous pouvez lire notre première tribune publiée dans Bastamag (février 2019). Une seconde tribune, publiée dans Reporterre le 18 mai 2020, présente le socle commun partagé avec le collectif de travail que nous avons lancé en novembre 2019 sur ce sujet.
Nous avons également détaillé l'histoire de la construction de ce projet dans un autre article sur notre site.
Pour une sécurité sociale de l'alimentation
Note de lecture : la version complète et étendue de ce projet, plus facile à lire est téléchargeable sur le volet en haut à droite de votre navigateur. Réécrit suivant l'avancée de nos réflexions depuis la première publication, cette version a été mise à jour le 10 mai 2020.
En France, la sécurité sociale de santé offrait aux citoyen•ne•s, dans sa construction initiale, l’accès à des soins médicaux, quels que soient leurs revenus. Pourquoi ? Parce que la santé est un bien commun et l’accès aux soins, un droit.
Si l'alimentation, notre première médecine, représente une part majeure des questions de santé, un bien commun et même un droit, une part encore trop importante de la population n’est pas en mesure de l’exercer. L’accès digne à une alimentation choisie est un droit, tout comme l’accès aux soins, ne devrait-il donc pas faire l’objet d’une politique spécifique ?
Choisir son alimentation, c’est avoir accès à des produits qui nous conviennent, c’est-à-dire dont on a pu décider de leurs modes de production tout en répondant à nos préférences alimentaires. Cela revient à penser l’organisation d’un système de démocratie alimentaire.
Créer une sécurité sociale de l'alimentation (SSA) dans cet objectif, est-ce possible ? A quelles conditions ? Comment une sécurité sociale de l'alimentation pourrait-elle offrir à toutes et tous l'accès à une alimentation choisie, de qualité, respectant l’environnement et les travailleur•euse•s ? Comment cet outil pourrait-il garantir le droit à l'alimentation, être la base d'une souveraineté alimentaire des peuples et de la transition nécessaire du système de production agro-alimentaire ? Pourquoi une SSA et pas une autre politique?
Le capitalisme mondialisé à la source des déséquilibres agricoles et alimentaires
Une agriculture au service du profit plutôt que de l’alimentation
De tout temps, l'alimentation a été un moyen pour les classes sociales dominantes d'asseoir leur pouvoir. Symboliquement, d'abord, les privations alimentaires et la mise en scène de repas opulents représentent une forme de domination sur le reste de la société[1]. Ensuite, matériellement, la faim a été (et est toujours !) une arme politique puissante voire une arme de guerre[2], comme en témoigne le combat des sociétés paysannes au cours des siècles pour pouvoir parfois simplement se nourrir.
Les avancées techniques (mécanisation, motorisation) et les connaissances agronomiques développées au cours du XXème siècle ont été accaparées par l'agro-industrie, au profit d’une économie libérale capitaliste et mondialisée. Les systèmes agricoles auxquels elle a donné naissance sont à l'origine de famines, de déplacements de populations et d'une dégradation de l'environnement et de la santé sans précédent. Cette agriculture capitaliste se révèle non seulement incapable de nourrir le monde, mais détruit au fur et à mesure les agricultures paysannes, celles-là même qui produisent 80 % de l'alimentation des pays non-industrialisés[3].
En France, les paysan·nes voient leur situation économique se dégrader. Un tiers des agriculteurs·trices touchait moins de 350 euros par mois en 2016[4] et 20% d’entre eux n’ont pas dégagé de revenu en 2017[5]. Cela s’explique notamment par la mainmise de l’agro-industrie sur l’ensemble de la chaîne agro-alimentaire : les paysan·nes ne touchent que 6,2%[6] du budget alimentaire payé à la distribution ! Les conditions du travail agricole ne sont plus attractives et le renouvellement des générations d'agriculteur·trices n’est plus assuré[7].
Des alternatives réservées à une partie de la population et des paysan·nes
Les résistances au système agro-industriel sont nombreuses et se traduisent par des actions concrètes : luttes contre le libre-échange ou encore le développement de circuits alternatifs de distribution. Ceux-ci prennent la forme du commerce équitable, des AMAP, des boutiques ou marchés de producteurs. Ils tentent ainsi de remettre l’alimentation au service des populations, des territoires et des conditions de travail des paysan·nes. Si les initiatives ne manquent pas, l’enjeu consiste désormais à les développer, les globaliser sans qu'elles ne soient récupérées au service du capital[8].
Avec ces alternatives à l'agro-industrie, se développe un système alimentaire à deux vitesses. D’un côté, une alimentation de qualité issue de modes de production, transformation et distribution alternatifs, accessible à ceux·lles qui en ont les moyens. De l’autre, des produits de mauvaise qualité dont les conséquences négatives sur l'environnement et la santé sont de plus en plus démontrées[9]. Les produits issus de la production massive sont les plus accessibles (au sens géographique, cognitif et économique) et les plus consommés par les populations en situation de précarité. Ces dernier.ières se voient même parfois contraint.es d’intégrer ces denrées à leur régime alimentaire puisque ce sont les aliments apportés par charité dans les circuits d’aide alimentaire. Cela dit, si l’accès économique à une alimentation de qualité choisie est primordial, il ne suffit pas : d’autres déterminants socio-culturels ou psychologiques entrent en jeu et participent au développement des malnutritions. En effet, pour des personnes à faible revenus ayant peu accès aux loisirs, l’alimentation (en particulier sucrée) est un plaisir à bas coût.
L’existence de modèles alimentaires alternatifs à l'agro-industrie représente un pas en avant, mais reste insuffisante. On ne peut se satisfaire des alternatives si elles s'accompagnent d'une situation « d’apartheid alimentaire » et ne transforment pas significativement le monde agricole.
L’alimentation, variable d’ajustement dans le budget des Français pour répondre à l’augmentation du coût de la vie.
En France, les populations en situation de précarité alimentaire sont en forte augmentation : le recours à l'aide alimentaire est passé de 2,8 millions de personnes ayant recours en 2008 à 5,5 millions en 2017[10]. Plus qu'un enjeu de santé, le pouvoir de choisir son alimentation, sans simplement recevoir ce dont les autres ne veulent pas, est une question de dignité. En France, grâce à la charité, plus personne ou presque ne meurt de faim. Mais si le droit à l’alimentation existe[11], il ne se résume pas au droit de recevoir des aliments. En effet, la possibilité de choisir son alimentation et de sentir qu’elle est un des vecteurs de lien social est essentielle. Un lien social mis à mal lorsqu'on se voit donner en juin les chocolats de Pâques invendus, dont plus personne ne veut. Par ailleurs, le problème ne concerne pas uniquement la quantité d'aliments / calories disponibles, mais aussi leur qualité[12]et la possibilité de les choisir.
S'il·elles ne recourent pas tou.tes à l'aide alimentaire, de nombreux ménages aux budgets alimentaires limités ne peuvent réellement choisir leur alimentation : ils dépendent d'une nourriture à de mauvaise qualité issue de l'agro-industrie. D'après l'étude INCA 3 portant sur des données de 2014-2015, 22 % des ménages avec enfants sont en situation d'insuffisance alimentaire[13]. Au cours des cinquante dernières années, la part de l'alimentation dans le budget des ménages français connaît une diminution constante. En parallèle, la part croissante des dépenses contraintes démontre bien l’impossibilité de ces derniers à allouer un pourcentage plus important de leur budget à l’alimentation. En effet, malgré l’établissement de monstres agro-alimentaires, l'agriculture ne présentant pas assez de possibilités de profits[14], le système capitaliste oriente la consommation vers des secteurs où les profits peuvent-être plus importants (logement, énergie, loisirs, etc.). La nourriture se doit d’être de moins en moins chère, ce qui engendre une diminution constante du prix payé au producteur ainsi qu’une diminution de la qualité des produits. Face aux dépenses contraintes (logement, transport…) qui augmentent plus vite que les salaires, les personnes avec un petit budget n’ont d'autres le choix que de supprimer ou d’appauvrir leurs repas, parfois dès la moitié du mois, pour s’en sortir[15].
Assurer les besoins vitaux, hors de toute marchandisation, est ainsi indispensable pour notre société.
Des circuits de consommation alternatifs insuffisants pour transformer la production agricole
Après une quinzaine d’années de fort développement, les circuits courts[16] sont aujourd’hui globalement de moins en moins rémunérateurs et de plus en plus chronophages pour les paysan·nes[17]. Dans certains endroits ces secteurs de marchés sont bouchés, même si dans d'autres ils restent encore à développer. Cela est lié notamment à un rééquilibrage global de l’offre et de la demande (augmentation de l’offre avec la demande qui stagne). De plus, les filières bios ne sont plus aussi rémunératrices qu’avant pour les paysan.nes[18].
Cela s’explique car le développement de ces alternatives a aujourd’hui atteint une échelle, tant sur le mode de production agricole que sur la commercialisation, qui les soumet aux attaques du système agro-industriel. Ce dernier a pris en main des parts importantes de certaines filières. Ce contrôle, partiel mais suffisant, permet de tirer les prix vers le bas.
D’autres solutions sont à envisager pour rémunérer décemment les paysan·nes qui s’engagent à produire autrement.
Des politiques qui accompagnent et renforcent ces dynamiques
Des politiques agricoles qui soutiennent l’industrialisation de l’agriculture ainsi que la précarisation et l’élimination des paysan·nes
La Politique agricole commune de l’Union Européenne (PAC) avait un objectif alimentaire à la sortie de la Seconde guerre mondiale, mais celui-ci a été oublié depuis longtemps ... Si cet objectif reste inscrit dans l’article 39 du traité de fonctionnement de l’UE, dans les faits, la PAC soutient aujourd’hui massivement les plus grosses fermes et/ou celles fournissant des produits de basse qualité, peu pourvoyeuses d’emplois, et ayant peu d'égards pour l’environnement. Les aides du premier pilier de la PAC sont distribuées sans justification sociale et environnementale. L’agriculture européenne est mise en compétition sur le marché mondial. L’essentiel des mécanismes permettant aux paysan.nes de se protéger et d’avoir un revenu ont a été abandonné. Les prix sont bas et très instables. La PAC n’est donc plus une politique publique d'intérêt général, elle est devenue en l’état indéfendable.[19]
Des politiques alimentaires inadaptées à assurer le droit à l’alimentation
Le droit à l’alimentation, qui apparaît dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948 et qui est précisé par le « Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels » ratifié par tous les pays dont la France, et normalement contraignant pour ses signataires, n'y est malheureusement pas appliqué. Ce droit, que Jean Ziegler[20] définit par le « droit de disposer d‘un accès régulier, permanent et libre, soit directement, soit au moyen d'achats monétaires, à une nourriture quantitativement et qualitativement adéquate et suffisante, correspondant aux traditions culturelles du peuple dont est issu le consommateur, et qui assure une vie psychique, physique, individuelle et collective, libre d'angoisse, satisfaisante et digne », n’a rien de constitutionnel, ni d’ancrage législatif en France[21], quand bien même la déclaration des droits de l’homme de 1948 est en préambule de la constitution.
Le contexte de violences alimentaires, défini dans la thèse de Bénédicte Bonzi[22], caractérise la situation actuelle pour les personnes en situation de précarité face à l’absence de la reconnaissance de ce droit. Il n’existe ainsi pas de politique d’accès à une alimentation de qualité à un niveau national. Des initiatives sont parfois mises en œuvre à des échelles locales, induisant une inégalité entre les territoires. Il faut alors espérer habiter un territoire qui se saisisse de ces enjeux.
Parallèlement à ces initiatives solidaires, les politiques alimentaires nationales ont longtemps tourné autour des enjeux d’éducation à la nutrition. Si d’un point de vue contenu, il y aurait beaucoup de choses à critiquer (influence de l’agro-industrie sur les recommandations, focale sur la nutrition calorique…), ce sont les méthodes qui retiennent notre attention ici. En effet, l’adoption d’un propos bien souvent bien souvent paternaliste envers les populations en surpoids, majoritairement précaires, les incitant à “bouger” et considérant que leur problème est de ne pas s’alimenter correctement. Ceci montre au mieux une mauvaise connaissance des problématiques liées au surpoids et aux pratiques alimentaires, au pire une manière de refuser de considérer les sources du problème (la qualité des produits vendus en grandes surface, précarité…), qui engageraient des actions plus coûteuses politiquement. D’autant plus que l’efficacité n’a pas toujours été au rendez-vous, renforçant d’autre part la stigmatisation de ces personnes. Sachant que la plupart, connaissent déjà les principes nutritionnels d’une alimentation équilibrée. Le problème se situe à d’autres niveaux comme nous l’avons vu précédemment, il ne peut donc être résolu sans politiques sociales adéquates.
