Rencontre avec Lao Farmer's Products, coopérative de commerce équitable
Un peu de contexte
Le Laos est un pays peu connu, entouré par le Vietnam à l'est, la Thaïlande au sud et la Chine au nord, il n'a aucun accès à la mer. Cette ancienne colonie française a beaucoup souffert des bombardements américains pendant la guerre du Vietnam, puis a connu un régime communiste autoritaire avec des « camps de rééducations » avant de profiter d'une relative « ouverture » dans les années 90, suivant les exemples de la Chine et de la Russie. C'est un des pays les plus pauvres d'Asie avec un revenu mensuel moyen de 150$/mois, chiffre à utiliser avec précaution car le Laos se « développe » très vite et les inégalités y sont très importantes. La densité de population est faible et le pays est presque entièrement recouvert de forêts.
Lao Farmer's Products (LFP) est une coopérative qui commercialise des denrées alimentaires. Fondée par des laos ayant fait leurs études en France (comme beaucoup), elle est destinée, depuis sa création en 1994, à conjuguer « développement économique » et « préservation de l’environnement naturel et humain ». Les fondateurs étaient déjà impliqués dans de nombreux projets de développement en partenariat avec des associations européennes de solidarité internationale. Le commerce équitable est apparu comme un moyen de pérenniser et renforcer la dynamique de développement agricole.
LFP travaille avec des petits producteurs répartis dans plusieurs régions du Laos, la coopérative achète du thé, des fruits et les excédents des cultures vivrières de riz. Les produits sont transformés et conditionnés dans les locaux de LFP à Vientiane qui emploie 35 ouvrières et ouvriers. Le thé est ensaché, le riz étuvé, les fruits transformés en jus, en confiture ou en pâtes de fruits. 80 % de la production est ensuite exportée en France et distribuée par Solidar'Monde, la centrale d’importation et de distribution du réseau de boutique Artisans du Monde. Solidar'Monde distribue aussi en Allemagne et en Belgique à travers d'autres réseaux comme Oxfam. La personne que nous avons rencontrée, Dr Sisaliao Svengsuksa, est président de l'association de soutien au développement des sociétés paysannes au Laos, association qui se charge de soutenir les producteurs de LFP. Il connaît bien l'Europe, il a travaillé en Suisse et est venu plusieurs fois en France, notamment dans le cadre de la quinzaine du commerce équitable, invité par Artisans du Monde.
Renforcer ma confiance dans le commerce équitable
Un de mes objectifs lors de cette rencontre était de renforcer ma confiance dans le commerce équitable. En effet, lorsque je réalise une action de sensibilisation ou que je parle du commerce équitable, on me demande souvent si c'est « vraiment équitable », si ce n'est pas juste un label pour vendre mais que sur place « c'est la même chose que les autres ». Et même après avoir rencontré des producteurs (invités en France par Artisans du Monde) ou avoir discuté avec des salariés chargés des audits, il me fallait une certaine assurance pour dire « dans la plupart des cas, les principes du commerce équitable sont appliqués avec bonne foi ». En visitant LFP au Laos, j'ai franchi une nouvelle étape, la prochaine étant d'aller jusqu'aux champs…
Sur le point de la confiance, j'ai été totalement satisfait, on retrouve sur place une vision du développement et de la justice sociale qui me sont assez familières. On retrouve aussi l'application de ces principes à l'épreuve de la réalité du terrain. LFP est loin de la perfection, mais la coopérative y travaille à son rythme… Autre aspect intéressant : nous avons rencontré sur place d'anciens salariés de Solidar'Monde, venus aider bénévolement LFP pendant leur « passage au Laos », étape de leur tour du monde. Cette anecdote illustre une relation de confiance entre les acteurs du commerce équitable qui va plus loin que des simples intérêts commerciaux. On le savait déjà, mais des « preuves » supplémentaires sont toujours bienvenues.
Comprendre les problématiques de la filière et l'apport du commerce équitable
Cette rencontre est aussi l'occasion de comprendre les difficultés auxquelles peut se heurter une filière de commerce équitable. Pour commencer, le Laos pâtit de son « isolement » ; en effet, les denrées doivent être acheminées en camion jusqu'en Thaïlande pour ensuite prendre le bateau jusqu'au Havre. Pour minimiser les coûts, toute la production est envoyée dans 2 ou 3 conteneurs par an. Pour LFP, le coût du transport par camion est équivalent à celui du transport maritime, ce qui implique un net désavantage concurrentiel sur ces voisins mieux desservis par des façades maritimes.
L'isolement pose aussi des problèmes de certification, LFP n'a pas la taille et la « capacité financière» d'être labellisé FLOcert, le nom international du label Max Havelaar. C'est leur relation de longue durée avec Solidar'Monde ou Oxfam qui garantit la confiance entre les partenaires. Pour le label Bio, une certification locale n'est pas suffisante (probablement non reconnue au niveau international), il faut donc faire venir un certificateur de Thaïlande pour des coûts extrêmement dissuasifs pour une petite structure. C'est donc l'ONG Oxfam qui finance la certification Bio des producteurs de riz et de thé.
La trésorerie est un autre point bloquant, LFP n'a pas assez d'argent de côté pour acheter aux producteurs toutes les denrées, payer les ouvriers pour les transformer et les conditionner, puis payer le transport et enfin recevoir le paiement à la livraison du conteneur 6 mois plus tard. Pour une structure comme LFP, le paiement partiel « à l'avance », une des bonnes pratiques du commerce équitable, est une nécessité.
Le commerce équitable, un développement à contre-courant ?
Quand je discute du commerce équitable avec des étudiants, le principe le plus marquant qu'ils connaissent est en général « le paiement d’un prix juste ». Après ma rencontre avec LFP, je comprends l'importance d'un autre principe qui m'avait échappé jusqu'à maintenant : « Création d’opportunités pour producteurs économiquement désavantagés ». Les acteurs comme LFP ne pourraient tout simplement pas exister sans un soutien volontariste des acteurs du commerce équitable.
En réalité, quand on parcourt les rues de Vientiane, dans un pays dit « communiste », on comprend que le développement du pays se fait « à la raison du plus fort ». Le gouvernement n'a pas la force ou la volonté de mettre en place un cadre de développement qui soutiendrait les petits producteurs, ce sont donc des acteurs internationaux, pays et entreprises, qui sont capables d'investir dans des projets énormes (barrages, usines, tourisme hôtelier) qui pousse le pays vers une certaine forme de « développement ». Les services publics et l'aménagement du territoire sont à la traîne, ce qui favorise la multiplication des voitures et l'étalement urbain, la disparition des circuits courts, la destruction de l'environnement, les inégalités, etc.
Le commerce équitable renforce lui aussi les interdépendances entre le Laos et les acteurs internationaux, mais il permet d'entrevoir un autre modèle de développement basé sur la justice sociale et environnementale, qui ne serait pas générateur d'inégalités à l'échelle locale et internationale.
Pour plus d'informations :
- Le site internet de Lao Farmer's Products : www.laofarmersproducts.com
- La page dédié à Lao Farmer's Products sur le site internet d'Artisans du Monde : www.artisansdumonde.org/ressources/etudes-de-filieres/etude-de-filiere-asdsp-au-laos