Projet TOMEFA, Tous Oeuvrons contre la Maladie de la bilharziose et Facilitons l’Accès à l’Eau

Anna, Eléonore et Sarah sont trois étudiantes ingénieures à l’Ecole Supérieure de Biotechnologies de Strasbourg. Membres d’Ingénieurs Sans Frontières Illkirch, elles ont décidé à l’issue de leur deuxième année d’étude, de monter le premier projet de solidarité internationale du groupe local d’Illkirch : le projet TOMEFA.
Une femme faisant la lessive dans l'eau du lac
Projet TOMEFA

Toutes les trois concernées par les enjeux de santé publique dans le monde et souhaitant agir en tant qu’ingénieur biotechnologiste, nous avons co-construit en collaboration avec l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD) français au Ghana et des étudiants ghanéens du Noguchi Memorial Institute for Medical Research (NMIMR) un projet sur la maladie de la bilharziose. Cette maladie, touchant particulièrement le village de Tomefa (village de pêcheurs au bord du lac Weija, à proximité de la capitale Accra), fut donc notre sujet d’étude pendant notre mois au Ghana dans le but de trouver des solutions durables pour réduire son taux d’incidence.

Contexte et naissance du projet :

La bilharziose est la seconde endémie parasitaire mondiale après le paludisme. Selon le Sommet des maladies tropicales négligées de 2017 à Genève, elle cause la mort de 280 000 personnes par an dans les pays tropicaux. Les symptômes d’un stade avancé de cette dernière sont la présence de sang dans les selles et les urines résultant d’une infection aux schistosomes, un vers parasitaire, dans les intestins ou l’appareil uro-génital. Ce parasite vivant dans des points d’eau douce stagnante, contamine l’être humain par pénétration de la peau. Le simple contact cutané avec une eau infectée est alors suffisant pour permettre la contamination. Une fois entré dans l’être humain, le parasite se déplace jusqu’à certains organes comme la vessie, les poumons et les intestins afin de s’y développer. Il pourra ainsi se reproduire dans les organes et pondre des œufs qui seront ensuite relâchés par l’humain dans le lac à travers les urines et les selles. A ce jour, seulement un vermifuge à voie orale, le praziquantel, permet d’éradiquer le parasite en cas d’infection. Néanmoins, un fort taux d’infection à ce parasite a été relevé par l’IRD et le NMIMR dans des communautés vivant au bord du lac Weija, près d’Accra au Ghana. Le but de notre projet était donc de comprendre les causes liées à ce fort taux d’infection afin de proposer des solutions durables et adaptées aux populations proches du lac.

C’est en prenant contact avec Alisé Lagrave, ancienne étudiante de l’ESBS, ancienne membre d’ISF Strasbourg et réalisant un VIA à l’IRD, que nous avons été sensibilisées aux problématiques rencontrées au village de Tomefa. Suite à cela, nous avons eu de nombreuses réunions avec elle ainsi qu’avec les étudiants du NMIMR afin de définir les objectifs du projet et le planning de notre séjour au Ghana prévu en juillet 2022.

Étude de terrain et analyses :

Une fois arrivées au Ghana, nous avons tout d’abord réalisé une étude de terrain afin de connaître les habitudes liées à l’eau et le rapport à la maladie de la population. Des questionnaires ont donc été administrés à la population, en binôme avec des ghanéens , en trois sous-groupes : les enfants, les femmes et les pêcheurs (les pêcheurs étant un groupe à part entière car les plus en contact avec l’eau). Cette étude de terrain nous a alors permis de comprendre que l’eau du lac était utilisée par tous. En effet, elle constitue leur unique point d’eau et est donc exploitée pour toutes leurs activités : la pêche, les besoins domestiques et récréatifs. Également, nous nous sommes rendu compte que la maladie était globalement mal connue et que peu de personnes étaient réellement capables de l’expliquer (cycle d'infection, symptômes et traitements). Cela a soulevé un gros manque d’information et d’éducation sur la maladie, alors qu’un tiers de la population disait déclarer les symptômes graves.

