ÉCOLE HECTAR… Une formation sans enseignant·es et une agriculture sans paysan·nes
Le Gouvernement fait le choix du privé
Ce projet Hectar met à nouveau en danger très directement l’Enseignement agricole public car rappelons qu’il y a quelques mois à peine, la loi autorisait l’ouverture d’établissements privés dans la formation vétérinaire, qu’un nouveau lycée agricole privé est annoncé à Sevran pour 2022, tandis qu’à quelques kilomètres de là, le domaine public de Grignon (site historique et performant de l’enseignement supérieur agricole) est en cours de liquidation et pourrait devenir un nouveau centre de formation agricole privé…
D’un côté le Ministère démantèle un service public d’enseignement agricole, par les baisses de budgets drastiques sur les dernières lois de finances (-300 équivalents temps plein sur le quinquennat), mais de l’autre favorise un enseignement privé qui, lui, profite clairement d’une marchandisation de la formation professionnelle introduite par la loi Pénicaud de 2018.
Quel statut pour cette école ?
Problème, à cette heure nous n’avons aucune information sur la nature de cette « école », sur son statut, sur les voies de formation dispensées, les niveaux concernés, les diplômes qui seront délivrés, sur les systèmes de délivrance eux-mêmes et jusqu’à la reconnaissance de ces diplômes… un flou qui interroge mais n’empêche par le Conseil Régional d’Île de France de subventionner cette école à hauteur de 200 000 euros.
Conflit d’intérêt au profit de promoteurs privés
Et l’on a découvert également par voie de presse que la société, "S4H Asso", à l’origine du projet est détenue pour moitié par Audrey Bourolleau, ancienne conseillère agriculture d'Emmanuel Macron (en campagne, puis à l’Élysée), et par Xavier Niel, homme d’affaire français... des proches du pouvoir qui auront visiblement obtenu le consentement des plus hautes autorités de l’État pour lancer leur affaire, alors qu’aucune instance de consultation de l’Enseignement agricole n’a été ne serait-ce qu’informée. Aucun avis n’a encore été donné sur un projet qui aura pourtant un effet sur l’offre de formation sur un secteur déjà tendu. Cette école s’implante dans le département des Yvelines c’est à dire dans un des territoires franciliens les mieux dotés en offre de formation et les plus riches, ce qui creusera un peu plus les inégalités entre les départements de la région.
Il revient à l’enseignement agricole public de renforcer et de répartir l’offre de formation sur l’ensemble du territoire afin de répondre à la fois aux besoins des familles, des professionnels et de la société en général.
Étonnamment si l’on écoute les deux associé·es il semble ne rien exister aujourd’hui, ni quantitativement, ni qualitativement, en terme d’offre de formation. Ils seraient donc les mécènes tant attendus par le monde agricole. Pourtant l’Enseignement Agricole Public assure depuis toujours la formation des professionnel⋅les du monde agricole et plus largement des filières en lien avec le Ministère de l’agriculture (eau, forêt, paysage, agroalimentaire, services en milieu rural,…). Mais rappelons que Madame Bourolleau occupait une place privilégiée auprès du Président de la République et que nous ne l’avons pas entendue défendre l’enseignement agricole qui subissait déjà de fortes réductions de crédits et de postes lors de sa présence à l’Élysée. Par contre, il n’aura pas fallu beaucoup de temps entre son pot de départ élyséen et la crémaillère de son « campus agricole », cette dernière ayant en effet été particulièrement prompte à réaliser son rêve... ou plutôt à déployer les tréteaux de son « officine privée » pour répondre aux nombreux enjeux sociétaux qui sont devant nous !
Le renouvellement des paysan.nes, un enjeu qui mérite mieux !
Ainsi, les chiffres vertigineux du défi à relever, notamment en terme de renouvellement de générations - moins de la moitié des agriculteur.rices à remplacer et donc former en moins de 10 ans - semblent avoir aiguisé les appétits et motivé ces investisseurs. Car le problème et la « vérité des prix » sont bien là : ils voient dans ce champs de formation une opportunité de profits. Et si, en plus, tous·tes ces futur·es professionnel·es deviennent des utilisateur·rices des réseaux, des logiciels, des outils de diffusion … dans lesquels les mêmes investisseurs ont des intérêts, cela tombe plutôt bien. Soulignons que l’agriculture est le deuxième secteur demandeur d’objets connectés après l’industrie.
On peut alors s’interroger sur ce qu’il restera du secteur de la formation agricole dans 10 ans quand cette manne se sera réduite et que le système public aura définitivement été mis à mal…
Une école sans enseignant·es
Bien évidemment dans cette optique le recrutement d’enseignant·es est un problème. Les porteurs de ces projets s’empressent donc de signaler que ces formations seront assurées par des professionnel⋅les « en misant sur le "pair à pair", c’est-à-dire la transmission de professionnels à professionnels.»… ou quand la notion de formation flirte avec celle de formatage et l’enseignement manque de recul analytique et critique.
Mais la réalité les rattrapera et sans scrupules ils sous-traiteront avec les centres publics de formation voisins le recrutement d’enseignant·es et de formateur·rices qualifié·es.
Une agriculture plus propre mais sans paysan·nes
La formation agricole semble donc attirer les investisseurs de tout poil qui au travers d’une communication parfaitement maîtrisée nous expliquent leur volonté de participer au changement nécessaire de l’agriculture.