Par exemple, la mise en scène d’une épidémie d’obésité qu’il serait urgent d’éradiquer par des programmes engageant ces personnes à changer leur comportement alimentaire par elles-mêmes n’a fait qu’empirer la situation[23]. En effet, il est vain de penser qu’une approche tournée uniquement vers la diététique se suffit pour prendre en charge l’obésité dont les déterminants touchent à plusieurs domaines (psychologique, social, nutritionnel, génétique…).
La politique phare portée par le ministère de l’Agriculture en matière d’alimentation est le dispositif de projets alimentaires territoriaux (PAT) menés par différents types de collectivités. Les moyens mis en œuvre, augmentés à 2 millions d’euros en 2019, sont minimes à côté des enjeux alimentaires auxquels les projets doivent faire face. Malgré certaines belles initiatives au niveau local, la politique nationale ne pense pas à l’égalité territoriale et laisse ainsi des territoires à l’abandon. Elle reste dans une dynamique incitative tout en ne donnant pas les moyens de mettre en place des projets ambitieux aux territoires qui le souhaitent. Cette politique est le reflet des inégalités territoriales existantes, les métropoles tirant plus facilement leur épingle du jeu grâce aux moyens internes dont elles disposent (budget, ingénierie de projet, recours à des experts et cabinets de conseil spécialisés, agents à temps plein…) quand de petites collectivités rurales ne peuvent embaucher qu’un seul stagiaire pour animer leur PAT. Et bien sûr, cela se déroule dans les territoires dont les élu·es sont motivé·es : tant pis pour les habitants de territoires moins dynamiques... Enfin, la question de l’accessibilité de l’alimentation est très peu abordée dans les différents PAT existants. Elle reste largement marquée par toutes les problématiques que nous soulevons sur l’aide alimentaire et sur les programmes d’éducation.
Le don alimentaire au renfort du système agro-industriel
Une politique nécessite que nous nous y intéresserons plus longuement : l’institutionnalisation de l’aide alimentaire, à l’opposé du recours d’urgence et immuable construit par Coluche en 85 via les Restos du coeur. En France, 95% de l'aide alimentaire provient de l'agro-industrie[24]. Le mécanisme du don alimentaire renforce le fonctionnement du système industriel qui, pour maximiser son profit, est en surproduction constante. Il produit donc des déchets parfaitement consommables. Les déductions fiscales liées aux dons alimentaires permettent de diminuer le coût de cette surproduction, c’est ainsi 443 millions d’euros par an[25] qui sont défiscalisés (cf Schéma 1, ci-dessous). Cela correspond à un tiers dubudget global annuel de l’aide alimentaire en France, estimé à 1,5 Milliards d’euros en 2017.Les deux tiers restants étant composés de subventions (dont les aides du fond européen d’aide aux plus démunis FEAD) et d’une estimation du travail bénévole[26]. Ce chiffre reste faible au regard de la valeur ajoutée produite par la filière[27], mais non négligeable. Ce mécanisme qui fait passer le système agro-industriel pour philanthrope et indispensable pour les populations les plus précaires est une vraie mascarade. Le don alimentaire participe à la rentabilité (c’est une assurance contre la perte via la défiscalisation des dons) et à la légitimité du système agro-industriel. Le tout produit des dispositifs d’accès à l’alimentation dont les produits distribués sont de mauvaise qualité et dont la production engendre elle-même de la précarité.
Le système de don alimentaire est souvent présenté comme une opportunité pour la lutte contre le gaspillage alimentaire[28]. Les personnes ayant recours à l’aide alimentaire sont ainsiconsidérées comme des « poubelles éthiques » permettant de faire du “social washing” ! Sortir d’une logique de dons alimentaires et lutter contre le gaspillage alimentaire ne sont pas incompatibles, au contraire. Cette sortie du don alimentaire par le haut est une urgence pour la mise en place d’un droit à l’alimentation et d’une réelle souveraineté alimentaire.
Conclusion : la nécessité de construire une démocratie alimentaire
Mettre en place un système agricole et alimentaire qui vise à répondre aux besoins et attentes des populations, et non à susciter du profit, assurer l’accès à une alimentation de qualité et choisie pour l’ensemble des citoyen.nes sont les deux ambitions qu’il est indispensable de lier pour construire les bases d’un système alimentaire durable. En d’autres termes, un système qui produit ce que les gens souhaitent manger en assurant qu’ils·elles aient accès à cette production pour assurer le droit à l’alimentation. Cet objectif doit aussi être articulé avec le droit à un revenu juste pour les travailleur·ses de l’alimentation : de la production jusqu’à la distribution, ainsi qu’à des conditions de travail qui leur convienne.
La question qui nous préoccupe est donc : comment permettre à toutes et tous d’avoir accès à une alimentation de qualité choisie, de qualité, respectant l’environnement et ses travailleurs·ses ?
La notion de démocratie alimentaire vise à embrasser ces deux ambitions et à rappeler le point de départ de la construction d’un système alimentaire durable : le travail démocratique. En effet, dans l’idée d’assurer le droit à l’alimentation, il est indispensable de penser que la production du système agro-alimentaire doit être décidée collectivement par les citoyen.nes. Ce droit est à opposer au “vote par le caddy” souvent prôné et qui revient à donner le pouvoir de décider l'alimentation aux seules personnes solvables, et ce, parmi les produits disponibles en rayon. Il réfute ainsi les logiques énoncées par le système agro-alimentaire industrialisé où le profit repose sur “les attentes des consommateur·trices”. Il est indispensable, de plus, d’assurer l’accès des personnes à ces produits, indépendamment des conditions socio-économiques. En effet, la notion de démocratie n’a de sens qu’à partir du moment où les personnes sont égales dans l’accès à ce qui sera décidé mais ont également un pouvoir de décision sur ce qui leur est proposé pour faire leurs choix.
Une sécurité sociale de l'alimentation : une idée simple basée sur des principes de fonctionnement déjà expérimentés
Si ces questions se posent sur toute la surface du globe, nous souhaitons proposer, pour le moment, une solution à l’échelle française. En effet, la préexistence d'un système similaire rend ce choix réaliste et pertinent. L’idée d’une sécurité sociale de l'alimentation est d’étendre le principe de sécurité sociale à l’accès à une alimentation de qualité et choisie pour toutes et tous.
Inspirons-nous de la sécurité sociale en France en apprenant de ses erreurs
Composante du programme du CNR (Conseil National de la Résistance), la sécurité sociale a été instituée par l’ordonnance du 4 octobre 1945. Ambroise Croizat, alors ministre communiste du travail utilisa ces mots, à l’Assemblé nationale, pour la présenter : « Désormais, nous mettrons fin à l’insécurité du lendemain, nous mettrons l’homme à l’abri du besoin, nous ferons de la retraite non plus l’antichambre de la mort mais une étape de la vie et nous ferons de la vie autre chose qu’une charge et un calvaire. » Ainsi, depuis sa mise en place, le taux de mortalité infantile est passé de 100/1000 à 30/1000. Les français.es ont gagné 20 ans d’espérance de vie de 1945 à nos jours[29].
Les grands principes fondateurs de cette sécurité sociale étaient :
1) l’unicité, une seule caisse regroupait l’ensemble des risques couverts (maladies, vieillesse et maternité) ;
2) l’universalité, tout le monde devait avoir l’accès aux soins ;
3) la démocratie, dans la gestion des caisses ;
4) la solidarité, chacun cotisant (cotisation à taux unique sur la valeur ajoutée des entreprises) selon ces moyens et reçoit selon ses besoins, nous ont inspiré dans notre proposition.
Mais ce système est perfectible et il semble important de souligner trois erreurs majeures dans sa mise en place et son développement à ne pas reproduire :
- Premièrement, la perte de la gestion démocratique de ces caisses qui ôte aux bénéficiaires le pouvoir de décision sur les produits/actes remboursables. A ses débuts en 1945, la gestion des caisses était réalisée par un collège composé à 75% par des représentants des syndicats de travailleurs et 25% par les représentants des syndicats du patronat. Dès 1958, l’Etat reprend une partie de la gestion des caisses puisque les directeurs ne sont plus élus mais nommés par les préfets. En 1967, on impose le paritarisme de la gestion des caisses, les syndicats des travailleurs n’ayant plus que 50% des sièges. Enfin, rares sont les français.es informé.es qu’ils pourraient avoir leur mot à dire dans la gestion de la sécurité sociale.
- Deuxièmement, l'absence de conventionnement sur les critères de production des médicaments. Si une partie des professionnel·les de santé sont conventionné.es et exempts de logiques capitalistes[30], l'absence de conventionnement sur les médicaments et les outils des professionnel.les a vu le libéralisme bannir l'herboristerie et faire place à des fortunes industrielles construites sur fonds publics[31]. Les savoirs médicaux populaires ont pratiquement disparu en France[32], laissant le choix entre une industrie pharmaceutique plus intéressée par les bénéfices financiers que par la santé et tout un ensemble de pratiques médicales dites “alternatives” parmi lesquelles il est difficile de savoir lesquelles peuvent avoir un bénéfice sanitaire.
- Troisièmement, le périmètre de la sécurité sociale de la santé n’a pas été conçu, ni mis en œuvre de manière totalement inclusive, notamment pour les étranger.ères. C’est pourquoi des mesures palliatives comme la Couverture maladie universelle (CMU) ou l’Aide médicale d’État (AME) pour les étranger.ères, ont été mise en œuvre par la suite. Elles sont néanmoins stigmatisantes et complexes et mènent à des non-recours. De plus, elles sont régulièrement attaquées et remise en cause.
Il nous semble important d’assurer le caractère démocratique et universel de ces caisses, de se baser sur le principe de la cotisation pour aller directement de la valeur économique produite au bénéficiaire sans aucune spéculation. De plus, cela assurerait un contrôle démocratique sur l’organisation économique de la production agro-alimentaire ainsi financée.
Ajoutons un budget alimentaire à la carte vitale...
Imaginons que 150€ de budget alimentaire soient distribués chaque mois à l’ensemble des individus (ou à leurs parents pour les mineur.es). Cet argent serait par exemple disponible sur la carte de sécurité sociale, chaque professionnel.le conventionné.e ayant reçu une machine pour encaisser les achats réalisés[33]. Cela représenterait un budget annuel d’environ 118 milliards d’euros[34], à augmenter des frais de fonctionnement[35]. Les 150 € ne couvrent pas l'intégralité des dépenses alimentaires de l’ensemble des habitant.e.s, mais représentent un budget supérieur au budget moyen des personnes en situation de précarité, permettant d’envisager une bien meilleure alimentation pour celles-ci, tout en leur laissant la liberté de se procurer des aliments non conventionnés. Ce budget pourrait être augmenté par la suite[36]. La question de pondérer ce montant selon le lieu de vie devrait être posée tant le prix de l’alimentation varie géographiquement.
Financé par une cotisation spécifique, juste et solidaire...
Il faut un budget global de 118 milliards d’euros pour verser 150 € par mois et par personne aux 65,5 millions de français[37]. Pour comparaison, la part de la consommation de soins et de bien médicaux remboursés par la sécurité sociale est de 136,3 milliards d’euros. Par ailleurs, le panier alimentaire moyen en France étant de 235 € par mois par habitant, le budget alimentaire total en France est de 184,9 milliards d’euros. Ainsi le mécanisme imaginé de SSA couvrirait 64 % des consommations alimentaires des Français (à modèle de consommation et prix constants), là où la sécurité sociale prend en charge 73 % de la consommation de soins et de bien médicaux. Attention cependant à garder en tête la forte hétérogénéité de la dépense alimentaire par personne selon le niveau de revenu. Les 150 € par mois représentent pour de nombreuses personnes bien plus que leurs dépenses réelles. A ce budget devra s’ajouter un budget de fonctionnement pour faire vivre la SSA en tant qu’institution. Aujourd’hui le coût de gestion du système de santé en France hors CMU est de 14,7 milliards d’euros. Ce coût de gestion dépasse la seule distribution des remboursements des frais de santé, intégrant par exemple la gestion de la prévention. Néanmoins, les témoignages des travailleur.euse.s des Caisses d’assurance maladie laissent penser que leur budget actuel ne permet pas un fonctionnement dans des conditions décentes de travail. De plus les mécanismes démocratiques de gestion des caisses de sécurité sociale de l’alimentation que nous appelons de nos vœux seront certainement plus coûteux que le fonctionnement actuel de l’assurance maladie, très centralisé et descendant. Mais, un tel système n’aurait pas à gérer de remboursement, les citoyens mangeurs n’ayant pas à avancer l’argent pour acquérir leur alimentation conventionnée. Ainsi le budget de fonctionnement des caisses de sécurité sociale de l’alimentation est encore à calculer.
