L'accès à l'énergie, une autre histoire du passé colonial ?
Notre modèle étant basé sur une sur-consommation d’énergie, les multinationales obtiennent des positions politiques stratégiques en s’impliquant dans la production énergétique de nombreux pays. Répondant à des agendas bien souvent différents des populations des territoires dans lesquels ces entreprises s’installent, elles font des choix techniques déconnectés des réalités locales.
Par exemple, au Maroc, les centrales Noor I, II et III basées sur l'énergie solaire semblent correspondre aux ressources locales disponibles et aux directives politiques sur la transition énergétique. Selon le Masen (agence marocaine pour l’énergie durable), l’objectif était de produire 42% de sa consommation via des énergies renouvelables d'ici 2020. Le développement des CSP (1) Noor I, II et III, à Ouarzazate est lancé. L'ensoleillement est largement favorable et le projet encadré par une institution étatique. Cependant, Ouarzazate est située dans les terres, dans une zone touchée par la sécheresse depuis plusieurs années. Or, un accès à l'eau est nécessaire au fonctionnement de la technologie solaire à concentration ; sans parler de l’absence d’infrastructures de transports d’énergie.
Ceci n’est qu’un énième exemple de projets ne respectant pas les enjeux environnementaux et sociétaux. Pour les sites de production fossiles, les multinationales françaises ne semblent même pas considérer ces impacts comparés au gain économique. Total Energie écarte, sans souci, AFIEGO (2) (African Institute for Energy Governance) des discussions pour son projet EACOP (« East African Crude Oil Pipeline » : projet oléoduc chauffé de 1 443 kilomètres traversant les terres ougandaises jusqu’à la Tanzanie). Un front uni entre multinationales françaises, acteurs financiers et gouvernements, en faveur de ces projets menaçant les populations locales et la biodiversité, ne choque plus. Quels impacts peut-on accepter pour justifier un modèle économique basé sur une consommation énergétique toujours plus importante dans une optique de progrès techniques et scientifiques ?
En France, tout projet d'envergure est soumis à une étude d'impact environnementale, reprenant les enjeux humains et économiques, sur la biodiversité et le paysage à différentes échelles. Alors, sous quels prétextes Total Energie justifie-t-elle au Maroc sa pipeline traversant des réserves naturelles sensibles et expropriants des populations indigènes ?
Ce positionnement des firmes françaises dans le développement de projets à l'international laisse l’arrière-goût d’un passé colonialiste. Certes, il semble avoir pris une autre forme. Sous
l'égide du capitalisme, elles exercent un néo-colonialisme économique, elles n'ont que peu de bénéfices à former les populations locales et aucune obligation en cette faveur. La multiplicité de leurs projets et pays d'implantation leur permet de conserver une emprise considérable sur les marchés locaux et une flexibilité à l'entrée et sortie de ceux-ci.
Le devoir de vigilance (3) est-il un début de réponses à cette problématique ? Comment pouvons-nous agir en France pour exiger que ces multinationales françaises respectent les droits humains et environnementaux à l'étranger ?
Qu'en est-il de notre posture personnelle lorsqu'on s'engage dans un projet ayant une dimension à l’international ?
1. Concentrator solar panel : solaire thermique à concentration
2. Afiego est une association qui veut représenter la population dans la gouvernance sur l'énergie https://www.afiego.org/
3. La loi du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance instaure de nouvelles obligations de vigilance à l’égard des sociétés les plus importantes, qui doivent établir et mettre en œuvre de manière effective un plan de vigilance. La loi prévoit l’engagement de leur responsabilité en cas de manquement à ces nouvelles obligations visant à prévenir les risques d’atteintes graves aux droits humains et à l’environnement, y compris lorsqu’elles sont commises par leurs filiales directes ou indirectes, en France et dans le reste du monde.