Rencontres internationales 2014 : comment sensibiliser et mobiliser aux impacts de l'exploitation minière ?
Le 21 mars 2014, dans le cadre d'un programme porté par la Fédération Ingénieurs sans frontières, ISF SystExt a réuni 8 organisations internationales à Marseille pour répondre à ces questions et débattre des modalités de sensibilisation et de mobilisation des citoyens aux impacts de l’exploitation minière. L’objectif était de définir des outils d’éducation au développement et à la citoyenneté pertinents pour faire face aux problématiques majeures posées par cette activité.
Cette journée, intitulée « Explorer la mine responsable – Quels leviers pour les sociétés civiles à l’international afin de rendre les citoyens conscients puis acteurs des choix technologiques, économiques et politiques faits par ou pour l’industrie minérale ? » se sont déroulées en présence de représentants de : l’association chilienne Casa de la Paz, le média indépendant français Basta ! , l’association belge CATAPA, la Commission Épiscopale des Ressources Naturelles de République démocratique du Congo (CERN), l’association états-unienne Earthworks - No Dirty Gold, l’association britannique Fairtrade UK, l’association espagnole Ingeniería sin Fronteras (ISF) Cataluña et l’alliance britannique London Mining Network (LMN).
Mettre en place un espace d’échanges interculturel
L’industrie minérale étant l’incarnation du modèle de filière mondialisée, il était donc nécessaire de s’entourer de représentants d’un grand nombre de pays : États-Unis, Chili, République Démocratique du Congo (RDC), Espagne, Grande-Bretagne, Belgique, et France. De plus, pour rendre compte de la diversité des contextes miniers, étaient représentés des pays dans lesquels l’activité minière est très présente (Chili, RDC) mais aussi ceux où elle a presque disparu (France, Grande-Bretagne). La liste des intervenants s'est enfin voulue représentative des « métiers » de l'éducation au développement. Ainsi, étaient à la fois présents des personnes dont le rôle est d’informer les citoyens, des experts prêts à mettre leurs connaissances au service de la société civile, ou encore des ONG cherchant à sensibiliser les consommateurs ou à interpeller les décideurs.
Un panel aussi pluriel était nécessaire pour explorer de façon pertinente les trois principales questions de la journée : Comment informer et sensibiliser ? Comment mobiliser ? Comment amener une entreprise à une démarche de responsabilité sociale et environnementale ? 12 réponses ont été apportées, 12 leviers permettant d’orienter les actions de ceux qui s’investissent sur les impacts de l'exploitation minière.
Être au plus près des attentes et des revendications locales
Les différences culturelles induisent nécessairement des contextes d’acceptabilité sociale variés : alors qu’au Chili on s’intéresse davantage à une meilleure répartition des recettes minières, on manifestera à la City de Londres pour amener les investisseurs à se désengager de projets scandaleux. Accompagner une population locale concernée par un projet minier requiert en effet de bien prendre en compte le contexte humain et politique dans lequel il s’insère, tout en étant conscient que les attentes sociales et les rapports de force évoluent.
Lors de l'implantation d'entreprises minières, en particulier de multinationales, les populations locales et les gouvernements fondent de grands espoirs sur les opportunités économiques qu'elles peuvent représenter. Les initiatives « sociales » que les entreprises minières mènent alors sont souvent mal perçues par les ONG étrangères, car elles peuvent servir de « monnaie d'échange » ou biaiser les relations État - entreprise. Pour autant, les populations sont de plus en plus demandeuses d'actions sociales ; et c'est pourquoi les acteurs de la société civile doivent s'adapter à ces nouveaux contextes et permettre à chacun des acteurs concernés de s'exprimer. La difficulté la plus grande est alors de créer un espace d'échange égalitaire.
Car la cible prioritaire de la sensibilisation est bien la population directement concernée ; tout d’abord les mineurs et leurs familles, puis les collectifs mobilisés sur les territoires concernés. Pour ce faire, différents moyens d’action mériteraient d’être renforcés par la société civile : le renforcement de l'expertise citoyenne, la diffusion massive et coordonnée des informations sur les résistances locales, et la protection des lanceurs d’alerte et des principales figures militantes.
À l’image de la CERN (RDC) qui visite régulièrement les mineurs pour s’informer de leurs conditions de travail ou de Casa de la Paz (Chili) qui a conçu des kits pédagogiques sur le droit minier au sens large, des outils doivent être développés pour favoriser l’autonomisation des citoyens et travailleurs. Parmi les principaux sujets d’intérêt, on retiendra notamment : les risques liés à l’extraction ou de traitement du minerai, les obligations minimales d’un exploitant ou d’un investisseur lorsqu’il souhaite s’installer sur un territoire et les recours juridiques en cas de violations des dispositions légales en vigueur.
De plus, de nombreux foyers de contestation parcourent le monde, le plus souvent pour exiger des réparations environnementales ou pour empêcher l'installation d'une exploitation minière prédatrice, comme à Tia Maria où l’état péruvien a décrété l’état d’urgence en avril 2015, ou encore à Rosia Montana, en Roumanie, où les manifestations de 2013 et 2014 ont réuni des milliers de personnes. À l’heure de l’essor des réseaux sociaux et des modes de communication numériques, ces initiatives citoyennes doivent être relayées pour que les mobilisations locales se transforment en un mouvement transnational.
Ces deux démarches doivent tenir compte des pressions fortes exercées par les exploitants ou les États eux-mêmes sur les citoyens les plus exposés, que ces derniers dénoncent leur employeur en tant que lanceurs d’alerte ou qu’ils soient porteurs de drapeau des mouvements de contestation. À l’heure actuelle, des dizaines de militants sont encore emprisonnés dans les geôles de tous les continents pour avoir dénoncé des contaminations majeures, des empoisonnements liés à des fuites de produits chimiques, une raréfaction de la ressource en eau, ou une mise en danger d’un écosystème fragile. Il s’agit de protéger ces personnes par la médiatisation de leur situation et amener progressivement les États à décriminaliser la défense des droits humains.
Repenser le lien entre le métal et le citoyen
L'industrie minérale est complexe : délocalisations géographiques, multiplicité des acteurs, technologies spécifiques, impacts variés... Si l'on souhaite sensibiliser aux enjeux de cette industrie, il faut surmonter ces obstacles par renfort de pédagogie et éviter la caricature. Il s'agit d'intégrer le métal dans sa chaîne de valeur : où est-il transporté ? comment est-il transformé ? À quoi sert-il in fine ? Il s’agit de raconter au consommateur l’histoire du métal, depuis son extraction jusqu’à son intégration dans nos produits du quotidien. C’est ainsi que dans son livre-enquête Minerais du sang : les esclaves du monde moderne, Christophe Boltanski retrace le douloureux voyage de l’étain, depuis son extraction dans les mines de Bisié en République démocratique du Congo jusqu’aux décharges de produits électroniques du Ghana, en passant par les fonderies de Malaisie.
Créer des parallèles entre l'activité minière et un autre sujet plus connu du grand public est une stratégie à employer également (le lien entre industrie charbonnière et changement climatique par exemple). Cette approche met en évidence l'omniprésence des ressources minérales dans notre modèle de développement. C'est la raison pour laquelle, au-delà du consommateur qui est souvent éloigné de la mine, c'est le citoyen aussi qu'il faut interpeller.
>> Pour découvrir les 12 leviers identifiés durant ces rencontres, rendez-vous sur le site d'ISF SystExt.
>> Les actes de la rencontre, en français et en anglais, sont téléchargeables ci-dessous ; ainsi que l'affiche de présentation synthétique de ses principales conclusions.