L’analogie avec la sécurité sociale nous a menés sur l’idée historique[38] d’une cotisation. Cette option est cohérente avec notre volonté d’avoir des caisses de sécurité sociale gérées de manière démocratique, là où un financement par l’impôt risquerait d’induire une gestion centralisatrice par l’État. Une première option à étudier serait une cotisation supplémentaire qui serait prélevée sur le salaire ou revenu brut. Ceci impliquerait une baisse du salaire ou du revenu net, plus ou moins compensée par le versement de 150 € par mois à dépenser uniquement pour une alimentation conventionnée. A revenus mixtes[39] et salaires constants, ces 150 € représenteraient en moyenne[40] 12,6 % des revenus mixtes et salaires, là où la consommation de soins et de bien médicaux remboursés par la sécurité sociale représente 16,1 % des revenus mixtes et salaires. D’autres options pour récupérer cette cotisation, comme par exemple la coupler à une augmentation des salaires bruts - a minima pour les bas salaires - ou de baser aussi une partie de cette cotisation sur le profit des entreprises, sont à envisager. De plus l’association ATTAC a calculé une évasion fiscale à 160 milliards d’euros, l’argent peut se trouver de pas mal de manières différentes suivant les ambitions politiques que l’on se donne.
Pour que cette cotisation ne soit pas excluante, il nous semble important que chaque citoyen.ne cotise. Dans la mesure où les salaires n’évolueraient pas massivement à la hausse, la conséquence serait qu’une telle cotisation ne pourrait pas avoir un taux identique pour tou.te.s. Ce dernier devrait donc être progressif, contrairement aux cotisations sociales pour l’assurance maladie. Un taux unique impliquerait de bloquer une part trop insupportable pour le budget de celleux qui sont déjà les exclu.es alimentaires de notre société et irait à l’opposé de ce que nous cherchons à faire. Si les calculs restent à réaliser, la progressivité devrait être pensée pour qu’en dessous d’un certain seuil de revenu, la cotisation soit équivalente ou inférieure à la dépense alimentaire moyenne observée pour une personne ayant ce revenu. De plus, une cotisation sociale alimentaire progressive aurait l’avantage d’être redistributive dans une société où les inégalités se creusent. Enfin, ce taux progressif nous paraît préférable à l’idée d’exonérer de cotisation les moins aisé.e.s et les bas salaires. De telles exonérations pratiquées sur les cotisations sociales ces derniers temps ouvrent la voie au démantèlement du modèle social dit « à la française » faisant reposer de plus en plus le financement de la sécurité sociale sur l’impôt.
Une autre piste à explorer serait la modulation du taux de cotisation, non pas selon le niveau de revenu de chacun, mais selon la part plus ou moins importante du chiffre d’affaires que les entreprises consacrent e à la rémunération de leurs employé·e·s.
Dans la mesure où la rémunération du capital a cru bien plus que la rémunération du travail dans les dernières décennies[41], il paraît juste de penser ajouter l’équivalent d’une « part patronale » à la cotisation sociale alimentaire des salariés[42]. C’est-à-dire d’augmenter le salaire superbrut[43]. L’assiette des cotisations sociales en France étant le salaire brut. Cela reviendrait à faire supporter aux employeurs tout ou partie des 150 € versés par mois aux salariés[44] en pesant moins, voire pas du tout, sur le salaire net. Dans ce cas, un taux fixe de cotisation pourrait ne pas poser de problème aux personnes aux revenus les plus bas.
Au-delà d’un mécanisme de financement propre nécessité par la somme très importante que représente le budget de la SSA, il est possible d’imaginer de compléter ce financement par le public, c’est-à-dire par l’impôt, ou par transfert d’autres branches de la sécurité sociale, c’est-à-dire des cotisations déjà existantes. D’un côté, la liste des impôts légitimes supprimés ou dont une grande partie des plus riches se retrouve exonérée s’est allongées ces dernières années. La transformation de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) en impôt sur la fortune immobilière (IFI) représente un manque à gagner de 32 milliards d’euros pour le budget de l’État en 2018 et la mise en œuvre du Crédit d’impôt pour la compétitivité des entreprises (CICE), un manque à gagner de 21 milliards d’euros en 2018. Et l’évasion fiscale représente selon les estimations entre 50 et 200 milliards d’euros par an[45]. S’ils étaient récupérés, ils donneraient une bonne marge de manœuvre à l’État pour mettre en œuvre des politiques sociales et environnementales, dont la SSA. De l’autre, la mise en œuvre de la SSA devrait s’accompagner d’une meilleure santé et faire baisser les frais de l’assurance maladie.
Permettant d’acheter des produits conventionnés auprès de professionnel.les conventionné.es...
Cet argent pourrait être dépensé uniquement auprès de professionnel.le.s de l’agriculture et de l’alimentation conventionnés, y compris en restauration hors domicile, par des caisses de sécurité sociale de l'alimentation (SSA). Plusieurs caisses seraient présentes à l’échelle d’un canton pour représenter environ 15 à 20 000 personnes par caisse, ce afin de rester au plus proche du contexte agricole et alimentaire local. Plusieurs critères nous semblent indispensables à imposer dans le cadre national :
- Les prix des produits nationaux conventionnés seront décidés avec les caisses, au regard du coût de revient des produits pour assurer un revenu juste et décent aux travailleur.se.s tout le long de la filière de production.
- Les prix des produits internationaux conventionnés seront décidés de la même. Mais s’ils entrent en concurrence avec des productions possibles nationalement, ils devront être soumis au mécanisme des « prix minimum d’entrée » développé par la Confédération paysanne[46], afin d’éviter tout dumping social ou écologique et d’inciter à du mieux disant social et écologique dans l’ensemble des paysanneries du monde.
- Les entreprises « capitalistes », rémunérant au dessus de l’inflation un capital investi par des personnes ne travaillant pas directement dans l’entreprise, seront exclues[47]. En effet, la possibilité du profit privé, a fortiori dans une économie capitaliste, fait peser un risque trop important que tout autre objectif de l’entreprise devienne secondaire[48]. Cela s’opposerait alors à la définition démocratique des objectifs de production alimentaires par les caisses.
- Pour être conventionnés, les professionnel.le.s devront se fournir auprès d'entreprises elles-mêmes conventionnées (achats de l’ensemble des intrants, semences) à des prix qui permettent aux fournisseur.euse.s de vivre correctement (contractualisation sur le long terme, prix rémunérateurs, sur les principes du commerce équitable).
- Les critères de production liés à des enjeux nationaux ou supra-nationaux (par exemple le climat ou la biodiversité) seront à négocier au niveau national entre une fédération des caisses et l'Etat. C’est aussi le cas pour les produits conventionnés qui seront importés (par exemple les agrumes), et dont les cahiers des charges d’importation pourraient généraliser les exigences du commerce équitable.
Ainsi, l’ensemble de la production et de la transformation serait exempt du profit capitaliste, ce qui nous paraît légitime pour de l’argent socialisé pour l’alimentation de tous et toutes. C’est une différence majeure avec le modèle actuel de la sécurité sociale qui souffre de son rapport à l’industrie pharmaceutique, laquelle s’enrichit démesurément sur la santé, et une proximité avec l’interdiction d’apport de capital extérieur qui régit le travail de l’ensemble du corps médical libéral, duquel pourra se rapprocher l’ensemble du monde paysan. De plus, l'expérience nous a montré l’impact néfaste du lobbying des grandes firmes de l’agro-alimentaires et de la distribution sur nos systèmes alimentaire et nous devons donc pour espérer une démocratie qui fonctionne, nous préserver d’entreprises ayant un pouvoir démesuré.
Deux types de conventionnement sont envisageables :
- Lorsque les producteur·trices sont maîtres des filières (vente directe, coopérative de transformation, magasins de producteurs), à condition de respecter les règles de production qui seront établies, ces producteur·trices pourront être conventionné·es pour l’ensemble de leur production. Comme le développe Réseau salariat[49], à partir de ce moment-là, l’instauration d’une sécurité de l’emploi par le versement du salaire pour ces personnes via la caisse indépendamment de la production sera un pas en avant permettant de s’émanciper du rôle des assurances privées en agriculture, acteur de la récupération capitaliste sur le système agro-alimentaire. Cela revient à généraliser le fonctionnement initial des AMAP, dans lesquelles le salaire nécessaire pour rémunérer le travail annuel des paysan·nes est divisé par le nombre de paniers vendus, indépendamment de la production réalisée.
- Dans le cas de produits revendus par des tiers, les produits conventionnés devront respecter les critères ainsi qu’un engagement pluriannuel des commerçants sur les volumes (le prix étant déjà assuré par le conventionnement avec la caisse), sur le principe du commerce équitable. Si ce dernier n'est pas parfait, il démontre qu'il est possible de mettre en œuvre une traçabilité sociale et environnementale dans les filières agro-alimentaires. Un tel projet serait compatible avec le projet d'évolution de la Politique Agricole Commune en Politique Alimentaire et Agricole Commune pour 2030 portée par la Plateforme Pour une Autre PAC[50]. D’ailleurs les caisses de SSA pourraient être en relation, voire fusionnées, avec les instances démocratiques et décentralisées d’orientation agricole prônées par la Plateforme dans son rapport “Osons une autre PAC”[51].
Le conventionnement des acteurs intermédiaires des filières serait en premier lieu un engagement de traçabilité absolue de l'origine des produits (comme dans l'agriculture biologique et/ ou le commerce équitable labellisé par « tierce-partie »). Il devrait ensuite évoluer vers des critères plus exigeants.
… Et régies par un fonctionnement démocratique
Avoir le choix de son alimentation, ce n'est pas seulement choisir dans le rayon, mais aussi pouvoir choisir les conditions de production à remplir pour que les produits se trouvent dans les rayons. Ces caisses veilleront à établir un fonctionnement démocratique inclusif[52] permettant aux habitants des territoires de décider des conditions à respecter pour être éligible (critères locaux et généraux nationaux). Les caisses devront veiller à ce que l’ensemble des produits conventionnés répondent aux besoins de minorités ou d’individus aux préférences alimentaires spécifiques (sans porc, végétarien, allergies, etc.).
Avec ce mécanisme, on concilie ainsi marché (libre choix du producteur par l'usager) et maîtrise de la production par les travailleurs·ses et les mangeurs·ses via les caisses de sécurité sociale de l'alimentation. Ces produits seraient disponibles à travers les mêmes circuits de distribution que ceux non conventionnés et pourraient d’ailleurs être achetés sans la carte de sécurité sociale, en euros (au même prix hors SSA à qualité équivalente). La question du conventionnement des cantines scolaires sera primordiale pour l’éducation, le développement des goûts et la santé des jeunes générations.
Une réponse possible aux enjeux agricoles et alimentaires actuels
Le choix : indissociable du droit à l’alimentation
Avec ce projet de sécurité sociale de l'alimentation, les personnes en situation de précarité alimentaire sont reconnues dans leurs besoins fondamentaux. Elles ont accès à une alimentation désirée qu’elles peuvent choisir, elles peuvent faire corps avec le reste de la société. En effet, à l’échelle individuelle, ces personnes ont le choix des différent·e·s professionnel·le·s auprès desquel·les elles peuvent se fournir pour choisir leur alimentation, et le choix des produits. Mais elles sont également pleinement reconnues comme citoyen·ne·s à même de décider quels seront ces lieux et quelles conditions ils doivent remplir ; elles pourront ainsi, comme tous les autres, décider du fonctionnement des systèmes alimentaires qui les nourrissent et qui dessinent les paysages qui les entourent, et ce, de la même façon que pour l’ensemble de la société.
