Sécurité sociale de l’alimentation et initiatives locales
Le travail théorique que nous avons produit jusque-là sur la sécurité sociale de l’alimentation n’est pas terminé, loin de là. Nous continuons à le travailler, et vos contributions sont les bienvenues !
La sécurité sociale de santé a été construite en fusionnant plusieurs systèmes de sécurité sociale qui lui préexistaient, de différentes origines. De la même manière, une des conditions pour qu’un projet de généralisation de l’accès de tous et toutes à une alimentation de qualité et choisie voit le jour nous paraît être que la réalisation du droit à l’alimentation soit déjà effective sur des parties du territoire, avec des citoyen.ne.s, des élu.es, mobilisés et conscients des enjeux, qui font vivre l’utopie. Ainsi, la mise en lumière et l’essaimage des initiatives existantes sont à la fois des objectifs de notre action et des conditions indispensables à sa réalisation totale. Ces initiatives sont autant de témoignages de l'urgence de repenser nos modèles alimentaires vers la mise en place d’une démocratie alimentaire.
Différentes initiatives nous ont contacté pour se former sur les enjeux agricoles et alimentaires et s’inspirer du projet de sécurité sociale de l’alimentation afin d’envisager des mesures à mettre en œuvre sur leurs territoires : à l’échelle d’un quartier, d’une municipalité, d’une communauté de commune... Dans la mesure du possible, ISF-Agrista est volontaire pour appuyer les démarches de mouvements qui souhaitent prendre en compte les enjeux soulevés dans le projet de sécurité sociale de l’alimentation. Ces initiatives nous permettent aujourd’hui de nous appuyer sur leurs expériences pour penser l’organisation d’une sécurité sociale de l’alimentation : l’existant est en partie déjà là, nous souhaitons participer à le mettre en avant, à valoriser ce qui est fait et à contribuer à l’essaimage de ces pratiques.
En revanche, expérimenter la mise en place concrète du système sur différents territoires ne pourra être une expérimentation de la sécurité sociale de l’alimentation en tant que telle : l’échelle nationale et son caractère universel, le financement mis en place par des cotisations ne sont pas envisageables à l’échelle locale. Néanmoins, se réapproprier cette question sur les territoires peut aussi se concrétiser par la mise en place d’actions, de projets qui avancent vers la démocratie alimentaire. Dans ce document, nous présentons les grandes lignes indispensables pour toute initiative souhaitant se revendiquer comme une étape vers une sécurité sociale de l’alimentation, ainsi que quelques expériences, des projets portés par des collectifs ou des mesures politiques prises par des élus.
A) Quatre principes indispensables pour aller vers une sécurité sociale de l’alimentation
-
Souscrire au socle commun du collectif pour une sécurité sociale de l’alimentation et reconnaître la nécessité de politiques macroéconomiques en appui aux dynamiques locales
Le projet de sécurité sociale de l’alimentation repose sur un financement par une cotisation sociale prise sur la valeur ajoutée produite par l’économie ; toute expérimentation locale vers une sécurité sociale de l’alimentation ne pourra expérimenter ce type de dispositif. Si d’autres pistes de financement sont à l’étude, des collectivités locales à l’Etat en passant par les fondations ou la participation citoyenne, ceux-ci doivent permettre à ces initiatives d’avancer, d’expérimenter, mais ne peuvent en aucun cas démontrer qu’une sécurité sociale de l’alimentation peut fonctionner sans une politique macro-économique : les inégalités territoriales ne risquent de se retrouver que d’autant plus renforcées par la mise en place locale de ce type d’initiatives, et ce n’est pas du tout notre horizon.
Le projet de sécurité sociale de l’alimentation vise à une démocratie alimentaire la plus locale possible, tout en couplant ce dispositif avec une logique de droits universels pour l’ensemble des habitant.es du territoire : c’est bien l’enjeu de cette collaboration avec des initiatives locales que de coupler les deux.
