Projet Eto : la relocalisation alimentaire : une alternative durable ?
Le système actuel dominant nous paraît être à bout de souffle. Les agriculteur⋅rices peinent à vivre de leur production tandis que de l’autre côté de la chaîne, des millions de personnes sont en situation de précarité alimentaire. Les politiques publiques encouragent l’agrandissement des fermes au détriment de l’installation, les campagnes se vident donc d’agriculteur⋅rices. Les effets néfastes de l’agriculture intensive sur l’environnement et le changement climatique ne sont plus à démontrer. Les récentes crises (covid-19, guerre en Ukraine...) ont également remis en question la résilience de notre système alimentaire. Ainsi, de nombreux⋅ses acteur⋅rices ont pris conscience de l’urgence et du manque de durabilité de ce système. De nombreuses initiatives voient le jour afin de créer un système alimentaire plus juste, durable et résilient.
Lors de notre année de césure, nous avons voulu creuser plus particulièrement le sujet de la relocalisation alimentaire que nous définissons comme le fait de produire sur un territoire l’alimentation destinée aux populations de ce même territoire. Un produit local peut être issu d’un circuit long avec plusieurs intermédiaires entre le⋅la producteur⋅rice et le⋅la consommateur⋅rice, ou en circuit court avec au maximum un intermédiaire entre le⋅la producteur⋅rice et le⋅la consommateur⋅rice. La relocalisation d’un système alimentaire peut aussi s’envisager à plusieurs échelles de territoires : nationale, régionale ou microlocale.
Nous nous demandions en quoi la relocalisation alimentaire peut-elle être une alternative au système agricole et alimentaire mondialisé et industrialisé ? La relocalisation alimentaire est-elle une étape vers la construction d’un système agricole et alimentaire plus durable et plus juste ? S’il s’agit d’une étape, est-elle suffisante ? L’objectif étant d’analyser quelles peuvent être les dynamiques autour de la relocalisation alimentaire à la fois en France et en Côte d’Ivoire, les enjeux auxquels elle répond et ses éventuels freins et limites.
Nous avons donc sillonné la France et la Côte d’Ivoire pendant 4 mois à la rencontre de divers acteurs et actrices (associations, collectivités, agriculteur⋅rices, chercheur⋅euses ...) afin d’obtenir des pistes de réponses à nos questionnements. Nous nous sommes rendues dans des territoires à la fois ruraux et urbains dans deux régions du monde bien différentes qui ne font pas toujours face aux mêmes enjeux et aux mêmes problématiques. Nous rendre en Côte d’Ivoire nous a permis d’appréhender également comment les politiques agricoles et alimentaires menées au Nord impactent les systèmes alimentaires des pays du Sud. C’est une problématique qui nous a semblé poignante en Côte d’Ivoire où les surproductions de blé européen sont exportées massivement au détriment des productions de céréales locales.
Nous avons souhaité analyser la relocalisation alimentaire au travers des piliers du développement durable, à savoir l’économie, l’environnement, et le social, afin de comprendre en quoi elle peut participer au développement durable des territoires. Les nombreux échanges que nous avons pu avoir pendant notre projet nous ont permis de dégager ces quelques pistes de réflexions.
- Economie : la création et la valorisation de filières agricoles et alimentaires locales impliquant de nombreux⋅ses acteur⋅rices de la chaîne participent au développement territorial en maintenant la valeur ajoutée créée sur ces territoires.
- Social : relocaliser l’alimentation sur un territoire permet de mettre en réseau les différent⋅es acteur⋅rices et de créer de l’interconnaissance. Consommer des produits locaux et en circuits courts permet une certaine reconnexion à son alimentation par une meilleure connaissance de l’origine des produits.
- Environnement : la relocalisation de filières, par une meilleure interconnaissance entre les producteur⋅rices et les mangeur⋅ses peut pousser aux changements de pratiques agricoles vers des pratiques agroécologiques plus respectueuses de l’environnement, afin de répondre aux attentes sociétales sur le sujet. Relocaliser les filières permet également de réduire la distance parcourue du champ à l’assiette et peut ainsi permettre de réduire les émissions de gaz à effet de serre.
A noter que la relocalisation alimentaire est souvent pensée dans un objectif d’atteindre l’autosuffisance alimentaire d’un territoire. Ce n’est pas sous cet angle que nous avons voulu l’analyser car selon nous, l’autosuffisance des territoires est une illusion et qu’elle se fait au risque d’un repli sur soi. Nous sommes plutôt d’avis qu’une coopération entre territoires est nécessaire afin d’aboutir à des systèmes alimentaires plus cohérents. La relocalisation est un des éléments d’un système alimentaire et agricole que nous considérons comme durable, mais elle n’en est pas forcément une garantie. Une agriculture peut en effet être locale mais ne pas être durable sur le plan environnemental. Ce sont les pratiques agricoles qui ont l’impact environnemental le plus fort et non pas les transports du champ à l’assiette. Elle ne peut donc s’envisager sans des modes de production plus vertueux, sans une évolution dans les modes de consommation et sans penser l'accessibilité sociale pour tous et toutes à une alimentation de qualité.
Sur ce dernier point, ISF Agrista ainsi que d’autres organisations travaillent sur le projet de la Sécurité Sociale de l’Alimentation. Ce collectif propose une carte vitale de l’alimentation qui donnerait droit à chacun⋅e à des produits durables pour un montant de 150€ par mois. Cette Sécurité Sociale alimentaire permettrait à chacun⋅e de pouvoir choisir dignement son alimentation dans un principe de démocratie alimentaire.
Il est également important de noter que, tous les territoires n’ayant pas les mêmes capacités de production, la relocalisation alimentaire est plus ou moins accessible en fonction des territoires. En Côte d’Ivoire, nous avons pu voir que le changement climatique a un impact énorme sur la production agricole, les pluies se font en effet de plus en plus rares ce qui impacte les rendements. Le pays est donc de plus en plus contraint de se tourner vers des produits importés. Afin de partager nos réflexions et d’ouvrir le débat sur ce sujet, nous réalisons des ateliers d’échanges en nous appuyant sur des extraits audio des personnes que nous avons rencontrées. Nous sommes également en train de réaliser une série de podcasts afin de valoriser leurs paroles et leurs expériences.
Pour aller plus loin : vous pouvez consulter la lettre de l'ECSI de ritimo sur le localisme.