Militantisme : choisir ses combats – paillettes de joie militante

Quand il ne peut plus lutter contre le vent et la mer pour poursuivre sa route, il y a deux allures que peut encore prendre un voilier : la cape (...) le soumet à la dérive du vent et de la mer, et la fuite devant la tempête en épaulant la lame sur l'arrière, avec un minimum de toile. La fuite reste souvent, loin des côtes, la seule façon de sauver le bateau et son équipage. Elle permet aussi de découvrir des rivages inconnus qui surgiront à l'horizon des calmes retrouvés. Rivages inconnus qu'ignoreront toujours ceux qui ont la chance apparente de pouvoir suivre la route des cargos et des tankers, la route sans imprévu imposée par les compagnies de transport maritime. » [H. Laborit, « Éloge de la fuite », p. 9] 
La joie militante
Lucie David

On dit souvent qu’il y a trois types de réactions face à une agression : la lutte, la stupéfaction, et... la fuite. Depuis mon arrivée en école d'ingénieur·es, j’identifie beaucoup de mes engagements sous la forme d’un combat contre le changement climatique et la destruction du vivant. D'ailleurs, il semblerait que je ne sois pas la seule, car de nombreux·ses nouveaux·elles activistes climatiques se sont engagé·es suite à un événement climatique, comme une réponse à l'angoisse ressentie. Je comprends également les cas de pétrification, régulièrement illustrés lors de VSS. Cette tétanisation dans un premier temps semble naturelle pour encaisser une injustice et en préparer la réponse. 

Seulement, je réalise ces derniers temps qu'avec l’émergence de guerres à nos frontières, je ressens un vif malaise sur lequel je mets difficilement des mots. Sensations d’un surplus de douleurs et de violences sur lesquelles je n’ai aucune emprise.

Par facilité, je traduis ma posture de retrait comme de la fatigue informationnelle et je me refuse à toute conversation sur le sujet.

Non pas que je ne me sente pas concernée. Certes, je ne suis pas la plus renseignée, mais loin d’être ignorante. Simplement, je me sens dépassée et épuisée par ces injustices qui surviennent parmi tant d’autres contre lesquelles j’étais déjà en lutte.

Alors oui, ces combats-là, je les fuis…  J’évolue dans un milieu militant bienveillant, mais également exigeant. Aussi bien entourée que je suis par de formidables camarades militant·es, mes épaules semblent souvent trop fragiles.

J'entends qu'au sein d’ISF, tout comme dans d’autres collectifs, il est de plus en plus question de joie militante et de culture du soin.  Le concept s’amplifie avec l’émergence de l’éco-anxiété, partout et surtout dans les milieux étudiants. Alors, aujourd’hui, je l’exprime en ces mots : certaines de ces luttes ne seront pas mes combats. Il y aura d’autres fronts militants sur lesquels je répondrai présente. Convaincue des interdépendances entre nos combats, mes petites victoires seront aussi les vôtres, et collectivement, nous pourrons les célébrer*. Au contraire, dans cet espace libre pour nos sentiments collectifs de rage, de deuil, ou de solitude que constitue ISF, j’accueillerai chaque écueil sur votre front comme un affect qui nourrira ma créativité sur mon terrain de lutte. Ces émotions seront une base commune pour construire ensemble un horizon d'actions, qui sera résolument politique et solidaire. 

* mes camarades et moi-même explorons comme autant d’opportunité de lutter dans la joie : marches des fiertés, MCDancefortheclimate, Safeplace, Techno-Manif, Chorale Militante...

7 juin 2024
Membre anonyme
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