Assurer qu’un budget minimal par Français soit consacré à la consommation alimentaire est une façon de lutter contre la dynamique dans laquelle l’alimentation est la variable d’ajustement dans le budget, et de supprimer les effets sociaux et environnementaux néfastes qui en découlent.
La fin d’un libéralisme qui offre un choix restreint et illusoire aux mangeurs·euses
Le libéralisme nous offre l’impression d’un choix, mais ce choix ne s'opère qu’entre ce qui est proposé à la vente, donc déjà produit et transformé. Le fonctionnement de caisses de sécurité sociale de l'alimentation nous permettrait, par les critères qui peuvent inclure des démarches progressives de changement, d’orienter la production agricole et la transformation, voire même la distribution et la restauration. Cela permettrait d’exercer ainsi réellement une démocratie alimentaire, un fonctionnement démocratique sur le secteur économique de l’agriculture et de l’alimentation. Rapprocher agriculture et alimentation, dire que l’agriculture doit répondre à une demande sociale, c’est s’attaquer au cœur du libéralisme qui souhaite que l’on produise simplement pour maximiser le profit sans autre contrainte. C’est refaire de l’économie agricole un facteur de lien social. C’est une réelle politique de la demande au service de la société.
Une disparition progressive du système agro-industriel au profit d’une alimentation de qualité et d’une agriculture paysanne.
En fournissant à l’ensemble de la société la possibilité de choisir une alimentation de qualité, les débouchés du système agro-industriel devraient être fortement diminués. En effet, le cadrage national du processus de conventionnement permettra d’éviter que ces produits industriels ne se retrouvent conventionnés. De plus, les délibérations démocratiques de la population sur le choix des professionnel·le·s conventionné·e·s sera l’occasion d’échanges et de formations. Par exemple, le Conseil National de l’Alimentation a produit deux avis en peu de temps, l’un sur une alimentation bonne pour la santé, l’autre sur une alimentation bonne pour le climat. Or, les recommandations alimentaires de ces deux avis convergent fortement. Il y a fort à penser qu'ils entraîneront une remise en cause plus forte de la consommation de produits du système agro-alimentaire.
Enfin, le don alimentaire serait réduit aux situations d’urgences, pour lesquelles la collecte de produits de qualité serait tout à fait envisageable[53]; ce serait un débouché non négligeable du système agro-industriel qui s’effriterait.
Une rémunération plus juste des paysan·nes
Rendre toute la population solvable pour des produits de qualité, c’est se donner les moyens de sortir des impasses dans lesquelles le monde économique enferme les initiatives d’alimentation de qualité. C’est également se donner la possibilité de sortir ces initiatives de niches économiques, de les globaliser et de mieux rémunérer les paysan·nes. Les produits conventionnés seront peut-être plus chers, mais tout le monde aura les moyens de se les payer !
Imposer dans les règles de conventionnement l’établissement de contrats équitables entre le maillon de la production, celui de la transformation et de la distribution (prix rémunérateurs, engagement sur le long terme) assure aux paysan·nes, même en circuits longs, d’avoir une reconnaissance financière et sociale de leur travail.
Une mise en lumière des initiatives qui tendent à une démocratie alimentaire
Il n’est pas possible de dire que les initiatives qui s’occupent aujourd’hui de construire une démocratie alimentaire, un accès de tous à une alimentation de qualité, sont « nombreuses ». Mais elles existent. Qu’elles partent de mouvements agricoles ou alimentaires, types AMAP, qui cherchent à généraliser l’accès de leurs produits à des personnes à faibles budgets, ou de bénévoles de structures d’aide alimentaire qui cherchent à approvisionner et faire fonctionner différemment leurs structures.
Faire vivre ce projet de sécurité sociale de l’alimentation, c’est se donner l’objectif de mettre en avant et de généraliser ce type d’initiatives, bien plus à même de répondre aux enjeux agricoles et alimentaires que les injonctions à la “consom’action” ou les discours des grandes surfaces promettant « une agriculture bio accessible à tous ». C’est lutter contre l’idée que la responsabilisation individuelle par l’éducation serait suffisante pour répondre aux enjeux agricoles et alimentaires, quand bien même elle est nécessaire.
Le projet Panier dans les Hauts de France[54], le projet de paniers solidaires de l’association Optim’ism à Lorient[55], les structures qui ont participé au projet Accessible du réseau Civam[56], le réseau Vrac[57] développé en premier en région lyonnaise… sont autant d’initiatives qu’il s’agit pour nous de mettre en avant par rapport à leur prise en compte de l’enjeu de démocratie alimentaire. Sans oublier les démarches de supermarchés coopératifs, qui, s’ils ont bien souvent pour seule réponse à la question du coût celle du travail des adhérents (pas de mécanisme de solidarité), sont des déjà-là très intéressants pour ce qui concerne la question des produits conventionnés qui se retrouvent sur leurs étals.
Une multitude de questions reste à creuser
Comment déterminer le montant du budget par personne ?
150 € par mois est un montant qui permet, à partir de l’achat de produits bruts de qualité, de correctement se nourrir.
Ce montant a vocation à être augmenté à l’avenir, afin d’atteindre la dépense moyenne des Français dédiée à l’alimentation (pour mémoire, 235 euros). Cependant, un montant trop élevé dès le départ nous semble difficile à maîtriser pour penser la transition du système de production agricole et alimentaire. Afin de faciliter cette transition, il est également possible d’envisager que ces caisses demandent une cotisation supplémentaire pour, par exemple, financer des moyens de production ou de transformation nécessaires pour la relocalisation de productions sur le territoire. L'ensemble des moyens de production actuels du système agro-industriel doivent trouver une autre voie de production, tout comme ses travailleur·euse·s. On peut imaginer que si les 150 € ne sont pas dépensés par tout le monde, cet argent pourra aussi être réinvesti pour le financement de ces transitions, avec une propriété commune des moyens de production. Cela peut être un levier pour des ouvriers qui souhaitent quitter leur entreprise et monter une SCOP ou une SCIC[58] à plus petite échelle pour fournir le territoire, mais qui n’ont pas le capital nécessaire pour lancer la production.
Comment prévoir une éducation populaire alimentaire, individuelle et collective ?
La sécurité sociale de l’alimentation est une mesure dont l’objet est d’atténuer fortement le frein économique à une bonne alimentation. En effet, le prix est très fréquemment cité dans les enquêtes comme la principale barrière à l’achat de certains aliments, comme les fruits et légumes, ou encore les produits bios et équitables.
Néanmoins, la sécurité sociale de l'alimentation, bien que nécessaire, ne pourra répondre seule à l’ensemble des problèmes sanitaires, sociaux et écologiques liés à l’alimentation, tant les déterminants alimentaires sont multiples[59]. Ainsi, afin d’instaurer une démocratie alimentaire, il est également important que l’information disponible permette à chacun.es de faire ses choix en connaissance de cause. , il sera nécessaire de poursuivre et d’investir de l’argent public[60] dans des programmes d’éducation collective, de compréhension des différents enjeux alimentaires. Et ceci sans se limiter à la question nutritionnelle, mais en permettant la compréhension des différents modes de production ou encore les impacts des produits transformés et raffinés sur notre organisme. Cet accès à l’information alimentaire devra se décider collectivement en demandant également aux personnes ce qu’elles aimeraient connaître de leur alimentation. Un accès individuel à des professionnels·les de santé (nutritionnistes, diététiciens·nes, psychologues, préparateur·rice·s physiques, assistant·es sociales, etc) spécialisé.e.s sur les questions alimentaires devra être rendu possible gratuitement pour tous et toutes. Des professionnels connaissant les spécificités des différentes populations, en ne se limitant pas aux questions nutritionnelles, mais également sociales et psychologiques. Ceci afin de sortir des injonctions stigmatisantes traditionnelles au “manger, bouger” là où d’autres types d’accompagnements pluri-disciplinaires ont démontrés une meilleure efficacité[61]. Ceci permettra aux gens de mieux prendre en main leur alimentation sans toutefois stigmatiser certaines populations.
La possibilité de réglementer voire d’interdire la publicité sur les produits alimentaires devra être posée. Il s’agit de ne pas se retrouver en concurrence avec la puissance d’un marketing allant contre l’intérêt général. L’idée d’emballages neutres pourrait également être envisagée comme cela a été fait pour le tabac.
De plus, des actions collectives d’éducation populaire visant à une meilleure maîtrise par la population des enjeux agricoles et alimentaires seront également nécessaires. Il pourrait s’agir par exemple de proposer des temps de formation sur les sujets que les caisses de sécurité sociale demanderont afin de prendre leurs décisions en connaissance de cause. Ceci pour s’informer notamment sur les méthodes de production ou de transformation qui sont reconnues néfastes pour l’environnement ou la santé.
Tous ces programmes et actions devront être régulièrement évalués afin d’en améliorer le contenu. Néanmoins, l’influence des systèmes alimentaires actuels sur les comportements alimentaires des individus est si importante qu’il est probable que des modifications des comportements alimentaires prennent du temps. D’autant que certains freins, comme la discrimination envers les personnes en situation d’obésité, ne seront levés que par un changement plus profond de la société et des pratiques médicales.
Enfin, au-delà de toute politique d’accès à une alimentation de choisie et de toute éducation populaire pour se l’approprier, nous avons conscience qu’une égalité alimentaire ne pourra être effective que dans le cadre d’une société beaucoup plus égalitaire dans son intégralité[62].
Comment anticiper les réorganisations importantes dans un secteur économique majeur ?
La mise en place d’une sécurité sociale de l’alimentation induira une réorganisation en profondeur des filières avec des résistances qui seront fortes et des conséquences multiples. Par exemple, cela pourrait provoquer un aménagement du territoire très différent avec une réallocation des surfaces aujourd’hui dévolues à la distribution, la logistique et la transformation. Ces possibles changements nécessitent de collaborer avec les organismes actuels de développements agricoles (Safer, Chambres d’agriculture…), dont les statuts et le fonctionnement démocratique devront certainement être revisités, pour structurer le secteur productif agricole et alimentaire en fonction de la demande élaborée démocratiquement. Des mesures progressives de transition sont peut-être à envisager. La mise en œuvre des critères de conventionnement pourrait être progressive et la structuration des filières soutenue publiquement. Cette transition serait attentive à proposer de nouveaux postes en cas de licenciement pour baisse d’activité dans certaines industries alimentaires.
Il nous semble préférable de partir tout de suite sur un montant convenable de 150€ en faisant des compromis temporaires sur les critères pour les produits à introduire, que de partir avec un montant plus faible qui couvrirait l’ensemble de la production conventionnée respectant l’ensemble des critères, mais ne suffirait pas à se nourrir correctement. L’appropriation sociale du mécanisme, la réponse à l’urgence et la confiance dans le processus collectif pour penser une transition du système agro-industriel nous font privilégier cette option.
Comment prendre en compte l'impact environnemental des produits alimentaires ?
Les impacts environnementaux des produits alimentaires seront discutés comme critères de conventionnement dans les caisses. Ils pourront également, comme tout autre sujet, être porté au niveau national afin de s’étendre à l’ensemble des produits conventionnés. Les industries agro-alimentaires ayant aujourd’hui des impacts catastrophiques sur l’environnement, couper un des piliers de la rentabilité du système agro-industriel laisse penser qu’on ne fera pas pire avec une décision démocratique ! Au vu des préoccupations citoyennes actuelles, il y a fort à parier que nous irions vers une meilleure prise en compte des enjeux environnementaux.. De la même façon que les caisses de solidarité sociale alimentaire ne pourront conventionner avec des entreprises capitalistes qui captent la valeur. Il est dans tous les cas primordial d’accompagner la transition du monde agricole en fonction des contextes et des enjeux environnementaux locaux afin qu’ils ne subissent pas des changements de directives brusques.
Lutter contre le profit privé, n’est-ce pas aussi se passer des banques ?
Les mécanismes d’endettement en agriculture, secteur où d’importants investissements sont nécessaires pour pouvoir produire, questionnent profondément la recherche d’un fonctionnement démocratique. Quelle liberté pour un acteur dont la plupart des moyens de production sont possédés par une banque ? L’absence de profits privés que nous souhaitons de par ce système doit s’étendre à la logique de remboursement d’emprunts, structure actuelle de récupération de la valeur ajoutée du travail des paysans par des structures capitalistes.
