La souveraineté alimentaire nécessite de rompre avec les politiques agricoles néolibérales

Dans son discours aux français du 12 mars 2020, le Président Emmanuel Macron prononçait ces paroles : « Ce que révèle cette pandémie, c’est qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. Déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner, notre cadre de vie, au fond à d’autres, est une folie […] Les prochaines semaines nécessiteront des décisions de rupture en ce sens. Je les assumerai. » Près de 4 ans plus tard, la mobilisation agricole historique qui s’installe en France témoigne que les décisions de rupture promises n’ont pas été prises.
tracteur dans un champ de patate
Brian Forbes - Creative Commons Attribution 2.0 Generic
À Agrista, nous militons depuis longtemps pour la souveraineté alimentaire[1] et nous savons qu’elle ne peut pas advenir avec des politiques agricoles néo-libérales qui organisent la mise en concurrence des agricultures du monde. En faisant des produits agricoles et alimentaires des produits de commerce comme les autres, les règles de commerce international favorisent les "moins-disant" en tirant leur prix vers le bas, ce qui constitue un obstacle à la juste rémunération des agriculteur·rices et à l'adoption de modes de productions écologiques.
 
Pour ne pas céder à la facilité concernant le mouvement social agricole en cours, nous souhaitons rappeler que :
  • La FNSEA cogère les politiques agricoles avec l’État depuis sa création en 1946 et qu’à ce titre elle a une grande part de responsabilité dans les difficultés auxquelles est confrontée l’agriculture française. Elle était d'ailleurs très satisfaite de la précédente réforme de la PAC, si décriée aujourd’hui, là où Agrista et ses partenaires Pour une autre PAC alertaient fortement.         
  • L’agriculture n’est pas homogène et les agriculteur·rices ne sont pas tous pauvres et vertueux·ses. Les situations et les revenus varient fortement en fonction des exploitations agricoles et des filières et les revendications sont diverses. Il n'y a pas un monde, mais des mondes agricoles. Arnaud Rousseau, président de la FNSEA, directeur du groupe industriel Avril et exploitant d'une ferme en grandes cultures de 700 hectares ne semble pas à même de représenter cette diversité.
  • Derrière l’unité de façade, une bataille syndicale est en cours entre la FNSEA et la Coordination rurale pour « capter »  le mécontentement agricole. En effet, la Coordination rurale jouit d'une exposition médiatique très importante depuis le début du mouvement. La FNSEA, hégémonique depuis 70 ans, doit montrer sa détermination à changer tout de ce qu’elle a pourtant contribué à créer, afin de contenter la colère de ses adhérent·es à un an des élections Chambres d’agriculture, tout en gardant de bonnes relations avec l’État pour continuer à cogérer. Dans cette bataille, les revendications de la Confédération paysanne sont malheureusement peu audibles. 
  • Les oppositions villes/campagnes et agriculteurs/écologistes sont réductrices et n’apportent rien au débat. Il y avait beaucoup d'agriculteur·rices à Sainte Soline.
  • La complaisance de l’État face aux agissements des agriculteur·rices en comparaison de la criminalisation des mouvements écologistes tels que les Soulèvements de la terre symbolise la politique du « deux poids deux mesures ».
 
Le mouvement social en cours a toutefois l’intérêt de conscientiser le grand public sur la nécessité de s’opposer aux politiques néo-libérales qui :
  • Ne permettent pas à tous les agriculteurs et agricultrices de vivre de leur métier et de respecter des normes sociales et environnementales exigeantes pourtant absolument nécessaires. Pour preuve, 18 % des ménages agricoles vivent sous le seuil de pauvreté en 2018[2].                  
  • Favorisent l’accaparement de la valeur ajoutée par les acteurs de l’amont (fournisseurs de fertilisants, produits phytosanitaires, semences et matériel) et de l’aval (industries agro-alimentaires et grande distribution) : Les agriculteur·rices perçoivent seulement 6,9% des dépenses alimentaires en 2018[3], de manière inégalitaire entre eux, tandis que la marge brute de l’industrie agro-alimentaire est passée de 28 % fin 2021 à 48 % début 2023[4]. 
  • Génèrent de la précarité alimentaire : 16 % des personnes déclarent qu’il leur arrive de ne pas avoir assez mangé au sein de leur foyer en novembre 2022[5].         
 
Pour répondre à l’urgence de la situation, Agrista réfléchit, depuis plusieurs années et avec de nombreux partenaires, à des solutions concrètes. En voici quelques-unes :
  • Sortir l’agriculture des traités de libre-échange, et plus généralement remettre en cause ces accords car soumettre les produits agricoles et alimentaires aux mêmes règles de commerce que des grilles-pain ou des services compromet la souveraineté et la sécurité alimentaire.
  • Instaurer des protections aux frontières tels que les prix minimum d’entrée proposés par la Confédération paysanne[6] afin qu’aucun produit étranger ne puisse être vendu moins cher qu’un produit français.         
  • Harmoniser les normes sociales et environnementales par le haut au sein de l’Union européenne.         
  • Définir des prix planchers (à partir des coûts de production) et encadrer les marges des intermédiaires. A ce titre, les critères du "commerce équitable" qui garantissent des droits aux producteur·rices sont une base de réflexion pertinente.        
  • Mettre en place des clauses miroirs afin d'interdire l’importation de produits qui ne respectent pas les normes en vigueur au sein de l’Union européenne.
  • Arrêter les subventions aux exportations qui favorisent l’exportation de nos denrées agricoles et détruisent l’agriculture des pays importateurs dont les agriculteur·rices connaissent les mêmes difficultés que les agriculteur·rices français.         
  • Développer des partenariats de commerce équitable pour les aliments impossibles à produire en France.
  • Réformer la Politique Agricole Commune sur la base des propositions du Collectif Nourrir[7], en particulier le plafonnement des aides à l’actif et le développement des paiements pour services environnementaux.         
  • Instaurer une véritable démocratie alimentaire par la mise en place de la Sécurité sociale de l’alimentation[8] qui donnera à toutes et tous la possibilité de participer à l’élaboration des politiques alimentaires et les moyens de se procurer une alimentation de qualité, sans sacrifier la rémunération des producteur·rices.
 
Des solutions radicales et concrètes existent mais elles nécessitent de rompre avec le dogme du libéralisme économique. Agriculteur·rices et mangeur·ses, demandons ensemble que toutes les politiques nécessaires pour atteindre la souveraineté alimentaire soient mises en œuvre afin que cesse la folie qui consiste à déléguer notre alimentation.
 
 
Notes
[1] Droit des peuples à une alimentation [suffisante] saine et culturellement appropriée produite avec des méthodes durables, et le droit des peuples de définir leurs propres systèmes agricoles et alimentaires (selon la déclaration de Nyeleni de 2007).
 
4 février 2024
ISF Agrista
Groupe ISF