-
Coupler droit à l’alimentation et transformation de la production agricole et alimentaire
Le droit à l’alimentation ne peut s’émanciper d’un pouvoir de décider ce qui est produit par le système de l’alimentation, en tant que citoyen. C’est pourquoi pour nous, le principe de démocratie alimentaire doit être au cœur du dispositif. Les produits qui sont accessibles par ces mécanismes doivent faire l’objet d’une démarche de sélection sur la base de critères de production agricole et alimentaire qui conviennent aux destinataires des produits ; et non uniquement d’un accès à des produits, sans réflexion ou pouvoir sur cet approvisionnement. Ce travail nécessite de mettre en place les apprentissages nécessaires aux conditions de production agricole et alimentaire.
Ainsi, une initiative qui se revendique d’une sécurité sociale de l’alimentation doit travailler conjointement le droit à l’alimentation, le droit des producteurs.trices d’alimentation (dans la production agricole comme dans la production agro-alimentaire) et le droit de l’environnement.
-
L’universalité de l’accès au mécanisme mis en place
Nous refusons toute initiative qui proposerait un mécanisme, quel qu’il soit, ouvert à une partie seulement de la population, quels qu’en soient les critères. Nous refusons ainsi d’entrer dans une modernisation de l’aide alimentaire, qui continuerait de discriminer un type de public en fonction de leurs revenus.
Bien sûr, les mécanismes mis en place peuvent demander des contributions différentes en fonction des revenus des participant.es, quitte même à demander des dons ou cotisations pour les personnes les plus aisées, pour augmenter la possibilité de financer l’alimentation de personnes dans le besoin.
-
Travailler la gouvernance démocratique du dispositif
Partir de ce que la population souhaite manger et donner à tous l’accès à ces produits est la base de la remise en cause du système agroalimentaire industrialisé aujourd’hui et des politiques à envisager, même au niveau local. L’ensemble des participant.es du dispositif doivent être les principaux décideurs de l’alimentation qui sera accessible par le dispositif.
Une initiative souhaitant se revendiquer d’une sécurité sociale de l’alimentation devra travailler des mécanismes de prises de décisions collectives les plus démocratiques possibles.
B) Exemples d’initiatives existantes à partager
Nous espérons que vous pourrez trouver dans ce document une source d’inspiration, de mutualisation de pratiques ! Nous avons organisé ce document en quatre parties, avec un bref retour sur les enjeux et les propositions qui correspondent.
1) Revoir l’aide alimentaire fournie par les associations ou centres sociaux de distribution locale.
Souvent, les aliments distribués proviennent des surplus de l’agro-industrie, ce qui permet aux industries agro-alimentaires de justifier l’intérêt de leur surproduction par l’aide aux populations précaires et de bénéficier de réductions fiscales (loi Garot). Parallèlement, pour les personnes ayant recours à cette aide, récupérer des invendus dégrade encore un peu plus leur dignité. La lutte contre le gaspillage alimentaire ne doit pas être réalisée par l’aide alimentaire, qui forcément gaspille d’autant plus, mais en amont en réfléchissant aux manières de produire.
Ce qui se fait sur des territoires face à cela :
-
Inciter et donner les moyens (financier et matériel) aux associations d’aides alimentaires de fournir une alimentation choisie par les personnes qui en bénéficient, premier gage de la « qualité » de la nourriture. Ceci peut se faire en facilitant les liens entre producteurs et associations d’aide alimentaire (voir projet alimentaire territoriale en terre de Lorraine).
-
Promouvoir des systèmes d’aide alimentaire qui prennent en compte l’envie des personnes en termes d’alimentation, pour remettre le mangeur au centre de son alimentation et avancer vers la démocratie alimentaire (voir le travail fait avec les épiceries solidaires en AURA – projet Accessible). Comme à Brest dans le quartier de Keredern (projet Accessible), des centres sociaux peuvent être organisateurs de lieux d’approvisionnements de produits de qualité. Ou encore, le travail fait avec l’association VRAC pour faciliter l’achat de produits alimentaires par des personnes en situation de précarité alimentaire.
