Le Commerce Équitable se relocalise
Au milieu des années 2000, les groupes locaux d'Ingénieurs sans frontières qui vendaient ou faisaient des dégustations de produits issus du Commerce Équitable ont commencé à créer des paniers de produits locaux entrainés par le mouvement alors naissant des AMAPs. Spontanément, les groupes ont fait le lien entre ces actions de consommation responsable. Un exemple, le groupe de Nancy a proposé aux producteurs fournissant leur panier local d'y rajouter des bananes ou encore du chocolat équitables.
Ces groupes étaient alors inconscients du débat qui agitait le monde du Commerce Équitable. Certains militants du Commerce Équitable voyaient se dessiner dans la tête des consommateurs l'équation inexacte: "circuit-courts de consommation" égal "équitable". En effet, si ces deux pratiques partagent de nombreux points communs, notamment dans la solidarité entre producteurs et consommateurs, la réduction de la place des intermédiaires n'est pas suffisant pour faire du Commerce Équitable. En 2005, ces débats sont tranchés par la loi. En effet, la loi du 2 août 2005 sur les Petites et Moyennes Entreprises donne une définition du Commerce Équitable qui limite la relation commerciale entre « des pays développés et des producteurs désavantagés situés dans des pays en développement ». Pour la loi, c'est clair : le local ne peut pas être équitable.
La loi ne fait pas la vie citoyenne...
Néanmoins, la loi ne fait pas la vie citoyenne. Depuis 2005, de nombreuses initiatives visant à faire le liens entre Commerce Équitable « Nord-Sud et local au Nord » ont continué de se développer (cf. exemples ci-dessous). Ces initiatives diverses, et pas toujours cohérentes entres elles, ont connu des succès très différents. Certaines ont disparu, d'autres sont florissantes. Toujours est-il qu'elles ont, par la pratique, continué les débats sur le Commerce Équitable Nord-Nord. Elles ont fait évoluer les pratiques et les consciences sur l'idée que les problèmes des paysans du Sud et du Nord sont similaires sur nombres de points bien que différents en intensité. La preuve en est aujourd'hui la communication, voire la récupérations pour certains, de tous les syndicats agricoles français sans exception sur l'année internationale de l'agriculture familiale.
En 2011, la Plate-forme Française pour le Commerce Équitable (PFCE) ré-ouvre la discussion en interne et contacte le réseau InPACT, collectif de neuf réseaux nationaux français de développement agricole et rural associés pour promouvoir une agriculture durable et respectueuse de l’environnement. En trois ans de travail, ces organisations, convaincues de la pertinence et de l’efficacité des outils mis en place par les acteurs traditionnels de Commerce Équitable afin de renforcer les agricultures familiales dans les pays du Sud, ont entrepris de les adapter aux réalités et au contexte français. C'est ainsi qu'est née la Charte du Commerce Équitable local.
Cette charte s'articule autour de trois thèmes déclinés en quatorze principes :
Une relation commerciale équitable et responsable
- Un prix transparent et rémunérateur
- Un partenariat commercial sur du long terme
- Une relation non-exclusive qui préserve l’autonomie des producteurs
- Un projet de développement partagé
- Une filière éco-responsable
- Des conditions de travail respectant la dignité humaine
Une agriculture citoyenne et durable
- Une agriculture citoyenne et territoriale
- Des pratiques agricoles durables, autonomes et transparentes, qui s’appuient sur des modes de production biologique et/ou agro-écologique paysans
- Une organisation de producteurs démocratique
- Une production basée sur les ressources et les spécificités locales
Un changement des pratiques commerciales
- Transparence et communication vis-à-vis des consommateurs
- Sensibilisation et éducation des consommateurs
- Plaidoyer à destination des décideurs économiques
Elle a été signée le 27 juin dernier par la PFCE, InPACT et la Fédération Nationale d'Agriculture Biologique. Cette signature s'inscrit aussi dans un contexte de regain d'intérêt institutionnel et ministériel pour le Commerce Équitable. Ainsi la loi sur l'économie sociale et solidaire votée le 3 juillet propose une nouvelle définition du Commerce Équitable et son ouverture à des relations commerciales avec des producteurs des pays du Nord, et notamment de France. Un résultat qui n'a rien d'une coïncidence et qui finalement prend acte des initiatives fructueuses menées dans le sens d'un Commerce Équitable local au Nord et encourage leur développement.
Paradoxalement, alors que le débat était parti du développement des circuits courts de consommation, la charte se préoccupe uniquement des circuits longs locaux avec des intermédiaires commerciaux et de transformation. En effet, les signataires de la charte ont considéré que la relation directe dans le circuit-court ne nécessitait pas l'inscription dans une charte puisque l'éthique de la relation commerciale peut-être être directement discutée et négociée entre producteurs et consommateurs. Cela n'empêche pas que la nouvelle loi ouvre la possibilité des initiatives de circuits court de se réclamer du Commerce Équitable.
Il ne faut pas croire que les débats sont clos autour du Commerce Équitable local au Nord. La charte n'est finalement qu'un acte fondateur. Aux producteurs, à leurs acheteurs et aux consommateurs de s'en emparer pour faire évoluer notre pratique vers plus de justices et de responsabilité..
Quelques exemples d'initiatives de Commerce Équitable local au Nord depuis les années 2000 :
Les fruits de la solidarité
Aide technique aux bénévoles pour la création d'entreprise en Afrique (ATB), une ONG savoyarde de solidarité internationale a participé à la création du Centre de Séchage des Fruits Tropicaux du Bénin (CSFT) qui transforment des fruits séchés notamment destinés au Commerce Equitable. En 2001 ATB propose d'aller plus loin et contacte Thomas Leprince SA une PME Savoyarde spécialisée dans la production et la transformation de fruits. L'idée est de produire des confitures composées de fruits locaux et de brisures issues de la transformation des fruits équitables du CSFT. C'est ainsi que naissent les confitures des fruits de la solidarité.
Artisans du Monde et les produits locaux
En 2006, la fédération Artisans du Monde, pionnière dans le Commerce Équitable en France et premier réseau de magasins spécialisés dans le Commerce Équitable en France prévoit la possibilité pour ses boutiques de vendre des produits locaux à concurrence de 10 % de leur chiffre d’affaires. Un chargé de mission national est même embauché pour accompagner les boutiques dans cette démarche.
Minga, Nature et Progrès et le Système de garantie participatif
Dès 2006, l'association de Commerce Équitable Minga et le label d'agriculture biologique et solidaire Nature et Progrès travaillent ensembles à la création d'un Système de garantie et d’amélioration participative (SGAP) commun pour les produits du Nord et du Sud. Il s'agit d'impliquer les consommateurs dans l'évaluation du partenariat économique entre les différents acteurs de la Filière.
Altereco et Ethiquable
En 2011, chacune de leur coté, deux entreprises pionnières dans le Commerce Équitable Nord-Sud : Altereco et Ethiquable lancent des gammes de produits issus de l'agriculture française. L'idée est de proposer des légumes secs, des céréales et de l'huile produits par des coopératives regroupant des producteurs biologiques français en leur proposant des partenariats économiques calqués sur ceux que ces entreprises ont l'habitude de conclure avec les organisations de producteurs du Sud.
Ensemble pour plus de sens
Le réseau de magasin biologique Biocoop propose une gammes de produits français issus de filières équitables et durables. Biocoop fort d'un partenariat de presque 15 ans avec la Fédération nationale d'agriculture biologique (FNAB), contractualise avec des groupements de producteurs biologiques avec un cahier des charges recoupant les notions suivantes : transparence, traçabilité, solidarité et qualité.