Enseigner la sociologie à l'école Centrale Paris (CentraleSupélec)
Dans la vidéo d’Ingénieur pour demain, Jean-Philippe Neuville, professeur de sociologie à l’Insa de Lyon, fait le constat qu’il y a une perte de sens chez les étudiant·e·s : ils et elles se posent la question de pour qui et pour quoi être ingénieur·e·s. Partagez-vous ce constat ?
Cynthia Colmellere : Sur la perte de sens, ma réponse ça serait oui et non. C’est plutôt un sens qui n’est que peu questionné pendant la scolarité en école d’ingénieur·e. À Centrale Paris, on reçoit quand même une majorité d’élèves qui viennent de classes préparatoires, qui y sont souvent entrés sans se poser de questions, parce qu’ils étaient très bons dans leur scolarité antérieure. Ils y ont alors plutôt très bien réussi, ce qui les a amenés dans une école très bien classée. La question du sens commence avec l’absence de questionnement de ce parcours-là. Cette absence persiste au moins la première année d’école d’ingénieur·e·s, parce que celle-ci est très chargée en enseignements scientifiques, même s’il y a déjà des enseignements de sciences humaines et sociales qui s’adressent à toute la promotion. C’est donc difficile pour eux de se projeter dans leur futur d’ingénieur·e. Ensuite, on se trouve dans une école dans laquelle, bien que ce ne soit pas explicité en ces termes, il existe un esprit de corps, ce qui fait que cette question du sens se pose probablement de manière un peu particulière. Ce n’est pas seulement le métier d’ingénieur·e en tant que tel qui est à interroger, c’est aussi une projection du métier qui se fait à travers la mémoire d’une école, des histoires de réussites de grandes figures, bref, un héritage présenté aux élèves comme le leur.
Vous avez des retours sur les cours de sociologie que vous faites ?Vous savez ce que les étudiant·e·s en pensent ?
C.C. :En général ils sont plutôt contents d’avoir des cours qui sont autre chose que des sciences dures ; cela leur permet de se poser des questions nouvelles pour eux et de changer leur regard sur certaines situations. Par exemple, j’ai fait un cours pendant trois ans sur des questions de risque nucléaire. Nous avions travaillé plus particulièrement sur les débats publics dans ce domaine. Ce cours avait lieu auprès d’élèves dont certain·e·s se destinaient à faire en troisième année une option sur le nucléaire. Ils étaient pour la plupart, surpris de découvrir l’histoire du développe- ment du nucléaire en France, et la manière dont on y débattait de ces questions. En l’occurrence, avec une information du public assez peu satisfaisante par rapport à ce qui se faisait dans d’autres pays, et aussi avec des questions en termes d’avenir de société, que posaient le développement et la poursuite de l’utilisation du nucléaire, ou un éventuel abandon de cette technologie. Cela avait été pour beaucoup l’occasion d’appréhender les grands choix technologiques autrement.
Pensez-vous qu’on pourrait généraliser votre cours d’introduction à la sociologie à l’ensemble des formations ingénieur·e·s ?
C.C. :Il faut tenir compte de ce que les élèves ont en tête au moment où ils arrivent dans l’école. Par exemple, sur la partie épistémologique, ils ont beaucoup de certitudes sur ce qu’est la science. Ces certitudes, fondées sur une approche restrictive de la physique, sont acquises au cours de la scolarité au lycée et en classes préparatoires. Je ne suis pas sûre que ce soit le cas dans toutes les autres écoles
Jouée pour la première fois fin 2016, la conférence gesticulée de Lola Guillot, membre du comité «Former l’ingénieur·e citoyen·ne», et intitulée «Quand on veut on peut !Pour en finir avec la méritocratie », a aujourd’hui été jouée une vingtaine de fois, que ce soit à l’appel des groupes locaux ISF ou d’autres acteur·rice·s intéressé·e·s par ces questions. L’actualité du mouvement étudiant national raisonne particulièrement avec la critique de la sélection pratiquée en école d’ingénieur·e·s telle qu’elle est racontée dans cette conférence.
d’ingénieur·e·s. Cela me semble plutôt propre aux écoles à concours. Enfin, dans un cours de sociologie, il me paraît important d’introduire et de discuter avec les élèves des travaux en sciences humaines et sociales sur l’éthique des ingénieur·e·s.