Une expression conservatrice et réactionnaire par essence
Le principe de l'effet rebond, c'est qu'un effet indésirable réduirait voir contre-balancerait l'effet bénéfique d'un changement (dans cet article je me concentre sur des changements techniques dans le cadre de la transition écologique et énergétique). Par exemple, je réduis la consommation énergétique d'un logement grâce à une meilleure isolation, s'en suit un effet rebond : les utilisateur·ices du logement augmentent la température ambiante, ce qui annule le gain énergétique. Au final la consommation énergétique reste inchangée... (voir même j'ai utilisé et consommé des matériaux polluants inutilement).
Parler d'effet rebond, comme le rebond d'une balle de tennis par exemple, appuie sur des caractéristiques précises : un rebond est imprévisible, "non-souhaité" et difficilement quantifiable. Le fait qu'il soit "non-souhaité" est souvent assimilé à inutile voir nuisible, et la difficulté à quantifier "un rebond" permet de le juger "toujours significatif". Enfin le rebond est inévitable, voir même, il tire sa force de la puissance initiale du mouvement. L'image du rebond est très forte et efficace dans notre imaginaire, elle apporte une vision péjorative du mouvement et du rebond qui dépasse une réalité plus complexe.
Si je reprends mon premier exemple (qui n'est d'ailleurs pas systématiquement vrai), l'aspect imprévisible du rebond est vrai pour un logement mais faux si on considère plusieurs millions de logements. De nombreuses études ont montré cette corrélation du comportement des utilisateur·ices avec l'évolution de leur logement. Il n'est imprévisible que pour des ingénieur·es qui souhaitent un monde où l'usager serait invariant, et dont l'objectif est la diminution de la consommation énergétique des logements (objectif louable par ailleurs) et pas le confort thermique. A l'échelle des décisions politiques, on peut quantifier les comportements et estimer avec plus ou moins de précision les gains réels effectués en terme de consommation selon les niveaux de rénovation. L'aspect imprévisible du rebond est donc à nuancer.
Ensuite, il est très probable que ce "rebond" n'ait pas été inutile, le confort thermique a certainement augmenté dans les logements et on devrait se poser la question de savoir s'il était suffisant à l'état initial (sans isolation). Même si la décision d'isoler le logement est prise dans le but de réduire la consommation énergétique, pour autant l'amélioration du confort n'est pas "une perte", ce n'est pas "inutile" (évidemment ça dépend si la température ambiante est passée de 15°C à 20°C ou si elle est passée de 20°C à 25°C). Quoi qu'il en soit le terme "effet rebond" aura tendance à nous faire considérer le rebond comme "indésirable", ce qui n'est pas toujours le cas.
Enfin, l'effet rebond n'est pas complètement généralisable. Dans un appartement impossible à agrandir et déjà chauffé à 25°C, il n'y aura pas d'effet rebond suite à l'isolation. De même, la contrainte économique ou l'éducation des usagers peut permettre d'éviter le comportement de "rebond". Dans le monde réel, le rebond n'est pas inévitable.
Je ne défends pas l'idée que "l'effet rebond" n'existe pas, je souhaite mettre en valeur la portée péjorative de ce terme, qui discrédite une action (l'isolation d'un logement dans cet exemple, mais la portée péjorative est vraie quel que soit l'exemple) en lui associant l'idée que ses bienfaits sont compensés par des méfaits imprévisibles, indésirables et inévitables, ce qui la rendra inutile. Le terme "effet rebond" permet de justifier l'inaction, voir carrément de condamner l'action, c'est donc un terme conservateur et réactionnaire.
Attention, même si je pense réellement que le terme "effet rebond" est conservateur, je ne dis pas qu'il est toujours utilisé consciemment de cette manière.
Un "effet rebond" systémique ?
Avant de revenir sur l'effet rebond "en général", je souhaiterais détailler un cas particulier: l'effet rebond de "gain de pouvoir d'achat pur". Par exemple, ma voiture consomme moins d'essence par une action quelconque et je gagne 1000€ de pouvoir d'achat. J'utilise ensuite ces 1000€ pour acheter plus de vêtements (les vêtements sont une source importante d'émission de gaz à effet de serre, la culture du coton utilise beaucoup de pesticides et d'eau, etc... ), par conséquent la diminution de mon impact environnemental est faible voire nulle. Certaines personnes/publications appellent ce mécanisme "effet rebond" et concluent à "l'inefficacité" ou la moindre efficacité d'une action (ici réduire ma consommation d'essence) à cause de cet "effet rebond" de "gain de pouvoir d'achat pur". J'utilise le terme "pur", car dans l'exemple du paragraphe précédent, il y a aussi un gain de pouvoir d'achat directement ré-investi dans la consommation concernée, alors qu'ici le gain de pouvoir d'achat passe d'un secteur à un autre, du transport quotidien à l'habillement. Il n'y a donc aucun lien entre les deux, excepté le pouvoir d'achat individuel. Et si au lieu d'acheter des vêtements, je prends des cours de guitare (pas d'impact environnemental supplémentaire), ce sera alors mon professeur de guitare qui achetera des vêtements, et au bout de la chaine, l'impact environnemental n'aura toujours pas diminué.