Sur le plan social, il y a urgence à maintenir et recréer des fermes nombreuses où travaillent des paysannes et des paysans autonomes :
- autonomes et en lien avec les besoins alimentaires des territoires et non pas avec ceux d'une industrie agro-alimentaire soucieuse de conserver et conquérir des marchés,
- autonomes et non pas "ubérisé.es" par un aval qui leur laisse prendre tous les risques et qui fixe les conditions d'écoulement des produits,
- autonomes et non pas "déchargé.es des décisions" par une technologie envahissante, coûteuse et aliénante entraînant la dépossession du travail des cerveaux et des mains par la machine.
Sur le plan social toujours, face à la double surexploitation des ressources naturelles et du travail et en opposition à la course à la « compétitivité », il y a nécessité à prendre en compte les intérêts des salarié·es de l’agriculture et de l’agroalimentaire, leur rémunération et leurs conditions de travail et de vie.
Sur le plan environnemental, il y a urgence à participer à la lutte contre le dérèglement climatique et l'effondrement de la biodiversité. Mais pas en préparant une agriculture qui stocke du carbone pour vendre de la compensation et permettre ainsi aux autres activités de ne pas évoluer. Oui, l'agriculture doit changer pour répondre aux enjeux sociaux et environnementaux... comme toutes les activités !
Elle ne peut être la variable d'ajustement, la bonne conscience d'un système économique mortifère qui n'évoluerait pas dans son ensemble.
Si nous partageons la nécessité d’une évolution des modes de production et de transformation en agriculture, la conception de cette nouvelle agriculture vu par Monsieur Niel n’est pas la nôtre.
Car l’homme d’affaire n’est certainement pas le philanthrope désintéressé qu’il veut incarner. A propos des futur·es étudiant·es, Audrey Bourolleau explique que « ... Ce que nous voulons leur donner, c’est vraiment une posture de chef d’entreprise agricole ». Car oui il s’agit bien de former des entrepreneurs-managers et non des paysans ; une vision qui n’est pas neutre surtout quand ses défenseurs sont les adeptes de la "start-up nation".
C’est d’ailleurs une posture qui se confirme par l’association annoncée entre l’école Hectar et l'école "42" un autre campus de startups fondé lui aussi par Xavier Niel. En effet il déclare que le campus Hectar accueillera un programme de formation sur l'intelligence artificielle (IA) appliquée à l'agriculture destinée aux étudiant.es de l’école 42. Au programme de la formation : l’immersion des apprenti·es codeurs au cœur « d’un écosystème agricole et entrepreneurial », une agriculture hors sol, des serres verticales et connectées, des décisions par l’IA sur les conduites de culture, utilisation et programmation de robots de désherbage…
En parallèle du projet "Hectar", Monsieur Niel vient de lancer un "véhicule financier" d'investissement dans l'agriculture biologique (https://fr.2mxorganic.com/). Cette nouvelle école entend aussi fournir les agriculteur⋅rices et professionnels nécessaires à la réalisation de cette entreprise financière d'accaparement de la valeurs de la production agricole française de qualité (ou du moins écologique ou biologique).
Une communication bien huilée pour rassurer les professionnels du secteur
Bien entendu Monsieur Niel, patron de presse, gère parfaitement sa communication et se garde bien de froisser qui que ce soit. Après avoir lancé une campagne pour le bien-être animal et s’être exprimé sur la fin de l’élevage traditionnel, au profit des alternatives aux protéines animales (il a d’ailleurs investi dans la société « les Nouveaux Fermiers » qui se présente comme une start-up spécialisée dans la production de steaks végétaux), il s’est empressé de rappeler qu’il ne remettait pas en cause l’élevage et qu’il mangeait toujours de la viande. Un message rassurant à destination de la FNSEA, des JA et des Chambres d’agriculture qui s’inquiétaient de voir cette école remettre en cause le modèle existant – message visiblement suffisant pour apaiser les craintes de Christiane Lambert.
Audrey Bourolleau et Xavier Niel nous proposent donc une agriculture de demain plus respectueuse de l’environnement sans doute mais qui ne remet nullement en cause le système productiviste bien au contraire et où semble-t-il l’agriculteur·rice n’est plus un homme / une femme de la terre mais un·e informaticien·ne qui travaillera avec l’Intelligence Artificielle et la robotique.
L’exigence d’un service public de la formation conforté et ambitieux
Contre l’école Hectar, il nous faut collectivement refuser et dénoncer cette vision libérale de la formation professionnelle et d’une agriculture toujours plus productiviste.
Par une nouvelle fiscalité, les sommes engagées ici par Monsieur Niel et Madame Bourolleau devraient permettre de financer des politiques publiques, décidées démocratiquement, pour répondre à l'intérêt général et non au profit de quelques un·es.
Il est de notre devoir d’exiger la priorité à l’offre publique de formation corrélée à un plan ambitieux. Il permettra d’assurer le renouvellement de la moitié des agricultrices et agriculteurs qui partiront en retraite sous 8 à 10 ans. Il accompagnera la nécessaire transition agro-écologique et la ré-installation sur tout le territoire de fermes à taille humaine respectueuses des animaux, de la terre, des femmes et des hommes qui y travaillent.
Le Snetap-FSU, la CGT-Agri, FO-Enseignement Agricole, la Fnaf-CGT, SUD Rural Territoire, le Sea-UNSA, la FADEAR, la FSU, la FCPE, la Confédération paysanne et ISF Agrista lancent un appel à une journée d'action militante en faveur de l'Enseignement Agricole Public devant le site qui sera utilisé par l'école HECTAR – sur la commune de Lévis saint Nom dans les Yvelines. Cette action est fixée au mardi 29 juin (11 h 00 – 16 h 00). |