Deux outils sont à mobilisés pour cela. D’une part, les subventions publiques et notamment le budget de la PAC, de 10 milliards d’euros bon an mal an pour la France, doivent subventionner les investissements nécessaires à la transition du capital productif agricole. Les structures ainsi financées ne doivent pas être l’objet d’une propriété d’abusus de la part des propriétaires d’usage, comme le permettent notamment les statuts de l’économie sociale et solidaire ou les logiques de propriété collective des moyens de production agricole. D’autre part, augmenter l’argent disponible dans les caisses en augmentant le taux de cotisation pour récupérer ce qu’il manque est également à envisager, pour penser la propriété collective des outils de production sans recours à des mécanismes de crédit, et laisser la propriété d’usage des outils de production aux travailleur.se.s, libres d’organiser leur travail pour répondre à la demande et aux critères de production établis démocratiquement.
Quelles sont les premières étapes à mettre en place pour réaliser ce projet ?
La première étape est de diffuser largement la pertinence de dépasser les enjeux agricoles et alimentaires par le projet de démocratie alimentaire, tel que défini dans les constats. En cela, travailler sur le projet de sécurité sociale de l’alimentation permet de concrétiser cette notion et participe à sa diffusion. Une réappropriation de l’histoire et du fonctionnement de la sécurité sociale par le plus grand nombre est aussi une étape particulièrement intéressante et importante pour envisager et convaincre de la nécessité d’une autre branche. Aussi, elle nous permet d’apprendre des erreurs et de son évolution pour construire un projet résilient.
Ensuite, la sécurité sociale de santé a été construite en fusionnant plusieurs systèmes de sécurité sociale qui lui préexistaient. De la même manière, une des conditions pour qu’un projet de généralisation de l’accès de tous et toutes à une alimentation de qualité et choisie voit le jour nous paraît être que la réalisation du droit à l’alimentation soit déjà effective sur des parties du territoire, avec des citoyen.ne.s mobilisés et conscients des enjeux, qui font vivre l’utopie. Ainsi, la mise en lumière et l’essaimage des initiatives existantes est à la fois un objectif de notre action et une condition indispensable à sa réalisation totale. Elle participe pleinement à la nécessité de partager l’urgence de la mise en place d’une démocratie alimentaire.
La seconde condition pour que le projet de sécurité sociale de l’alimentation voit le jour est qu’il soit correctement défini. Tel Ambroise Croizat, ministre communiste du travail qui a mis en place la sécurité sociale de santé en 1945, nous pensons qu’il faut se tenir prêt, avec un projet politique défini, si une opportunité politique s’ouvre pour le mettre en place. Continuer de définir ce projet, le confronter au réel, modéliser des scénarios de fonctionnement, nous apparaît donc également nécessaire.
L’expérimentation est-elle indispensable ? Déjà citées ci-dessus, de nombreuses initiatives permettent aujourd’hui de s’appuyer sur leurs expériences pour penser l’organisation d’une sécurité sociale de l’alimentation : l’existant est déjà là. Expérimenter la mise en place concrète du système sur différents territoires ne pourra être une expérimentation de la sécurité sociale de l’alimentation en tant que telle. Nous pouvons expérimenter en revanche des formes de démocratie alimentaire.
Un projet à articuler avec les luttes et mouvements sociaux actuels
Pourquoi l’association ISF-Agrista s'intéresse-t-elle à une sécurité sociale de l’alimentation ?
Le groupe thématique Agricultures et Souveraineté Alimentaire d'Ingénieur·e·s sans frontières (ISF) regroupe des citoyen·ne·s œuvrant pour la réalisation de la souveraineté alimentaire et des modèles agricoles respectueux des équilibres socio-territoriaux et écologiques. Il se place dans une perspective de transformation sociale[63]. Pour la plupart, nous sommes des travailleurs de différents domaines liés aux enjeux pour lesquels nous militons : éleveurs, salariés d’associations agricoles et environnementales, de réseaux paysans, recherche, fonctionnaires territoriaux, chômeurs…
Nous sommes convaincus qu’au regard des constats exposés, seul un projet de démocratie alimentaire pourra répondre aux enjeux. A partir de là, le projet de sécurité sociale de l’alimentation nous paraît aujourd’hui le plus pertinent pour permettre la réalisation de ce projet politique et nous souhaitons, par notre travail, alimenter les débats sur ces questions et ouvrir le champ des possibles.
Doter le monde des alternatives agricoles et alimentaires d’un projet de généralisation de leurs actions est un peu fou, et si nos réponses ne sont pas forcément les bonnes, nous sommes convaincu.e.s de la pertinence d’ouvrir ce débat !
Y’aurait pas plus simple ?
Pourquoi ne pas simplement tabler sur une augmentation des minimas sociaux ou du SMIC pour permettre l’accès de tous et toutes à une alimentation de qualité ?
Même si ces augmentations nous semblent indispensables, ce type de proposition ne nous semble pas recouvrir l’ensemble des enjeux alimentaires :
- Premièrement, la société de consommation et le développement du système industriel ont cherché depuis des années à réduire la part de l’alimentation dans le budget des Français pour leur permettre de consommer d’autres produits. L’alimentation est toujours une dépense “d’ajustement” pour les personnes avec de faibles revenus. Avec plus de pouvoir d’achat d'un côté, mais des inégalités persistantes, et la pression de la société de consommation qui impose un niveau de dépense contraints pour être intégré (Hausse des loyers, obsolescence programmée et course à la technologie qui exclut ceux qui ne consomment pas…), l’alimentation restera la variable d’ajustement pour gérer le budget. D’ailleurs, ceci est visible lorsque les aides au logement se mettent en place : les loyers augmentent et l’aide se retrouve accaparé par ceux qui n’en étaient pas les destinataires... Sanctuariser un budget alimentaire pour l'ensemble de la population, tout en la rendant solvable pour ces dépenses, est selon nous le seul moyen pour assurer que la population puisse réellement choisir son alimentation.
- Secondement, ce type de solution reviendrait à se baser uniquement sur l’échelle individuelle pour réaliser la transition alimentaire nécessaire. Or, l’alimentation a une fonction sociale certaine. Les discussions collectives que nous proposons dans le projet de SSA nous semblent indispensables pour que chacun·e s’approprie les enjeux de souveraineté alimentaire et que les besoins de la population soient définis collectivement. En effet, la libre concurrence ne donne que très peu de place à la production d'aliments de qualité dont la production coûte plus cher et où les travailleur·euses sont payés correctement. La SSA répond au besoin du développement de ce type de productions en lui ouvrant un marché par des mangeur·euses qui auront les moyens de se procurer leurs produits. Augmenter simplement les revenus, c'est traiter la question de l'alimentation sans se donner les moyens de déconstruire collectivement le rapport à la production agricole, ce qui revient à laisser les enjeux du revenu des agriculteurs au bon vouloir de la responsabilité individuelle des consommateurs. AU contraire, la proposition de la SSA participe à faire de l'alimentation un Commun (voir ci-dessous).
Pourquoi ne pas simplement proposer que l’alimentation soit gratuite ?
Le projet de sécurité sociale de l'alimentation vise une garantie à toutes et tous de l’accès à une alimentation de qualité, sans frugalité ni excès. En cela, elle se rapproche idéologiquement de l’idée d’une alimentation gratuite aujourd’hui défendue par exemple par le politologue Paul Ariès[64].
Mais si nous préférons parler d’alimentation “socialisée”, c’est parce que l’exemple de la sécurité sociale, dans le contrôle démocratique de la production du soin qu’il a produit dans l’après-guerre , nous semble particulièrement pertinent pour penser le projet de souveraineté alimentaire et l'émancipation des travailleur·euses paysan·nes des impératifs d’un marché au service du profit plutôt que de l’alimentation. Rendre l’alimentation gratuite, sur le principe de l’accès à l’école, ne permet de questionner ni le contrôle démocratique de la production et le caractère choisi de l'alimentation, ni le financement du système qui a un coût, ni celle de la rémunération du travail des paysans. Une situation dans laquelle des agriculteur·trices ne peuvent conventionner qu’avec un seul acheteur (l’Etat) est beaucoup plus précaire et moins résiliente que la possibilité de conventionner avec différentes caisses de sécurité sociale de l'alimentation. Enfin, l’alimentation n’est pas un bien d’abondance, contrairement au savoir, ce qui limite, pour des raisons de gaspillage et de non-accaparement / surconsommation, l’intérêt de la rendre gratuite.
Pourquoi ne pas simplement donner une allocation nourriture aux plus pauvres ?
Les travaux sur la lutte contre la pauvreté montrent l’échec des politiques qui visent spécifiquement une partie de la population[65] : stigmatisantes, souvent porteuses de violences symboliques... Et le domaine de l’alimentation n’y échappe pas. Ces politiques ne sont souvent qu’une forme de charité organisée pour les personnes qui en ont besoin.
A l’inverse, l’état de droit social permet d’échapper aux dérives de politiques « pour les pauvres », en assurant des mécanismes qui couvrent les droits pour tous. L’universalité du système de la sécurité sociale de santé tient toujours et ce système est juste : les plus hauts salaires cotisent plus pour un droit équivalent.
Pourquoi un projet de sécurité sociale de l’alimentation alors qu’on pourrait imaginer un salaire à vie, ou au moins un salaire paysan à vie ?
Les travaux de Bernard Friot et du Réseau Salariat, qui discute et diffuse ses thèses, ont remis au goût du jour la défense de la cotisation sociale comme projet de société émancipateur. Cela a grandement nourri les réflexions qui ont abouti à la proposition de SSA par ISF-Agrista. D’ailleurs, des membres de RS ont été et sont encore nos interlocuteurs au sein d’un collectif de travail. Néanmoins, la proposition de SSA et la proposition de salaire à vie ne visent pas le même objectif et ne s’épuisent pas l’une ou l’autre : l’une peut être mise en œuvre sans la seconde, même si elles partagent un certain nombre de présupposés politique et s’appuient sur l’idée de cotisation sociale.
La SSA vise à la mise en œuvre d’une démocratie alimentaire et notamment à lutter contre la stigmatisation et l’exclusion des populations pauvres à une alimentation choisie, tout en répondant à l’urgence d’une transition agricole et alimentaire sanitaire, écologique et sociale. Dans ce cadre, le projet de SSA que nous défendons à ISF-Agrista accepte d’envisager des options de financement qui ne remettent pas directement en cause la répartition de la valeur entre capital et travail. Enfin, nous considérons difficile et restrictif de conditionner temporellement l’accès à une alimentation de qualité à tou·te·s à la mise en place du salaire à vie.
Le salaire à vie se base par contre sur la socialisation totale de la valeur produite. Elle vise à donner un statut de producteur à tou·te·s. Bernard Friot dans ses interventions récentes et dans la nouvelle édition de son ouvrage « L’enjeu des retraites » théorise que la création de sécurités sociales sectorielles, de l’alimentation, des transports, du logement, etc., serait une étape potentiellement utile vers l’instauration d’un salaire à vie.
La mise en œuvre d’un salaire à vie, ou même d’un salaire à vie paysan, résoudrait certainement bien des questions sur le financement d’une SSA, mais susciterait d’autres débats, certes passionnant, mais non nécessaires pour la mise en place de la SSA. Ainsi, SSA et salaire à vie sont deux propositions qui peuvent converger, mais aussi être portées séparément.
Ne pourrait-on pas financer la SSA avec l’argent de la PAC ?
Dans son traité fondateur toujours en vigueur[66], l’Union Européenne fixe, entre autres, à la Politique agricole commune (PAC) « d’assurer des prix raisonnables dans les livraisons aux consommateurs ». Depuis sa création, la PAC a tenté de remplir cet objectif en soutenant le revenu des agriculteurs, d’abord en sécurisant les prix, puis en subventionnant directement les agriculteurs après l’intégration de l’agriculture dans les accords de l’OMC en 1994. Ces derniers interdisent le soutien aux prix ou toute autre mesure de distorsion de concurrence qui n’aurait pas un but environnemental ou sanitaire.