A côté de l’administration des questionnaires, nous avons aussi pris du temps pour observer les conditions d’hygiène et les infrastructures d’hygiène du village. Celles-ci étaient très mauvaises et nous avons constaté un grand manque d’infrastructures sanitaires favorisant ainsi ces conditions. Les seules toilettes publiques du village ainsi que celles de l’école n’étaient pas vraiment entretenues expliquant pourquoi de nombreuses personnes allaient uriner et déféquer dans le lac. De plus, l’eau utilisée pour se laver les mains provenait très souvent du lac. Pour finir, nous avons observé des bâtiments destinés à devenir des toilettes/douches publiques, inachevés et abandonnés depuis des années. Ces projets, prometteurs, ont été coupés court pour des raisons économiques et/ou politiques ce qui a continué de défavoriser la population du village de Tomefa.

 

 

Ateliers de sensibilisation et réflexions aux solutions :

Une fois ces observations effectuées, nous avons réfléchi à des solutions durables pour limiter le taux d’infection à ce parasite et préparé des ateliers de sensibilisation pour alerter la communauté sur les dangers de ce parasite. Pour les adultes, c'est-à-dire les femmes et les pêcheurs, nous avons commencé par leur expliquer la maladie à l’aide de posters que nous avions réalisés. Puis, dans un second temps, nous leur avons fait faire un quiz par équipes pour renforcer l’apprentissage. Malheureusement, les adultes étaient occupés au cours de la journée, de ce fait ils n’étaient pas très attentifs et participatifs.

Pour les enfants, nous sommes allées dans les écoles publiques et privées. Nous leur avons dans un premier temps expliqué la maladie à l’aide des posters. Puis, les plus grands ont participé au quiz par équipe et ont réalisé des dessins de ce qu’ils avaient compris et retenu tandis que les plus petits ont chanté une chanson à propos des comportements à adopter pour limiter l’infection. A la fin de la journée, nous avons aussi joué avec eux dans la cour de l’école à un jeu montrant la rapidité à laquelle les humains sont infectés par le parasite basé sur celui de l’épervier et adapté pour inclure des éléments sur la bilharziose. Les enfants étaient très intéressés par notre intervention. Ils étaient attentifs et participaient activement ce qui nous a prouvé l’utilité de ce projet et de notre participation à celui-ci.

Concernant les solutions pour limiter les infections, nous avons tout d’abord identifié un besoin d’accès à l’eau potable et à un réseau d’assainissement dans le village. De plus, beaucoup d’entre eux aimeraient aussi de meilleures toilettes publiques. Globalement, la population est ouverte à d’autres solutions (utilisation d’un système de filtration d’eau, mise à disposition d’équipements de protection …) mais ils ont besoin d’accompagnement et de moyens pour la mise en place de celles-ci.

Principales difficultés rencontrées :

Au cours de ce mois, nous avons fait face à quelques difficultés. La première et principale difficulté rencontrée fut la barrière de la langue. Un contact direct avec la population était pratiquement toujours impossible puisque la plupart d’entre eux ne parlaient pas anglais, leur langue officielle. Très souvent, la population des villages loin de la capitale ne parlait que des dialectes.  Même en étant conscientes de tout cela avant le départ, et en y étant préparées, cela a été plus dur qu’envisagé. Ce manque de contact direct a donc entraîné une distance avec la population locale, mais aussi un biais de communication causé par des traductions parfois approximatives. En effet, lorsque les traductions étaient réalisées par les étudiants ghanéens du NMIMR, les propos traduits étaient fidèles et surtout « vrais » scientifiquement. Mais lorsque les traductions étaient réalisées par des personnes du village, tout ce qui concernait la partie scientifique du projet était déjà difficile à comprendre pour eux donc l’était encore plus à traduire. Nous avons justement pensé à créer notre atelier pour ISF, un jeu de rôle, autour de toutes ces problématiques afin d’illustrer ce qui se passe réellement sur le terrain.