-
Créer de nouvelles formes de solidarités alimentaires à partir d’autres acteurs : AMAP, magasins de producteurs, biocoop, coopératives de consommateurs (ces dernières expérimentent déjà souvent la démocratie dans le choix des produits qu’elles vendent !)… La mise en place de paiements en fonction du quotient familial, ou de dons possibles à ces structures (parfois grâce à des alliances avec des organisations de l’aide alimentaire, qui permettent, grâce à la défiscalisation des dons, de démultiplier l’accès solidaire à ces produits, ou bien en récupérant un financement de l’aide alimentaire) permettent de réinventer de nouvelles formes de solidarité alimentaire (voir l’exemples des paniers marseillais ou d’Optim’ism à Lorient, financé par l’université de Bretagne et les CCAS de certaines communes, ainsi que les actions du GAB65). Il convient de prêter attention, sur ce type d’initiatives à la visibilisation des personnes, et aux critères pour qu’elles en bénéficient. La plus grande discrétion dans la gestion des données, et la confiance dans le système déclaratif sont à favoriser !
-
Lors du confinement du printemps 2020, un nouvel acteur est venu organiser de nouvelles formes d’aides alimentaires : la CNAF, qui, en lien avec des organisations agricoles, a décidé de financer des paniers de produits frais aux plus défavorisés. Une mise en place a eu lieu à Lille et à Brest, à démultiplier !
Acteurs à mobiliser :
Aide alimentaire : banques alimentaires, secours populaire, Resto du cœur ou Croix Rouge pour les principaux. Secours Catholique, ATD quart monde, SAMU social plus rarement. En fonction de la dynamique locale, ces acteurs seront plus ou moins enclins à s’impliquer pour transformer leur fonctionnement.
Centres sociaux : contactez les CCAS !
2) Palier les non-recours et difficultés pour se nourrir avec des produits bruts.
Un certain nombre de travaux montrent aussi qu’une grande partie de personnes ne passent plus par les associations d’aide alimentaire et peuvent éprouver également des difficultés matérielles (accès aux matériels et temps) pour se préparer à manger et se nourrir.
Ce qu’il se fait sur les territoires :
-
Mettre en place des espaces collectifs pour cuisiner (un peu comme les bains/douches municipaux). Ces espaces pourraient aussi être des lieux d’échanges de pratiques et de convivialité. Exemple de la cuisine collective au palais de la Femme (qui a complété ce dispositif avec une aide de 5€ par personne et par jour pour se nourrir).
-
Avoir un restaurant collectif public ouvert le midi pour tous, comme c’est le cas à Lons-le-Saunier dans le Jura. Le prix des repas pourrait être mesuré selon les niveaux de revenu des personnes, et on peut également penser son ouverture le soir. Le choix des menus et des approvisionnements pourrait dans l’idéal être décidé par des collectifs d’usagers, ce qui peut avoir un impact fort sur la production agricole locale.
3) Assurer la bonne rémunération et de bonnes conditions de travail aux acteurs de l’approvisionnement alimentaire.
Certains agriculteurs souffrent du manque ou de l’instabilité de débouchés sûrs et constants dans le temps. D’autres hésitent à effectuer des transitions de systèmes de production de par l’absence de débouchés sécurisés pour assurer l’écoulement de leurs productions. De plus, pour les jeunes agriculteurs cherchant à s’installer, les difficultés d’accès à la terre sont immenses et sont accentuées par l’accaparement des terres par des fonds privés ou des fermes sans limites d’agrandissement.
