Portrait d'une ingénieure-citoyenne catalane
Quelle formation avez-vous suivi et comment pensez-vous que cette formation vous a préparé à affronter les enjeux sociaux et environnementaux de votre activité?
J'ai suivi une formation d'ingénieur en chimie à l'Ecole Technique Supérieure d'Ingénierie Chimique de l'Université Rovira i Virgili. Le cursus m’a essentiellement préparée à une carrière dans l'industrie pétrochimique. Comme c'est un cursus technique, l’aspect social n’y est pas mis en avant. En outre, les exigences du marché et de l’industrie ainsi que les enjeux de faisabilité technique, ne vont pas toujours dans le sens d'une protection optimale de l'environnement. Les techniciens sont souvent au cœur de ce dilemme.
Quel a été votre parcours ensuite ?
A la fin de mes études, j'ai été embauchée par l'Agence Maritime Catalane pour gérer le transport de matériaux dangereux par voie maritime. Il y avait alors, dans le Nord de l’Italie, à Savonna, des manifestations de militants pour la protection de l'environnement, motivées par certaines de nos activités. J'ai réellement commencé à m'interroger sur ce que j'étais en train de faire, si je travaillais pour les méchants ou les gentils. C'est à ce moment-là que j'ai décidé de m'investir auprès d'Ingeniería sin Fronteras – Espana. Étant donné qu'il n'y avait pas de groupe local en Tarragone où je vivais , j'ai participé à la création de ce groupe avec l'appui du groupe catalan d'Ingeniería sin Fronteras, Enginyeria Sense Fronteres – Catalunya (ESF).
Puis, par l’entremise d’ESF, j'ai suivi une formation sur les systèmes extractifs. J'ai alors pris conscience que les dommages environnementaux n'étaient pas dû à des raisons techniques mais à des raisons politiques et économiques. Avec le nouveau groupe Enginyeria Sense Fronteres - Tarragona, nous avons commencé un projet de coopération internationale dans la zone pétrolifère de l’Amazonie Équatorienne. Dans ce cadre, je me suis rendue sur le terrain pour évaluer les impacts de l'exploitation du pétrole. Nous avons réalisé les conséquences désastreuses et irréversibles de cette exploitation, tant en terme d'environnement que de respect des droits de l'homme sur de nombreux sujets fondamentaux : droit d'accès à la terre, droit à l’eau et à l'air non contaminés, droit à une redistribution équitable des profits... De plus, nous avons réalisé qu'il fallait dénoncer la militarisation des zones où le pétrole est exploité.
En parallèle, en 2007, nous avons lancé avec ESF-Catalunya la campagne Le prix de l’abondance : les droits de l’homme aux oubliettes qui se poursuit aujourd'hui. Une des activités les plus remarquables de cette campagne a été la création d’un cours en ligne à destination de militants environnementaux vivant dans les communautés impactées par les industries extractives (par moyen de films documentaires, de séjours de formation dans les universités ainsi que d’autres actions-choc de sensibilisation).
Depuis 2007, j'ai poursuivi ma formation au niveau social et politique. J'ai repris mes études en 3ème cycle universitaire pour devenir technicienne en coopération internationale. J'ai suivi deux autres formations pour me spécialiser sur les sociétés africaines et sur les questions de politique et démocratie. Professionnellement aussi, je me suis tournée vers une activité portant sur des enjeux sociaux. J’ai été embauchée par le Centre de Coopération pour le Développement de l'Université Rovira i Virgili1.
Que faites-vous aujourd'hui ?
En 2010, je suis partie vivre dans une zone rurale du Pays Basque pour des raisons familiales. J'ai crée une entreprise, Alluitz Natura, dont la mission est le développement rural des activités de loisir. Alluitz est le nom de la montagne à côté de notre exploitation ainsi que du parc naturel dans lequel elle se situe. L’entreprise Alluitz a gagné deux prix :
- en 2011, le prix du Projet entrepreneurial basé sur un nouveau type de relations, de l'association GBE-NER Elkartea
- en 2012, le 3ème concours d'idées pour entreprendre dans le monde rural, de Hazi (Agence de Développement Rural de Euskadi)
De plus, en novembre 2013, le projet a été présenté par la Commission Économique Européenne au Congrès Euromontana, comme exemple à suivre dans le dessin des politiques publiques pour le développement des zones de montagne en Europe.
Dans l'idée, nous souhaitons être financièrement autonome et vendre nos produits (issus de la laine et du lait, fromage et cosmétiques) mais pour l'instant, nous faisons essentiellement de la sensibilisation sur la transformation des matières premières rurales. Je m’investis à plein temps dans cette entreprise sociale bien que je continue mes activités bénévoles pour ESF - Catalunya en éducation au développement sur les industries extractives.
Utilisez-vous toujours vos compétences en ingénierie ?
Bien sûr ! Pour tout ce qui touche à la qualité, la technique et même la gestion. On ne sait jamais pour quoi on se forme, donc plus on apprend, plus on est stable et fort ! ESF m'a ouvert l'esprit et m'a énormément appris. Si on est en désaccord avec ce qu'on fait comme je l’étais, on a deux choix : fermer les yeux ou s’engager. D’après mon expérience, l’engagement est fort gratifiant.
Que vous évoque les notions de citoyenneté et de responsabilité sociale de l'ingénieur ?
Atteindre un changement des mentalités sur les ressources naturelles. C'est mon engagement envers la société en tant qu'ingénieur : rendre visible les dégâts par des activités extractives et exiger que les responsables assument leurs responsabilités. .
1. En effet, la plupart des universités espagnoles travaillant sur les questions de développement ont des moyens dédiés pour mener leurs propres projets.