Nous avons aussi fait face à une décrédibilisation de notre projet, puisque d’autres études portées par d’autres organismes ont déjà été menées dans ce village et qu’aucune continuité n’a été assurée. La population, lassée de voir passer des étrangers sans que rien ne change derrière, était donc méfiante ou indifférente vis-à-vis de notre projet ce qui fait que nous avons ressenti un manque de confiance à notre égard. Cela démontre donc l’importance d’un partenariat fiable et pérenne. Nous avons été déçues de constater un manque d’intérêt et un faible taux de participation aux ateliers de sensibilisation de la part des adultes. En plus de cette méfiance s’est aussi ajouté le sentiment de fatalité qu’un grand nombre de ghanéens ont, du fait de leur extrême croyance. En effet, pour la plupart d’entre eux, tout arrive pour une raison et c’est comme cela. Ainsi, les adultes ne semblaient pas vouloir trouver une solution hormis l’apport d’un réseau d’eau propre et d’assainissement, et aucune autre option ne semblait les convaincre


 
Conclusion, enjeux et perspectives :

Pour conclure, ce mois passé auprès de la population nous a permis de nous rendre compte du réel problème d’accès à l’eau potable dans le village, induisant alors une dépendance à l’eau du lac de la part des habitants. Nous avons également constaté un faible accès aux diagnostics et aux soins favorisant l’augmentation du taux d’infection à la bilharziose.

Concernant les perspectives, nous avons eu l’idée de mettre en place une coopérative d’équipements de protection (bottes de pluie et gants) où la population pourrait venir emprunter les équipements pour une durée limitée afin de se protéger lors de certaines tâches quotidiennes. Les étudiants du NMIMR mais aussi les personnes du village, à qui nous avons exposé l’idée, l’ont trouvée très intéressante et souhaiteraient l’encourager. Pour cela, nous avons sollicité des entreprises pour obtenir des dons d’équipements. Ensuite, pour pallier au manque de diagnostic au village, nous avons sollicité l’entreprise Merck qui nous a donné un microscope optique à envoyer au centre de santé du village de Tomefa. Les étudiants du NMIMR iront ensuite former les infirmières du centre de santé, afin que la maladie puisse être diagnostiquée à un stade plus précoce dans les selles et urines des personnes malades et que plus de personnes de la communauté puissent être traitées. Enfin, nous espérons que le projet soit repris par d’autres étudiant·es, soit de l’ESBS, soit de l’ENGEES qui ont d’autres compétences, afin d’approfondir la question de l’accès à l’eau.

L’insuffisance de moyens de prévention, de diagnostic, de traitement ainsi qu’un manque de personnel qualifié et d'infrastructures reflètent donc des problèmes économiques au Ghana, en liaison avec des problèmes de corruption. Ce projet a aussi soulevé des enjeux environnementaux puisque le réchauffement climatique déstabilise le cycle de l’eau (inondations, sécheresse, …) et aggrave les épidémies. De plus, nous avons pu observer une grande pollution liée aux déchets plastiques au Ghana, et favorisée par l’absence de système de tri ou recyclage. Lors de notre restitution finale, nous avons aussi rappelé au NMIMR qu’il est important de préserver la biodiversité et l’écosystème et donc qu’il n’est pas possible de traiter directement le lac et/ou d’éliminer un potentiel hôte intermédiaire animal.

Néanmoins, beaucoup de questions restent en suspens : Comment trouver une solution pour les pêcheurs qui continueront d’utiliser le lac, quoi qu’il arrive, pour leurs activités quotidiennes ? Comment pérenniser un accès à l'eau potable ? Comment favoriser la prise de conscience du risque sanitaire ? Comment lier ces problématiques sanitaires aux problèmes économiques et environnementaux du Ghana ?

 

 

30 novembre 2022
Anna Behr, Eléonore Coulon et Sarah Stadnik
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