Ce qu’il se fait sur les territoires :
-
Assurer la bonne rémunération pour les fournisseurs des produits alimentaires, de trois manières possibles :
-
En basant les marchés publics sur les principes du commerce équitable pour contractualiser avec les fournisseurs (contrat prix-volume garanti de façon pluriannuelle et travail sur le prix à partir du coût de revient des produits, avec une prime de développement agricole)
-
En investissant dans des structures associatives ou coopératives permettant d’approvisionner la collectivité tout en donnant la possibilité à chaque acteur de la filière (des paysans aux mangeurs en passant par les salariés de la structure et les élus de la collectivité - voir les structures du réseau Inpact) d’être entendu et de participer aux décisions (comme les SCIC Manger Bio créées par le réseau FNAB).
-
En salariant les producteurs de l’alimentation (agriculteurs et transformateurs, légumerie par exemple) qui fournissent les restaurants collectifs dans le cadre d’une régie publique de l’alimentation (voir la commune de Mouans Sartoux).
-
-
Intégrer un volet foncier dans les projets alimentaires territoriaux. Par exemple en achetant des terres ou en soutenant des fonciers solidaires et environnementaux (ex: Terre de Liens, Lurzaindia, etc.) afin d’installer des agriculteurs à proximité qui pourraient ensuite les fournir.
-
Assurer la préservation du foncier agricole plus généralement, en abandonnant tous les GP2I (grands projets inutiles et imposés) gourmands en terres agricoles. On peut mettre en œuvre volontairement le principe de zéro artificialisation prévu dans le plan biodiversité gouvernemental de 2018 (cf. Rapport France Stratégie de 2019).
-
Mettre en œuvre une politique d’installation paysanne en collaboration avec les membres des réseaux de type Inpact et Fnab afin d’assurer le renouvellement des générations agricoles nécessaire à la production d’une alimentation de qualité sur les territoires.
Acteurs avec lesquels discuter : membres du réseau Initiatives pour une agriculture citoyenne et territoriale (Inpact) – Réseau Civam, Afocg, Terre de liens, Fadear, Atelier paysan, Nature et Progrès, Miramap, Solidarité paysans -, Fédération d’agriculture biologique (Groupements d’agriculture biologique, Civam bio, etc.), syndicats agricoles (Confédération paysanne, Modef).
4) Améliorer l’appropriation des thématiques agricoles et alimentaires par les citoyens.
Aujourd’hui les sociologues notent une distanciation importante entre les producteurs et les mangeurs. Cette distanciation provient de l'éloignement géographique des populations urbaines vis-à-vis de l'espace rural et est renforcée par l'industrialisation croissante de l'agriculture. Il semble donc pertinent de permettre aux citoyens de se réapproprier ces enjeux ainsi que leur alimentation pour pouvoir ensuite construire leur positionnement et leur avis.
Nous incitons toute personne motivée par une sécurité sociale de l’alimentation à :
-
Collaborer et soutenir toutes les initiatives populaires permettant cette réappropriation, notamment les associations d’éducation populaire pour qu’elles puissent faire émerger les débats auprès de nombreux publics.
-
Défendre les aides aux actions sociales et de prise en charge des maladies nutritionnelles et de malnutrition. En effet, les difficultés que rencontrent certaines familles pour se nourrir sont en grande partie liées à des difficultés sociales qui prennent le pas sur les principes de la nutrition qu’elles n’ignorent pas pour autant. Il est selon nous très important de poursuivre l’accompagnement et le soutien de ces familles par les actions sociales et d’éviter d’utiliser l’alimentation comme un vecteur supplémentaire de discrimination.
-
Proposer un accès pour toutes et tous, sans conditions de ressources, à des consultations gratuites ou à somme modique de nutritionnistes et/ou diététiciens afin de permettre de se construire une alimentation en rapport avec ses besoins propres.
-
Mettre en place des débats publics sur les enjeux agricoles et alimentaires du territoire, et leur inscription dans des dynamiques territoriales plus larges.
Document rédigé par les membres d’ISF-Agrista
qui travaillent sur le projet de sécurité sociale de l’alimentation.