En 2020, les écoles d'ingénieur·es forment-t-elles toujours "des petits soldats de l'ingénierie" ?
"Vous êtes dangereux. Car dans vos études, on ne vous a pas appris à évaluer les conséquences négatives de votre savoir, d'un point de vue social ou écologique. On ne vous a pas appris les alternatives aux technologies dominantes pour lesquelles vous êtes formés. Pour la majorité d'entre vous, vous allez appliquer les techniques enseignées dans cette école, sans recul critique. Et c'est ce qu'on attend de vous, c'est pour cela que les grandes entreprises vont vous embaucher. Vous êtes en quelque sorte les "braves petits soldats" de la technologie industrielle."
Cette citation résume à elle seule la plupart des inquiétudes d’ISF vis-à-vis des formations d’ingénieur·es. Entre 2005 et 2013, un premier programme Former l’Ingénieur Citoyen (FormIC) va naître, ISF va participer à la réalisation d’une thèse sur l’enseignement des sciences sociales en école d’ingénieur·e, organiser des colloques, développer le sujet... Pour donner une forme plus concrète à ces recherches, un programme de transformation des formations va être porté plusieurs années. Aujourd’hui ce programme est arrêté, mais certains groupes locaux restent parfois partie prenante dans les évolutions du programme pédagogique de leur école.
En 2013, Ingénieurs sans frontières propose un manifeste pour une formation citoyenne des ingénieur·es. Ce manifeste contient deux grandes parties, l’une développe notre vision d’une formation citoyenne des ingénieur·es, défendant l’esprit critique, une vision non neutre de la technique, une responsabilité collective, notamment dans les organisations avec la remise en question de la légitimité de « l’ingénieur·e cadre », ou envers la société avec la fin de l’élitisme et la mise en débat « démocratique » des solutions techniques. La deuxième partie porte sur la gouvernance des formations d’ingénieur·es, qui est jugé insuffisamment transparente, corporatiste, faible en terme d’implication des étudiant·es et trop poreuse aux intérêts privés.
6 ans plus tard, ce manifeste conserve toute sa pertinence. Ingénieurs sans frontières s’est lancé dans un nouveau programme FormIC, soutenu par la Fondation pour le Progrès de l'Homme (FPH). Pour améliorer la participation des étudiant·es à la définition des formations, ISF a proposé à la Comission des Titres Ingénieur (CTI) de créer des sièges réservés aux étudiant·es (demande qui reste pour le moment lettre morte). ISF propose aussi des outils aux groupes locaux comme « le labyrinthe des formations » pour mieux comprendre qui et comment sont décidés les programmes de formation des écoles. Enfin ISF s’associe aux mouvements étudiants récents contre la loi Orientation et Réussite des Étudiant·es ou l’augmentation des frais de scolarité des universités et des écoles.
Dans le même temps, ISF impulse la création d’un observatoire des formations. En effet, la grande diversité des écoles, en terme de thématique, de gouvernance, de budget, etc. rend difficile l’évaluation des formations. Nos critiques nous semblent valables sur l’ensemble des écoles mais à des degrés divers et il nous semble indispensable d’être capable d’évaluer plus précisément chaque écoles individuellement. Cette démarche ne vise pas à effectuer un classement mais plutôt à capitaliser les initiatives qui nous semblent aller dans le bon sens et à guider les étudiant·es dans leurs revendications. L’observatoire des formations travaille déjà avec plusieurs écoles et plusieurs groupes d’étudiant·es. En attendant les premiers résultats, ISF continue de porter les revendications du manifeste pour une formation citoyenne des ingénieur·es.