Aujourd’hui la majeure partie du budget de la PAC est distribuée aux agriculteurs par un paiement proportionnel à la surface des exploitations dit Droit à paiement de base (DPB). Ces DPB sont distribués sans condition de participer à aucun objectif public autre que le maintien du revenu des agriculteurs. Sans seuil maximal, ni condition environnementale opérationnelle, ils favorisent la course à l’agrandissement des surfaces des exploitations agricoles, et favorisent les grandes exploitations fortement mécanisées avec un faible taux de mains d’œuvre, qui se révèlent les plus polluantes et émettrices de gaz à effet de serre. De plus, comme il n’y a pas de différenciation entre les exploitations agricoles exportatrices et celles fournissant le marché local, ces subventions renforcent massivement la compétitivité des exploitations agricoles européennes, plus que l’assurance d’une alimentation abordable pour les résidents de l’UE. Néanmoins, une petite partie des aides de la PAC, 20 %, sont attribuées pour le développement rural et la protection de l’environnement. Mais selon des règles très compliquées et dans une direction opposée aux autres aides de la PAC présenté ci-dessus. Tout cela fait de la PAC une politique coûteuse, 9,1 milliards d’euros par an en France et 60 milliards en Europe, et peu efficace, même en regard des objectifs peu ambitieux fixés par l’UE[67].
Suite à ce constat, il serait tentant de rapatrier le budget de la PAC dans le financement de la SSA, au moins en France et si possible dans les autres pays de l’UE. Ce budget représente moins de 10 % des besoins annuels en financement de la SSA. Par ailleurs, il peut être utile à deux objectifs que nous souhaiterions donner à la PAC :
- Financer la transition des exploitations agricoles vers une agroécologie paysanne. En effet, la politique du changement par « la table rase » est impossible en agriculture sauf à vouloir créer des famines et des émeutes. Il s’agit de pouvoir financer les investissements inhérents au changement de modèle agricole nécessaire, l’assurance du risque engagé et l’accompagnement technique, social, administratif, matériel, organisationnel, individuel et collectif des paysans souhaitant faire évoluer leurs pratiques.
- Contractualiser avec les paysans ayant déjà effectué leur transition agroécologique et paysanne pour les rémunérer pour les services agro-environnementaux et territoriaux qu’ils fournissent à la société. En effet, au-delà du service individuel d’alimentation, les paysans fournissent nombre d’autres services à la société nécessitant un travail spécifique et qui justifient rémunération[68].
Pour que ces mesures soient justes et efficaces, il conviendrait de les coupler :
- Avec une restitution des aides perçues en cas d’exportation des produits ayant bénéficié d’un soutien économique, ce afin de bien viser une politique de souveraineté alimentaire en Europe, d’être solidaire avec les agricultures d’autres pays qui pourraient être perturbées par des exportations sur leur marché local de produits ayant bénéficié de subventions et d’éviter tout effet de dumping social et/ou environnemental.
- Avec un plafonnement des aides par travailleurs effectifs sur la ferme (dit plafonnement à l’actif), afin de limiter la course à l’agrandissement des exploitations et soutenir le travail des humains, en tant que producteur de la valeur économique, et non des machines.[69]
Ainsi nous préconisons le maintien de la PAC et son articulation avec la SSA pour produire un modèle de rémunération des paysans. Il serait basé sur la cotisation pour le service individuel alimentaire fournit aux habitants d’un territoire via la SSA, d’une part, et des paiements via la PAC pour les services collectifs socio-environnementaux et territoriaux rendus à la société, de l’autre[70].
Ce projet de SSA est-il révolutionnaire ou réformiste ?
L’alimentation est aujourd’hui un champ d'activité humaine marchandisé et libéralisé. Le but recherché par la mise en place d'une sécurité sociale de l'alimentation est de sortir l’alimentation le plus possible du capitalisme afin de lever les barrières que ce dernier pose à l’accès et au choix de son alimentation par toutes et tous. Il est certain qu'un tel projet va à l'encontre d'un certain nombre d'acteurs, en premier lieu ceux de la grande distribution et de l'agro-industrie qui verraient leur taux de profit dans le secteur alimentaire fondre. Ne pas croire que ces acteurs se jetteraient avec férocité dans une bataille contre notre projet s'il venait à devenir crédible dans la société serait faire preuve d'une grande naïveté.
On pourrait alors objecter que, quitte à mener une telle bataille, autant envisager une révolution qui résoudrait tout autant la question alimentaire comme tant d'autres. L'idée n'est pas pour nous de penser que l’alimentation est une priorité absolue sur toute autre thématique socio-politique. Assurément le logement, l'énergie, la mobilité et tant d'autres thématiques sont tout aussi importantes à traiter. Cette proposition est un appui à repenser collectivement la gestion des communs, en commençant ici par la dimension agroalimentaire puisque c’est notre domaine de compétence. Et nous invitons tout le monde à s'en emparer.
Néanmoins, l'idée de proposer un système alimentaire alternatif nous paraît avoir plusieurs vertus. Là où une perspective révolutionnaire, souhaitable et souhaitée paraît assez théorique et toujours lointaine, il s'agit de se donner une vision concrète et positive, ancrée dans notre réalité quotidienne, pour lutter contre le « There Is No Alternative[71] » de Margaret Tatcher qui finit toujours par nous rattraper.
Penser, proposer et se projeter dans un système plus juste, et non plus seulement analyser les errances de notre monde, nous paraît utile pour réenchanter nos luttes. C'est le choix aussi pris par nombre de mouvements sociaux qui ont choisi de promouvoir des « initiatives » positives. Cette option s'est révélée encourageante et utile pour mobiliser un certain nombre de gens éloignés des formes d'action classique de la gauche radicale. Mais cette promotion des « initiatives » et des « transitions » a tendance à tout mettre sur le même plan et à ne pas proposer de projet de transformation sociale comme débouché aux micro-résistances, par ailleurs nécessaires.
Notre proposition est de partir de ces initiatives (agriculture biologique, commerce équitable, économie sociale et solidaire, slow food, Amap, etc.) en les considérant comme autant de fondations concrètes anticapitalistes pour bâtir un monde plus juste et plus soutenable. Ce qu’elles deviennent en s’inscrivant dans un projet de transformation global de la société. Il s'agit d'offrir un débouché subversif à ces initiatives, plutôt que d'attendre sagement qu'elles soient récupérées au service du capitalisme. Cette idée nous paraît fédératrice dans une perspective de convergence et d'unité.
Le débat que nous souhaitons soulever permettrait dans un premier temps de confronter et mettre en lumière l'hypocrisie des acteurs dominants de l'alimentation qui rivalisent de communication pour nous expliquer comment ils vont combattre la vie chère et sauver la planète. Ce qui n'est qu'enfumage, mais encore faut-il se donner la peine de dissiper la fumée. Il peut aussi être le support pour une réforme sociale et écologique radicale en cas d'opportunité politique qui adviendrait. Même s'il ne s'agissait pas d'une révolution intégrale ce serait l'occasion d'améliorer la vie de millions de gens. Si nous ne nous reconnaissons pas dans la politique des petits pas qui a servi de cache-sexe à la gauche au pouvoir en France pour casser les acquis de la solidarité sociale, nous pensons que la sécurité sociale a été en son temps une grande conquête.
Nous souhaitons construire ce projet de façon à rendre sa mise en place la plus concrète possible, pour convaincre que des changements radicaux sont possibles... De suite !
La sécurité sociale de l’alimentation est-elle un commun social ?
La proposition de SSA s’inscrit clairement dans la construction des « communs ». Pour nous, un commun est une ressource (matérielle et/ou immatérielle) qui n’est pas appropriée au sens moderne du terme, puisque sa préservation et celle des fonctions (sociales ou écosystémiques) qui y sont associées est posée comme principe absolu. Ainsi, le « propriétaire collectif » ne peut détruire sa « propriété ». Les règles d’accès et d’usage de la ressource sont définies démocratiquement au sein d’une communauté responsable. Nous envisageons ce concept en rupture avec certains tenants des communs qui considèrent que la nature des communs est liée à des caractéristiques intrinsèques aux ressources, comme leur finitude ou la possibilité d’en exclure ou non l’accès[72]. Au contraire nous pensons qu’il ne s’agit que de constructions sociales, c’est-à-dire ici le rapport qu’une société humaine construit à la ressource[73]. Pour nous les communs doivent être définis démocratiquement par la société.
Faire de l’alimentation un commun c’est affirmer qu’aucun droit de propriété, individuel ou collectif, privé ou public, ne peut s’opposer à la réalisation du droit à l’alimentation. C’est un complément nécessaire à la Déclaration universelle des droits humains de 1948, posant par principe que son article 17 sur la propriété[74] ne doit en aucun cas empêcher la mise en œuvre de l’article 25 qui définit, entre autres, le droit à l’alimentation[75]. Ce complément est nécessaire car la notion de propriété n’étant pas clairement définie dans la déclaration des droits humains, les droits sociaux, comme celui à alimentation, sont aujourd’hui toujours inféodés aux droits économiques[76] comme celui de propriété.
Subsidiairement, tous les instruments nécessaires à la réalisation du droit à l’alimentation doivent aussi être considérés comme des communs et poser la primauté du droit social de l’alimentation sur celui économique de propriété. Ainsi, la SSA peut être considérée comme un commun social au sens de Benoit Borrits. Pour ce dernier : « les communs sociaux sont ces systèmes de financement et de socialisation des revenus. [...] La particularité de ces communs est qu’ils sont établis sur une base géographique : ce sont les citoyen·nes d’une zone géographique donnée – un pays, une région ou un ensemble de pays – qui s’érigent en commun et déterminent des modalités de cotisations qui s’appliquent de façon solidaire et donc obligatoire à l’image de la sécurité sociale telle qu’elle a été conçue en 1945. ». [77]
Benoit Borrits définit aussi, en regard du commun social, les communs productifs : « une entreprise intégralement financée par un système financier socialisé et donc sans propriétaire. À partir de cet état de fait, elle est de facto codirigée par ses salarié.e.s et ses usager·ères avec des pouvoirs différenciés : les travailleur·ses sont maîtres de l’organisation de leur travail mais la définition des produits ainsi que les prix ou modes de distribution doivent faire l’objet d’une codécision avec les usager·ères ». Cela ouvre une description de l’organisation des entreprises qui pourraient conventionner avec les caisses de SSA et à rechercher des synergies avec les organisations qui travaillent sur les questions d’autogestion.
Parler de communs permet d’inscrire notre démarche dans un mouvement plus large qui donne un horizon positif à de nombreuses luttes et mouvements sociaux avec lesquels converger. Cela donne un cadre permettant d’expliquer et de vulgariser notre proposition, mais aussi de nourrir les détails de la proposition de SSA.
Est-il possible de répondre à l’urgence environnementale dans un cadre démocratique ?
Nous considérons que l’environnement est une richesse en soi et qu’aucune décision humaine ne devrait permettre sa destruction. Pour autant, nous ne pensons pas que la SSA ait pour objectif d’imposer a priori nos idées en matière d’environnement, mais d’ouvrir le débat démocratique dans lequel nous pourrons faire valoir nos arguments.
Néanmoins, nous pouvons résoudre le paradoxe apparent entre urgence écologique et temps de la démocratie en partant du principe suivant : on ne forcera pas les humains à l’écologie. Nous sommes persuadés que l’espèce humaine ne décidera collectivement la préservation de l’environnement que si une grande majorité de ses membres est convaincue de son bien-fondé. C’est-à-dire non pas en espérant que chacun fera volontairement sa part, mais en créant le cadre systémique pour que chacun soit sûr que, faisant sa part, le voisin ne réduira pas ses efforts à néant. Cette conviction collective ne peut advenir que par un processus démocratique. Nous pensons que toute tentative de « dictature verte » transformerait la préservation de l’environnement en un vecteur d’oppression et mobiliserait la population contre l’environnement. Le mouvement des gilets jaunes en 2018 et 2019 en France a montré comment une mesure (pseudo)environnementale décidée sans processus de concertation démocratique, et sans réfléchir à l’égalité d’accès à des besoins jugés fondamentaux dans la société (logement et transport), a mené dans un premier temps à des réactions anti-environnementalistes. Pour autant nous sommes convaincus que la possibilité de la vie humaine et de sa continuité à se reproduire à moyen terme dépend fondamentalement de la préservation de l’environnement. Nous émettons ainsi l’hypothèse que si les conditions d’une décision démocratique librement éclairée étaient réunies, les humain·e·s choisiraient leur survie à leur destruction et définiraient donc l’environnement comme un commun dont la destruction serait à éviter par tous les moyens. Le pari est risqué, mais nous ne voyons pas d’autre voie possible, quand bien même certain·es seraient tenté·es de prioriser l’impératif environnementale sur le social. Si par malheur nous avions tort ou si nous échouions à mettre en œuvre des mécanismes de décision vraiment démocratiques[78], tels que ceux que nous prônons pour la SSA, l’humanité s’éteindrait.