Cet "effet rebond systémique" est en réalité la traduction "micro-économique" d'un débat "macro-économique" : est-il possible de décorréler le PIB et les émissions de CO2 (ou la consommation d'énergie) ? La "croissance verte" est-elle possible ? La décroissance est-elle nécessaire à la transition écologique ?
Si on considère que notre pouvoir d'achat a un impact environnemental équivalent quel que soit le type de consommation, alors le seul moyen de réduire les émissions de CO2 est de faire décroître le PIB, et donc à titre individuel : de "ne pas dépenser/consommer".
Le premier problème de cet "effet rebond systémique", c'est qu'il condamne toute optimisation ! En effet, si on raisonne par l'absurde : je souhaite faire un trajet entre Paris et Brest, le parcours optimisé (en termes écologique et économique) me fait passer par Rennes. Si je considère que tout gain de pouvoir d'achat est vain, je peux passer par la Chine, cela n'aura pas plus d'impact écologique, car ma surconsommation aurait de toute façon été consommée, à un autre moment, sur un autre service avec le même impact écologique. Ce raisonnement est évidemment contre-productif, mieux vaut optimiser et avoir le maximum de service pour le minimum d'impact écologique. Parler "d'effet rebond" est alors inapproprié, quel que soit votre avis sur la possibilité ou non de décorréler PIB et impact environnemental.
Le deuxième problème de parler "d'effet rebond" dans ce cas de figure, c'est que ce terme renvoie en général à un comportement individuel, c'est-à-dire que le/la consomateur·ice est désigné·e responsable de l'impact écologique lié à l'utilisation du gain de pouvoir d'achat. Alors que le problème ne vient pas uniquement d'une quelconque technologie ou d'un acte d'achat individuel mais bien de l'ensemble du système économique. En effet, dans notre système économique actuel, les entreprises doivent produire toujours plus. Par conséquent, même si les consommateur·ices ou les pouvoirs publics sont plus vertueux et plus sobres, une chaîne d'acteurs économiques cherchera des solutions pour pousser à la consommation (et écouler la production). Il y a bien des ressorts derrière cet "effet rebond" qui ne sont en rien "naturels" ou "inéluctable".
Pour conclure, je considère dangereux de parler "d'effet rebond" pour un gain de pouvoir d'achat ("pur") car c'est une manière de dévaloriser une action d’efficacité ou de sobriété potentiellement pertinente, et que le focus est mis sur le comportement individuel des consomateur·ices alors que c'est notre système économique qu'il faut remettre en cause...
Un terme inadapté pour sensibiliser à l'impact environnemental
Le terme "effet rebond" est utilisé dans de nombreuses situations, en général pour discréditer une action ou une technique alternative, il permet de questionner les impacts environnementaux de manière péjorative, parfois dans une volonté légitime de créer du débat et parfois de manière abusive.
Par exemple en France, la réglementation thermique est établie avec l'hypothèse que les logements sont chauffés à 18°C, alors que la réalité est plutôt 3°C au-dessus. Par conséquent, la consommation réelle des logements n'est pas au niveau de la consommation "prévue" dans la réglementation, elle est largement supérieure. Nul effet rebond dans ce cas là, juste un décalage entre l'aspect réglementaire et la réalité. Evidemment, de nombreux bureaux d'études connaissent ce décalage et calculent une consommation "réglementaire" et une consommation "probable", rien d'imprévisible donc. Mais pour illustrer l'impact environnemental, qui est une donnée en soit difficile à "matérialiser", le terme effet rebond sera plébiscité.
Autre exemple avec le développement des véhicules électriques. On peut entendre parler "d'effet rebond" lié aux batteries ou à la surconsommation électrique en horaires de pointe. Il n'y pas là "d'effet rebond" imprévisible ni inéluctable, l'impact environnemental et les risques de la généralisation des véhicules électriques étaient connus bien avant leur développement. Les personnes qui ont fait la promotion des véhicules électriques, parfois par pure conviction écologique, ont fait le choix de considérer les bénéfices plus importants que les impacts. Ensuite, la présentation au grand public est malheureusement souvent à sens unique et minimise les impacts et les problèmes liés à un changement technique (mais à leur décharge, l’honnêteté ne paie pas forcément...). Il n'y a pas ici "d'effet rebond" non maitrisé mais simplement un défaut d'information (et peut-être des pouvoirs publics qui manquent de réactivité pour mitiger les impacts).
