Histoire des luttes en école d'ingenieur.e: le cas de l'union des grandes écoles (UGE)

Aujourd’hui absent des écoles d’ingénieur·e·s, Le syndicalisme étudiant n’a pas toujours été une «exclusivité» des universités. Retour historique sur la mobilisation étudiante du milieu ingénieur à l’aube des cinquante ans de mai 68.
Appel à mobilisation porté par l’UNEF, l’UGE et le SNESup en mai 68.
Journal Économique de la Commune Étudiante

L’UGE,fondée en1947,s’affirme comme une organisation visant à regrouper les étudiant·e·s des Grandes Écoles et à défendre leurs intérêts. L’UGE se revendiquait comme apolitique, son rôle étant d’alimenter la réflexion de ses membres sur ses visions de l’enseignement. Ainsi, pendant plus d’une décennie, l’union s’est surtout intéressée à la formation humaine des ingénieur·e·s et à l’équilibre à trouver entre la formation générale, nécessaire à la formation de l’ingénieur·e-cadre, et la formation spécialisée avec une visée plus utilitariste, compte tenu des débouchés.

La guerre d’Algérie participe à un accroissement de la sensibilité de certains groupes aux questions sociales et politiques, dont l’UGE. Les projets de réforme de la formation humaine des ingénieur·e·s évoluent et reposent progressivement sur une perspective plus générale de transformation du monde social. Cette politisation a pour conséquence la scission de l’UGE avec la création de la Fédération nationale des associations de grandes écoles (FNAGE) qui a pour objectif de renouer avec les origines apolitiques et corporatistes du groupement et de favoriser l’intégration des étudiant·e·s au système productif.

Le positionnement de la FNAGE et la reconnaissance que lui accordaient les organes corporatistes faisant la promotion de l’esprit de corps du milieu ingénieur contribuent au renforcement des revendications de l’UGE qui s’orientent plus franchement sur la démocratisation des formations. Jusqu’ici associée à un accès aux études et à l’amélioration des conditions matérielles, cette démocratisation porte désormais sur le contenu des enseignements et du rôle de ceux-ci dans la construction de l’ordre social. L’union va s’attaquer à la reproduction sociale du milieu ingénieur en dénonçant le rôle de la culture générale encyclopédique reproduite en école d’ingénieur·e et accessible seulement aux classes favorisées.

Dans un article suite au Congrès de Grenoble de 1966, l’UGE livre ses positionnements sur la formation des ingénieur·e·s. Par- mi ces revendications, on peut citer :« 1) Nous ne voulons pas : d’une culture générale du type encyclopédique somme de connaissances parcellaires, relevant d’une fausse conception de la polyvalence ; d’une pseudo-formation sociale dont le seul but est de nous intégrer au système socio-économique ambiant (…). 2) Nous demandons une formation professionnelle fondée sur : (…) un enseignement qui précise clairement, notamment en vue des applications professionnelles, le degré de validité des hypothèses et les limites du modèle utilisé (enseignement épistémologiquement fondé). »

Pendant les événements de mai 68, l’UGE figure comme l’une des organisations majeures agissant à l’intérieur des écoles et son ancrage à l’extrême gauche s’intensifie jusqu’à la fin des années 70. La période post- 68 suivie de la diminution des mobilisations syndicales constitue un terrain fertile pour l’apparition de nouvelles structures qui souhaitaient professionnaliser le débat autour de la formation, comme la CGE (Conférence des grandes écoles) et la CDEFI (Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieur). Ceci a pour conséquence le retrait du débat au sein des écoles vers un niveau plus institutionnel. L’UGE perd graduellement sa force car sa structuration orientée vers le local n’avait pas les moyens d’assurer le suivi des concertations. Par ailleurs, le décalage entre sa vision sur la formation et celle de nouvelles structures lui imposait un rapport de force trop dé- favorable ayant pour conséquence la disparation progressive du débat au sein même des écoles d’ingénieur·e·s.

Force est de constater que la lutte syndicale en école d’ingénieur·e a bel et bien existé tout comme l’envie de remettre en question le rôle social de l’ingénieur·e-cadre prôné jusqu’à aujourd'hui.

18 juin 2018
Eduardo Palmieri, chargé de projet
Thématique 
Catégorie