C’est pourquoi nous concevons la SSA comme un système d’auto-limitation volontaire des activités humaines. L’idée de faire de l’alimentation un Commun comme précisé ci-dessus donne une méthode pour réaliser cette autolimitation. Qui dit commun, dit régulation des usages. La première régulation dans la SSA est formée des cadres de conventionnement aux différentes échelles territoriales. Ainsi, la décision des caisses locales ne pourra se faire que dans le cadre décidé nationalement, voire si possible internationalement, à partir de processus démocratiques également. Mais ce n’est pas parce que l’État a toujours raison sur ses subdivisions, mais parce que la nature a généralement du mal à reconnaître les frontières administratives. D’un autre côté, il faudra garder dans cette régulation une attention particulière et des mécanismes évitant que le « cadre national » ne soit instrumentalisé comme un outil de domination géographique, favorisant un territoire plus qu’un autre.
Pourquoi ne pas imposer que les produits conventionnés soient locaux ?
Nous avons fait le choix de faire confiance à l’organisation d’un débat démocratique tel que nous le proposons pour répondre aux enjeux environnementaux et transformer le mode de production. De la même façon, il ne convient pas pour nous d’inclure de critère de provenance des produits, ceci afin d’assurer le choix par les personnes des différents produits avec lesquels elles souhaitent s’alimenter.
De plus, le local n’est pas une solution à tout. Si pour les légumes, il semble très intéressant de développer des ceintures maraîchères tels que le Front Populaire l’a fait en 1936 dans toutes les grandes villes, pour des denrées moins périssables, les contraintes pédo-climatiques entraînent des productions beaucoup plus faciles et pertinentes à certains endroits qu’à d’autres, dans l’idée de maximiser la production agricole[79]. Mais surtout, vu la structuration actuelle du territoire avec une population majoritairement dans les villes et l’existence de métropoles, une course au local ne ferait que renforcer les inégalités entre territoires ; une réflexion pour jouer de solidarité entre les bassins de production et les bassins de consommation est au contraire à privilégier pour assurer la vie des territoires les plus éloignés de centres urbains.
Enfin, nous pensons que cet argent socialisé ne doit pas non plus déstructurer les économies agricoles des autres pays. Le seul critère de respect des règles du commerce équitable ne prévient pas d’une transformation globale de la production agricole d’un pays pour l’exportation, ce qui serait néfaste pour celui-ci, et pour la souveraineté du territoire. De plus, ce critère ne suffit pas à assurer aux producteurs français, sans critère de « local » que nous refusons, qu’ils ne seront pas en concurrence avec la production d’autres pays qui jouent de dumping social et environnemental. Mais le mécanisme des prix minimum d’entrée développé par la confédération paysanne est pertinent pour répondre à ces insuffisances des critères du commerce équitable.
Enfin, la SSA devra s’insérer dans les politiques commerciales internationales intra-européennes (en premier la PAC) et extra-européenne (l’OMC et les traités de libre échange). Dans ce cadre, ISF Agrista soutient la fin des traités de libre-échange et un retour à un multilatéralisme commercial, soit dans la ligne de la Charte de la Havane ou par une démocratisation de l’OMC, dans l’objectif de permettre une souveraineté alimentaire partout dans le monde.
En conclusion : une utopie concrète
Cette belle idée de sécurité sociale de l'alimentation peut sembler idéaliste… Mais il nous semble que s’il y a bien un domaine sur lequel des conquêtes sociales importantes pour une production hors du capitalisme et des avancées sociales sont possibles, c’est l’alimentation. En effet, ce secteur a deux avantages notoires : l’existence actuelle de productions non capitalistes extrêmement importantes[80] qu’il nous faut développer, ainsi qu’une plus grosse difficulté de la population à fermer les yeux sur les conséquences désastreuses du libéralisme et du système industriel dans ce secteur à cause des conséquences directes de l’alimentation sur la santé. Les citoyens sont souvent touchés et intéressés par ce sujet. Nous avons souhaité imaginer un projet qui soit envisageable à mettre en place dès aujourd’hui tout en laissant les portes grandes ouvertes à un futur plus révolutionnaire… Qu’en dites-vous ?
Pour que la société se réapproprie à terme l’ensemble des moyens de production de son alimentation, de nombreuses pistes restent encore à explorer. Il faut définir la progressivité dans le temps du montant distribué, le financement des coûts de transition (process, infrastructures, filières, etc.) - à articuler avec les mesures de transition de Pour une autre PAC -, le critère d’exclusion capitaliste à mettre progressivement en œuvre (par exemple avec des règles de progrès fixant une possibilité dégressive de lucrativité vers un pourcentage en dessous de l’inflation de l’évolution du coût de la vie dans les secteurs où la transition est impossible rapidement) au fur et à mesure que la transition sera effectuée… Autant de chantiers à ouvrir pour que cette proposition réponde de suite à une urgence, et permette d’évoluer rapidement vers un mécanisme plus ambitieux !
Mais après des États généraux de l’alimentation de 2018 aux conclusions très décevantes, n’est-il pas temps d’envisager un projet politique ambitieux pour sortir la société d’une industrie agroalimentaire et d’un système de distribution qui ont vu les pires scandales éclater (vache folle, poulet à la dioxine, lasagne de cheval, etc.) et des fortunes se bâtir au détriment du plus grand nombre ?
L’équipe SSA d’ISF-Agrista !
Secu-sociale-alim@riseup.net
[1] Histoire politique de l’alimentation, Paul Aries.
[2] De Waal, A. (1999). Famine business : L’entreprise humanitaire en Afrique. Bruxelles: Editions Colophon.
[3] Lire « L'agribusiness survivra-t-il à la fin des paysans ? » http://www.agrobiosciences.org/IMG/pdf/Agribusiness_T-Martin.pdf ou encore l’article de la FAO sur l’agriculture familiale http://www.fao.org/3/mj760f/mj760f.pdf
[4] Chiffress de la Mutuelle Sociale Agricole (MSA).
[5] Chiffres de l’INSEE.
[6] Analyse des enjeux économiques et sociaux d’une alimentation plus durable, ADEME, mars 2018, Source: calculs FranceAgriMer-OFPM 2017, données Insee et Eurostat
[7] L’accès aux moyens de production, en particulier au foncier, reste très difficile, si bien qu'un quart des emplois agricoles ont été détruits entre 2000 et 2015, remettant en cause la sécurité et la souveraineté alimentaire du pays.
[8] De la Ruche qui dit Oui à la campagne « Act for food » de carrefour, de nombreuses initiatives se mettent en place pour récupérer les nouveaux comportements alimentaires au service de sociétés capitalistes. Lire aussi : Boltanski et Chiapello, Le nouvel esprit du capitalisme, Paris Gallimard, 1999.
[9] Santé publique France recommande également d'acheter, «si possible» des aliments bio, et d'aller vers des «fruits et légumes de saison», issus de productions locales. Recommandations relatives à l’alimentation, à l’activité physique et à la sédentarité pour les adultes, Santé publique France, 2019.
[10] Avis n°72 du CNA « Aide alimentaire et accès à l'alimentation des populations démunies en France » p 21 et Conseil National des politiques de Lutte contre la pauvreté et l'Exclusion sociale 2016, « Les chiffres clés de la pauvreté et de l'exclusion sociale », p.13 et données de la DGC dans le rapport du Sénat « Aide alimentaire : un dispositif vital, un financement menacé ? Un modèle associatif fondé sur le bénévolat à préserver » 10/10/2018
[11] Article 25 de la déclaration des droits de l'Homme de 1948 (ONU) ; ou encore Article 11 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966.
[12] Par exemple la déclaration de Rome sur la sécurité alimentaire mondiale 1996 introduit la notion de choix .
[13] Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail, 2017, « Etude individuelle nationale des consommations alimentaires 3 », p85-86. L’insuffisance alimentaire « quantitative » correspond aux réponses: « j’ai/nous avons eu parfois pas suffisamment à manger» et « j’ai/nous avons eu souvent pas suffisamment à manger» durant les 12 derniers mois. L’insuffisance alimentaire « qualitative » correspond à la réponse: « j’ai/nous avons eu suffisamment mais pas toujours de tous les aliments que je/nous souhaitais/ions manger » durant les 12 derniers mois.
[14] Toutes les agricultures des pays dit développés sont adossées à des systèmes d'aides publiques depuis très longtemps. En France, l'état a soutenu le Crédit Agricole pendant toute la phase de modernisation agricole jusqu'à ce que la PAC prenne le relai. Aux USA, cette modernisation est même passée directement par une banque d'état.
[15] Se nourrir lorsqu’on est pauvre - ATD quart monde, revue et documents n°25, 2014
[16] Mode de commercialisation des produits agricoles qui s’exerce soit par la vente directe du producteur au consommateur, soit par la vente indirecte, à condition qu’il n’y ait qu’un seul intermédiaire entre l’exploitant et le consommateur.
[17] Campagnes solidaires n°343 - octobre 2018, “Circuits mi-longs : une solution complémentaire aux circuits courts” : « Ici, le maraîchage diversifié en vente directe a le vent en poupe. Les brevets professionnels sont remplis. Mais la réalité, c'est que ni l'agglomération de Lyon ni les communes de l'Ouest lyonnais ne veulent créer de nouveaux marchés. Les porteuses et porteurs de projets qui s'installent sont un peu coincés et le prix des places de marché explosent quand un producteur prend sa retraite. »
[18] Communiqué de presse du synabio du 21/01/2019 “le SYNABIO appelle les enseignes à éviter la guerre des prix” : la grande distribution met ses fournisseurs bio sous forte pression.
[19] Pour approfondir la question de la PAC on peut se reporter aux analyses de la Plateforme Pour une autre PAC : https://pouruneautrepac.eu/notre-vision/bilan-de-lactuelle-pac/
[20] Ancien rapporteur spécial auprès de l’ONU sur la question du droit à l’alimentation dans le monde de 2000 à 2008.
[21] voir notamment l’article de Dominique Paturel
https://www.chaireunesco-adm.com/Le-droit-a-l-alimentation-un-droit-en-friche
[22] Bonzi Bénédicte, 2019, “Faim de droit : le don à l’épreuve des violences alimentaires”, EHESS, centre de recherche IIAC et LAIOS.
[23] Et ont servi les intérêts de certains lobbys et scientifique, voir le livre de Jean-Pierre Poulain, sociologie de l’obésité.
[24] EAPN France, 2018. Vers un droit à l'alimentation en France.
[25] Rapport du Sénat 2019/2019 n°34
[26] Cette valorisation se fait a minima en multipliant les heures bénévoles déclarées par les associations par un SMIC horaire.
[27] La valeur ajoutée des secteurs Agriculture, sylviculture et pêche plus Fabrication de denrées alimentaires, de boissons et de produits à base de tabac est de 79 Milliards d’euros.
[28] Par exemple, une des deux mesures principales de La loi n°2016-138 du 11/02/2016 relative à la lutte contre le gaspillage alimentaire : « l’objectif de pérenniser et d’améliorer les dispositifs de dons aux associations d’aide alimentaire qui aident à éviter le gaspillage alimentaire tout en fournissant de la nourriture aux personnes les plus démunies », ou encore “l’obligation, pour les magasins alimentaires de plus de 400 m2, de proposer une convention de don à des associations pour la reprise de leurs invendus alimentaires encore consommables”. https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/gaspillage-alimentaire-0
[29] Lire par exemple http://fdgpierrebe.over-blog.com/2019/12/interview-de-michel-etievent-la-secu-a-ete-entierement-batie-dans-un-pays-ruine-grace-a-la-seule-volonte-militante.html
[30] Interdiction de propriété capitaliste des sociétés d'exercice libéral, jusqu'à son abrogation par la loi Macron de 2015
[31] Fakir, n°82. « Les vandales de la santé », p10-15 ou encore Nemesis médicale d'Ivan Illitch.
