Pour une réappropriation des formations par les étudiants et les mouvements sociaux

La mise en débat et les prises de décision sur les formations d’ingénieurs sont principalement, à l’heure actuelle, du ressort des responsables de ces formations. Pourtant, jusqu’aux années 1970, de nombreux mouvements ont tenté d’influer sur les contenus sociaux de la formation de l’ingénieur.
Flickr - Pierre Metivier - cc
Durant les années 1960, une forte émulation vit s’opposer différents syndicats et organisations professionnelles autour de la définition du « bon ingénieur ». Alors que les organisations corporatistes (FASSFI) et le principal syndicat de cadres (CGC) prônaient le développement de la « culture générale » de l’ingénieur dans une conception relativement élitaire du professionnel, les syndicats de cadres intégrés à des confédérations des travailleurs (CFTC/CFDT-CGT) accompagnés du principal mouvement étudiant (UGE), défendaient une sensibilisation des élèves-ingénieurs aux conditions sociales de la production, voire à leur amélioration.

Période de militantisme actif, ce cycle du débat marquait également un basculement : celui du désengagement des organisations externes dans la définition des formations d’ingénieurs au profit des institutions de formations elles-mêmes. Ces dernières développèrent notamment, au nom d’une meilleure relation avec le monde industriel, un ensemble d’outils chargés de leur permettre de mieux saisir les attentes de l’industrie et tout au moins de légitimer leur propre conception au nom d’impératifs industriels.

Ce basculement nous amène à la situation actuelle d’un débat majoritairement mené par des acteurs de la formation eux-mêmes et par des instances qui en sont l’émanation. La Conférence des grandes écoles (CGE), association réunissant un grand nombre d’écoles de commerce et d’ingénieurs, et dans une moindre mesure la Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs (CDEFI), jouent un rôle considérable, moins comme prescripteurs que comme organisateurs de la circulation des conceptions sur la formation, contribuant à l’homogénéisation des représentations du « bon ingénieur ».

Parallèlement, se sont développés des groupes réunissant des enseignants autour du partage d’une conception commune de cet ensemble de connaissances, appelé par les uns « Humanités », par les autres « éthique » ou bien encore, dans une conception qui tend à être aujourd’hui dominante, « sciences humaines et sociales ». Cette conception, diffusée par le réseau Ingenium, promeut l’institutionnalisation d’enseignements de sciences humaines et sociales définis à partir des objets de l’ingénieur (industrie, production, etc.). Cette définition tend à s’imposer comme norme dominante grâce au rapprochement entre Ingenium et la Commission des titres d’ingénieurs. Cette dernière instance a un rôle cardinal dans le système d’enseignement français en habilitant les formations à délivrer le titre d’ingénieur. Le pouvoir définitionnel dont elle dispose soulève la question
de sa composition. En effet, bien qu’elle se veuille mixte, elle est dominée par des représentants de la profession et des formations, les organisations tierces n’ayant que rarement de positions définies sur la question.

Le recul de l’appropriation des formations par les étudiants, observé depuis les années 1970, ne semble faire l’objet d’aucune préoccupation sérieuse

En définitive, le caractère internaliste des débats saute aux yeux, tant il n’est dirigé que par et pour des représentants de la formation avec, en marge, l’intervention distanciée d’organes corporatistes de la profession aux positions généralement similaires. Cette configuration exclut dans les faits une véritable participation de mouvements sociaux tout autant que le dialogue avec l’Université. Le recul de l’appropriation des formations par les étudiants, observé depuis les années 1970, ne semble faire l’objet d’aucune préoccupation sérieuse. Ce constat, si Ingénieurs sans frontières s’en empare, peut être un nouveau point de départ pour transformer les formations..
29 avril 2013
Antoine Derouet et Simon Paye
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