Dans cet exemple, l'utilisation du terme effet rebond n'est pas le coeur du problème, il met seulement en valeur la difficulté d'un débat public efficace sur les impacts environnementaux.
De manière générale, on manque de sensibilisation et d'éducation sur l'impact environnemental. La raison la plus probable, c'est que les préoccupations environnementales sont récentes (notamment dans le milieu industriel) et que peu de personnes ont pris le temps d'apprendre à évaluer avec rigueur puis vulgariser et transmettre. Il faut le temps du développement des techniques d'évaluation, mais aussi celui de la médiation de ces techniques avec l'ensemble de la société pour alimenter correctement le débat politique, sans expertise autoritaire ni simplification contre-productives.
Quelques banalités sont incontournables : TOUTE activité va générer un impact environnemental, cet impact ne sera pas unique, il concernera la biodiversité, le réchauffement climatique, la santé humaine, etc... La pondération des différents impacts est impossible (ou du moins simplificatrice), il y a bien une priorisation politique subjective (est-ce moins grave de détruire la biodiversité ou le climat ?). Ensuite l'impact doit être quantifié: TOUTE activité émet des gaz à effet de serre, il est donc important de quantifier et d'essayer de comparer, et ce n'est pas toujours facile, une calorie de steak n'est pas équivalente à une calorie de pomme, alors comment comparer leurs impacts respectifs...
L'impact environnemental doit être considéré comme une indication pour des politiques publiques, pas comme un label. Une étude sur l'impact moyen d'une pomme mettra les entreprises de toute taille et les pommes de toute sorte dans le même panier. Les données sont moyennées, il est toujours possible de trouver des exemples plus vertueux et moins vertueux que la moyenne (la pomme du pommier du jardin et la pomme transportée en avion). On pourrait évidemment réduire les périmètres pour avoir toujours plus de détail, mais les études coûtent cher et sont réalisées à un instant donné, elles sont par définition imparfaites et périssables. Dans la plupart des cas, cela n'empêche pas d'avoir un ordre de grandeur fidèle de l'impact environnemental afin de faire des choix techniques et politiques.
Il est donc normal de faire évoluer les résultats des évaluations d'impact avec le temps et de faire évoluer les réglementations en fonction des travers détectés, nul besoin d'en appeler à des "rebonds" incontrôlés et inévitables, juste une amélioration continue et une remise en cause permanente (situation qui n'est pas si rare dans le domaine scientifique).
Dans ce contexte, il me semble que l'utilisation du terme "effet rebond" ne participe pas à améliorer les débats, notamment sur l'impact environnemental et social des évolutions techniques à entreprendre pour la transition écologique. Ce terme se base sur des arguments implicites, là ou le débat aurait besoin d'être plus explicite, et je me méfie de la multitude des sens qu'on lui donne. Vous pouvez simplement parler d'impact négatif pour l'environnement, et c'est à vous de constater lesquels sont inéluctables, imprévus ou significatifs.
L'effet rebond ou la négation du rôle politique et social des techniques
On peut faire une autre lecture critique de l'utilisation du terme "effet rebond" par la communauté scientifique et technique. A première vue, un grand nombre de technicien·nes ont probablement analysé la transition écologique et la transition énergétique comme le passage de certaines techniques vers d'autres plus vertueuses. Résumant cette transition à un "problème technique" indépendant des implications sociales.
Évidemment, la réalité est bien plus complexe, car les techniques s'utilisent dans un contexte social et politique, et ce contexte change la donne. Le terme "effet rebond" désigne de manière péjorative "la résistance" des usagers, du corps social, à ne pas vouloir rester constant dans nos équations d'ingénieur-es.
L'effet rebond, c'est un peu le découragement ridicule des ingénieur·es qui essayent de transformer l'ensemble de la société pour des raisons écologiques, sans s'occuper du reste, et se font rappeler à l'ordre par la réalité, qui nous montre à chaque instant que la technique et son utilisation portent une dimension politique...
N'ayez pas peur de "l'effet rebond", rappelez-vous que pour la transition écologique et énergétique, il faudra agir encore et encore, mais en tenant compte des impacts sociaux et environnementaux de chaque transformation. Les échecs sont et seront légions mais ne rien faire, c'est continuer sur une trajectoire catastrophique...