[32] Lire Nemesis Médical de Ivan Illitch
[33] Une réflexion sur sur le fichage et le suivi des données personnelles devra être mené en parallèle pour éviter tout abus ou dérive vis à vis des libertés individuelles.
[34] Pour comparaison, la part de la consommation de soins et de bien médicaux remboursés par la sécurité sociale est de 136,3 milliards d’euros.
[35] voir paragraphe sur Financé par une cotisation spécifique, juste et solidaire...
[36] Pour comparaison le « panier alimentaire » mensuel moyen par français est de 235€, celui des foyers les plus précaires de moins de 100 €. Le budget de 150€ permet d’initier le mécanisme. https://fr.statista.com/statistiques/539021/budget-alimentation-montant-moyen-selon-revenu-menages-france/
[37] 65 564 756 habitants en 2013 selon l’INSEE. Nous faisons l’approximation de 150 € par mois par personne, quel que soit l’âge. Pour une cohérence dans les chiffres présentés, nous nous basons pour la suite des calculs sur une référence 2013 de données fournies par l’INSEE et la DRESS.
[38] En effet, depuis de nombreuses années la sécurité sociale repose de plus en plus sur l’impôt via la Contribution sociale généralisée (CSG) en complément des cotisations.
[39] Les revenus mixtes sont les revenus issus de la production des entrepreneur.euse.s individuel.le.s qui ne sont pas des salarié.e.s.
[40] Cette notion de moyenne est importante puisque nous envisageons plus loin que ce taux soit modulable.
[41] « Ces dernières décennies, la part du travail, c’est-à-dire la part de la rémunération du travail (traitements et salaires, avantages accessoires au salaire) dans le revenu national total, a diminué dans la quasi-totalité des pays de l’OCDE. Sa valeur médiane est passée de 66.1 % au début des années 90 à 61.7 % à la fin des années 2000, et dans certains pays ce fléchissement s’était amorcé plus de 30 ans plus tôt. » (OCDE, 2012) Quand la part du travail baisse, c’est qu’en face la rémunération du capital, c’est à dire la rémunération de l’investissement, augmente. Dans une perspective Marxiste, le travail produisant seul de la valeur économique, contrairement au capital, il n’y a pas lieu de rémunérer le capital du tout.
[42] Pour leur part les indépendant.e.s ou entrepreneur.euse.s individuel.le.s étant «leur propre patron.ne » n’ont pas de distinction entre cotisation salariale et patronale.
[43] Le salaire superbrut est l’addition : du salaire net et des cotisations salariales et patronales ; là où le salaire brut est l’addition du salaire net et des seules cotisations salariales.
[44] Cela n’a aucune incidence pour les indépendants, voire note 7.
[45] https://blogs.alternatives-economiques.fr/gadrey/2017/06/28/fraude-et-evasion-fiscale-en-france-200-milliards-par-an
[46] Fruits et Légumes : protéger les producteurs-trices avec des prix minimum d’entrée sur le marché national, mai 2019. http://confederationpaysanne.fr/actu.php?id=8872
[47] Pour le capital immobilier le statut du fermage apporte un garde fou, peut-être à renforcer. Pour les capitaux financiers, l’instauration de caisse d’investissement peut apporter des solutions. Pour les capitaux mobiliers (agrofourniture : semences, tracteurs, etc.), des solutions sont à créer. La question de la transition et de sa progressivité est à approfondir. Si ce principe d’exclusion capitaliste se révélait impossible à mettre en place immédiatement, on pourrait dans un temps de transition (à bien définir), s’inspirer des critères de l’agrément ESUS (Entreprise solidaires d’utilité sociale) issu des lois Hamon de 2014 : 1/ avoir une politique de rémunération respectant 2 conditions : la moyenne des sommes versées, y compris les primes, aux 5 salariés ou dirigeants les mieux payés ne doit pas excéder un plafond annuel fixé à 7 fois le smic et la rémunération versée au salarié le mieux payé ne doit pas excéder un plafond annuel fixé à 10 fois le smic ; 2/ les titres de capital de l’entreprise ne doivent pas être négociés sur un marché financier.
[48] Notamment dans la production alimentaire : CORIAT, B., N. LEGROUX, N. LE GUEN, S. LEYRONAS and M. TORO (2019), « Faire de l’alimentation un « bien commun » : les enseignements tirés de trois expériences de lutte contre la malnutrition », Papiers de Recherche AFD, n° 2019-114, October.
[49] Pour une Sécurité Sociale au XXIème siècle : un projet de sécurité sociale de l’alimentation, site de réseau salariat reprenant l’article réalisé pour la revue « les utopiques » de Solidaires
[50] https://pouruneautrepac.eu/
[51] https://drive.google.com/file/d/1ZqtkBoUCtnw4ajBSxCIlHs0ttbi4o61-/view
[52] C’est à dire respectant aussi les préférences alimentaires des minorités. La démocratie n’est pas la dictature de la majorité.
[53] Paturel D., 2018, “Vous avez dit démocratie alimentaire ?”, revue Sésame n°4, p6-7 ; ou encore : https://www.chaireunesco-adm.com/NICOLAS-BRICAS-Pourquoi-faudrait-il-lutter-contre-le-gaspillage-alimentaire
[54] https://amapartage.fr/chercher-une-ressource/paniers-pour-un-acces-a-une-nourriture-inclusive-ecologique-regionale-et-solidaire-par-miramap-69
[56] Les résultats de ce projet, et notamment le guide d’autodiagnostic qui permet de faire un point sur l’état de la démocratie alimentaire dans une initiative d’accès de tous à une alimentation de qualité, sont présentés ici : http://www.civam.org/index.php/actualites/650-accessible-les-premiers-resultats
[58] Société coopérative ouvrière de production et Société coopérative d’intérêt collectif
[59] https://www.uni-konstanz.de/DONE/view-interactive-data/
[60] En reprenant par exemple les budgets alloués au plan national nutrition santé
[61] Voir par exemple les activités du RéPPOP de prise en charge de l’obésité pédiatrique par l’éducation thérapeutique
[62] Priya Fielding-Singh : «La nourriture permet d’atténuer les privations matérielles». Libération, Par Laure Andrillon, Recueilli par — 16 février 2018.
[63] Voir notre projet associatif : www.isf-france.org/agrista
[64] Paul Ariès, Eloge de la gratuité, Le monde diplomatique, novembre 2018 : https://www.monde-diplomatique.fr/2018/11/ARIES/59231
[65] Gérard-François Dumont. QUELLES POLITIQUES CONTRE LA PAUVRETÉ?. Stefano Zamagni,Marcelo Sanchez Sorondo. Inclusive solidarity and integration of marginalized people, Libreri EditriceVaticana, pp.149-173, 2017, 978-88-86726-31-3. halshs-01832411. https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01832411/document
[66] https://fr.wikisource.org/wiki/Trait%C3%A9_sur_le_fonctionnement_de_l%E2%80%99Union_europ%C3%A9enne#Titre_III_:_l%E2%80%99agriculture_et_la_p%C3%AAche
[67] Pour une compréhension complète de la Pac et des modification que nous souhaitons y apporté avec nos Partenaire de la plateforem pour une autre PAC, vous pouvez consulter : Osons une vraie réforme de la PAC : https://pouruneautrepac.eu/publication-osons-une-vraie-reforme-de-la-pac/ ou l’Atlas de la PAC : https://pouruneautrepac.eu/comprendre-la-pac/atlas-de-la-pac/ .
[68] Dans le cadre de la Plateforme pour une autre PAC, nous participons à l’élaboration d’un plaidoyer en faveur de Paiements pour services environnementaux (PSE) pour la réforme de la PAC de 2020 et de Paiements pour services environnementaux et socio-territoriaux (PSET) à échéance 2030.
A ce jour la Plateforme définit ces services environnementaux comme les services fournis par les paysan·ne·s, qui contribuent à la préservation et à l’amélioration de notre patrimoine commun et à l’environnement, notamment la biodiversité, le climat et la santé. Ces services ont une utilité pour la société en général. Les pratiques sont intégrées dans l’itinéraire de production du paysan et dans une approche globale. Ils produisent des services environnementaux qui peuvent être de plusieurs types et doivent se déployer de façon harmonieuse, cohérente et sans générer de pollution. Il s’agit de rémunérer les pratiques vertueuses, favorables au maintien ou au développement des fonctions écosystémiques endogènes. Le service environnemental est d’autant plus pertinent qu’il s’inscrit dans une approche territoriale et collective. Ceux que nous souhaitons rémunérer sont liés à l’acte de production. Le paiement de ces services serait la rémunération d’un contrat social entre la société et les paysans, par consentement réciproque.
[69] Ces deux mesures sont défendues par la Plateforme pour une autre PAC.
[70] Par ailleurs dans son plaidoyer général pour une Politique agricole et alimentaire commune (PAAC) en 2030, la Plateforme propose que la PAAC constitue à cette échéance une politique commune au service de tou·te·s les citoyen·ne·s européen·ne·s. Il est donc normal qu’elle soit définie, évaluée et ajustée par eux ou elles. Pour ce faire, des instances ouvertes à la société civile sont créées à toutes les échelles de prise de décision et à toutes les étapes de la politique. À cette condition, la PAAC devient une politique véritablement issue d’une démocratie participative. Les paysan·ne·s et l’aval de la chaîne alimentaire demeurent évidemment représentés au sein de ces instances : ils sont indispensables pour envisager la transcription des mesures sur le terrain, leur faisabilité et leur pertinence. Toutefois, ils ne constituent pas les uniques parties prenantes non institutionnelles. Inclure les citoyen·ne·s dans la conception de la PAAC représente le meilleur moyen de rendre cette politique compréhensible et utile à leurs yeux : grâce à la démocratie participative, la PAAC est relégitimée pour les citoyen·ne·s européen·ne·s.
[71] « Il n'y a pas d'alternative » sous entendu au capitalisme.
[72] Un bien commun est souvent défini en économie comme un bien avec une forte « rivalité » et une faible « excluabilité ».
[73] Les classes dominantes des sociétés humaines rivalisent d’imagination depuis quelques siècles pour limiter l’accès à des ressource pourtant accessible à tou.te.s, des lois sur les « enclosures » de l’Angleterre du XVIIème siècle, aux formats propriétaires de diffusion de la musique numérisée sur internet au XXIème siècle.
[74] « 1. Toute personne, aussi bien seule qu'en collectivité, a droit à la propriété. 2. Nul ne peut être arbitrairement privé de sa propriété »
[75] « 1. Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l'alimentation, l'habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires; elle adroit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d'invalidité, de veuvage, de vieillesse ou dans les autres cas de perte de ses moyens de subsistance par suite de circonstances indépendantes de sa volonté. 2. La maternité et l'enfance ont droit à une aide et à une assistance spéciales. Tous les enfants, qu'ils soient nés dans le mariage ou hors mariage, jouissent de la même protection sociale. »
[76] CORIAT, B., N. LEGROUX, N. LE GUEN, S. LEYRONAS and M. TORO (2019), « Fairede l’alimentation un « bien commun » : les enseignements tirés de trois expériences de lutte contre la malnutrition », Papiers de Recherche AFD, n° 2019-114, October.
[77] https://lemediapresse.fr/economie/benoit-borrits-leconomie-des-communs-sinscrit-dans-une-societe-de-liberte/
[78] Le but de ce texte n’est pas d’établir une critique des démocraties occidentales dites « libérales ». Néanmoins, nous les trouvons très imparfaites, même si certainement bien plus souhaitables dans de multiples aspects que d’autres régimes autoritaires ou dictatoriaux. Mais l’intrication des sphères du pouvoir politique élu avec d’autres sphères de pouvoirs, moins légitimes comme celle de l’argent, rends nos démocraties actuelles inopérantes dans bien des domaines, notamment l’éradication des inégalités et des oppressions ainsi que la protection de l’environnement. Nous pourrions reprendre à notre compte nombre des critiques posées par Negri et Hardt dans Empire (2000) et Multitudes (2004) ou encore l’analyse du « parlementaro-capitalisme » portée par Badiou dans De quoi Sarkozy est-il le nom ? (2017). Sans pour autant reprendre à notre compte toutes les réflexions de ces auteurs.
[79] Notamment la production de lait et viande dans les zones de montagnes herbagères ou rien d’autre ne peut pousser.