Désertez les chemins de l'industrie, pas ceux de l'agronomie !
Le succès reçu s'explique en partie par le constat global et croissant que les ingénieur·es sont en perte de sens, en manque de cohérence entre leur métier ou leur formation, leurs valeurs et la direction urgente à prendre pour notre société. Il s'explique également par l'immobilisme des formations d'ingénieur·es face aux enjeux sociaux et écologiques. Leurs fausses actions en ce sens, du label "bonne conscience" aux "rapports de RSE", est dévoilée de manière croustillante dans cet appel des agros qui bifurquent. Celui-ci s'inscrit ainsi dans un mouvement de contestation généralisé à de nombreuses grandes écoles ces dernières années. De manière non exhaustive, nous pouvons citer le collectif "Ingénieurs engagés" né à l'INSA Lyon, "les infiltrés", le collectif "Pour un réveil écologique"... Et bien sûr, la construction d'un travail de transformation des formations d'Ingénieur·es entammé en 2002 au sein d'Ingénieurs sans frontières, avec la parution du manifeste pour une formation citoyenne des ingénieurs en 2014, et sa déclinaison spécifique pour l'agronomie en 2020 inspirée de nos travaux sur l'évolution des métiers de l'agronome, du conseil à l'accompagnement.
Nous, membres d'ISF-Agrista, nous adhérons à cette critique des institutions que sont les écoles d'ingénieur·es et saluons le courage de ces étudiant·es et la réussite de leur organisation pour créer la surprise lors de cette remise de diplôme. Nous nous retrouvons dans cet appel auquel nous souhaitons ajouter :
- Pour nous, il s'agit de déserter autant que possible les voies de l'Ingénieur·e, avec un grand I mais en aucun cas de déserter l'agronomie. Désertons les voies où l'Ingenieur·e, orné·e d'un Titre, vient occuper une place spécifique dans la division du travail - véritable chien de garde des intérêts capitalistes et des actions de leurs lobbies qui font passer l'accumulation, la productivité et la rentabilité court-termiste devant l'intérêt général. Désertons pour œuvrer à une ingénierie agronomique au service de la transformation de nos systèmes de production vers un monde émancipé de la division du travail que nous impose le modèle de l'Ingénieur·e. Il s'agit de refuser le statut social d'Ingénieur·e, et pour celles et ceux qui choisiront l'agronomie, de se positionner comme animateur·rices et accompagnateur·trices de choix techniques démocratiques. La désertion, si elle permet de ne plus se porter caution de ce système que l'on dénonce, ne suffit pas à l'abattre. Nous devons contribuer aux luttes et mouvements sociaux qui s'y consacrent aussi en tant que professionnel·les organisé·es collectivement.
- Au-delà de l'appel à l'action individuelle sur les choix professionnels, adapté à une remise de diplômes, nous appelons à l'ouverture d'un réel travail politique sur l'organisation des formations d'ingénieur·es. La Commission des Titres d'Ingénieurs, qui règne sans partage sur les formations pour le plus grand bonheur du patronat, comme toute organisation "paritaire", doit être dissoute. Le Titre d'Ingénieur, reliquat de l'empire napoléonien, doit disparaître. L'Etat doit reprendre la main sur les formations en ingénierie pour remettre les enjeux démocratiques, sociaux et écologiques au cœur des formations et non ceux d'un modèle industriel au service d'intérêts capitalistes.
Nombre de réactions à cet appel sont décevantes. Ce dernier a donné lieu à des commentaires souvent critiques, parfois violents et dégradants dans une partie des médias. Ces réactions ne sont pas étonnantes, venant d'un monde dépassé qui se débat pour maintenir le statu quo et les privilèges de quelques un·es au détriment du plus grand nombre. Nous avons vu et lu les mêmes commentaires paternalistes sur Greta Thunberg, de la part d'un monde incapable d'ouvrir les yeux sur le désastre social et écologique du capitalisme. Nous adressons notre soutien aux diplomé·es face à cette déferlante de haine et de mépris. Dans un autre registre, le communiqué de presse d'AgroParisTech en réaction à l'événement confirme bien la volonté de maintenir une coexistence des modèles, qui, sous couvert de "multiciplicité des points de vue", est au service du complexe agro-industriel. Honte à eux, et que les actions pour dévoiler tout cela continuent ! Enfin, une partie des responsables politiques a salué le discours venant d'une "jeunesse qui redonne espoir" mais n'a, selon nous, pas assez appelé à un travail de transformation radicale des formations en ingénierie.
Ainsi, forts d'une expérience de réflexion sur les parcours d'ingénieur·es riche d'une vingtaine d'années, nous invitons tou·tes les étudiant·es en ingénierie, Ingénieur·es diplomé·es, responsables politiques progressistes et citoyen·nes du mouvement social ayant été touché·es par cette vidéo à s'engager pour mettre à l'agenda politique les formations en ingénierie en France. Dans le prolongement de nos actions actuelles avec nos partenaires, nous appelons également à cette transformation dans toutes les formations d'agronomie, des lycées agricoles aux écoles d'ingénieur·es, afin qu'elles répondent enfin aux enjeux de transition agroécologique et de démocratie alimentaire !
Pour aller plus loin, nos précédents travaux :
- le manifeste pour une formation citoyenne des agronomes, publié en 2020.
- la note "Repenser le métier d'agronome : vers une démarche d'accompagnement", publié au sein de la coordination Sud en 2017
- le manifeste pour une formation citoyenne des ingénieur.es, publié en 2014