Solidaire ou solitaire ?
Se rendre utile en conduisant des projets de développement et oeuvrer ainsi pour la réalisation des droits fondamentaux à l’échelle de la planète : ces nobles intentions sont à l’origine de la création des associations de solidarité internationale. Ces dernières regroupent des bénévoles qui souhaitent mettre à disposition du Sud leurs connaissances et leurs compétences, acquises le plus souvent dans leur parcours professionnel. Pourtant, force est de constater que la population qui désire s’engager est majoritairement jeune, et n’est donc pas la plus expérimentée. Cela se comprend par le fait que d’autres motivations jouent un rôle déterminant.
La mission comme prétexte ?
Partir en mission est en effet l’occasion d’aller « voir le monde », de quitter ses activités quotidiennes pour vivre une expérience unique, de se lancer à la découverte d’autres cultures. C’est également perçu pour beaucoup de jeunes comme un moyen de donner du sens à leur propre vie, pensant qu’être au contact des populations les plus fragilisées les fera réfléchir sur leur existence. On s’approche même parfois d’un besoin de compassion : vouloir se trouver auprès des plus démunis et partager leur dure réalité – pour tenter d’effacer un sentiment de culpabilité occidentale face à cette pauvreté ? Les jeunes bénévoles souhaitent aussi partir pour se forger une première expérience, dont ils seront fiers et qu’ils pourront réinvestir au Nord : se sentir plus légitime dans son discours, pouvoir raconter son vécu. Les missions au Sud sont en effet l’objet d’une importante reconnaissance, qui influence nécessairement les comportements. Partir en Afrique aider les populations est plus valorisé que mener une campagne de sensibilisation au Nord.
Nous sommes donc face à un comportement ambigu, où la mission solidaire sert parfois de prétexte à sa propre émancipation. Ces motivations personnelles sont cependant inhérentes à toute action bénévole : l’engagement est un choix, parfois contraignant, et l’individu ne donnera de son temps que s’il y retrouve un minimum de satisfaction. Il ne s’agit donc pas de condamner ces intentions, mais d’en prendre pleinement conscience avant d’aborder la mission.
Être en accord avec soi-même
Dans un projet au Sud, il est bien sûr fondamental de réfléchir au sens et à l’éthique des actions prévues. Mais la réussite de l’entreprise réside aussi dans l’analyse des motivations sous-jacentes des bénévoles. Il est préférable de rechercher la meilleure manière de concilier les objectifs de la mission et les aspirations singulières de chacun, en s’assurant que l’ensemble du projet conserve toute sa cohérence. Si la volonté de partir émane partiellement de l’envie d’apprendre d’une autre culture, il faut créer les conditions d’une rencontre interculturelle profitable. Si la découverte d’une autre région du monde est une motivation centrale, un temps peut être intégré à la mission pour cela. Cette introspection participe également à la pertinence des actions menées lors du retour : être convaincu des raisons pour lesquelles on part, c’est déjà penser aux résultats souhaités. Sans cette préparation, on peut présager que le bénévole reviendra avec une certaine frustration, et peinera à se réinvestir par la suite : il sera alors tenté par des projets plus personnels.
La réflexion peut nous mener plus loin, jusqu’à abandonner même la volonté de départ dans le cadre associatif. Nos motivations individualistes peuvent se révéler incompatibles avec la démarche de solidarité internationale, et l’on pourra considérer qu’il existe d’autres manières d’ouvrir les yeux sur la réalité des autres. Car sans motivations claires au sein d’un projet réfléchi, on est finalement bien plus utile en France pour la solidarité internationale. Vouloir partir pour changer le monde, certes, mais ne perdons pas de vue que l’on peut tout aussi bien changer le monde par ses actions au quotidien..