La traçabilité en question
Les scandales alimentaires et sanitaires des deux dernières décennies (vache folle, poulet à la dioxine, grippe aviaire, lait à la mélanine, lasagne à la viande de cheval, etc.) ont créé une défiance du grand public envers les industries agroalimentaires. Cette défiance s'est renforcée face aux collusions avérées ou supposées entre les industries et les agences sanitaires les contrôlant, dont l'affaire du Médiator a été récemment le révélateur. Revenons sur deux sujets qui ont fortement alimenté le débat public l'année dernière : les lasagnes au cheval et l'étude sur les OGM de Gille Eric Séralini.
Information sur une parcelle d'ananas équitable
Photo Tanguy Martin
La défiance
Le fait d'avoir retrouvé de la viande d'origine chevaline dans des lasagne étiquetées "pur boeuf" a marqué un tournant dans cette suite de "scandales alimentaires". En effet, dans ce cas il n'y a aucun risque sanitaire avéré comme pour les autres, mais une mise à nue de l'opacité des filières alimentaires et la confirmation que les normes publiques en matière de traçabilité sont parfois inopérantes. Le cas emblématique des lasagnes de Findus a donné lieu à une suite de révélation sur d'autres produits qui montre qu'il ne s'agissait pas d'un cas isolé. Mais vu la défiance évoquée ci-dessus, une question se pose : si on a pu nous mentir aussi longtemps là-dessus, sur quoi d'autre nous ment-on aujourd'hui ?
Cette défiance existe aussi envers les OGM. Si les risques qu'ils portent sont controversés, l'opinion publique française y est majoritairement défavorable. L'étude publiée par l'équipe de Gilles Eric Séralini a relancé le débat sur les impacts sanitaires d'une alimentation avec des OGM. Si la communauté scientifique est partagée sur la validité des résultats de cette étude, deux choses ont été clairement établies grâce à elle. Premièrement, une grande partie des études de toxicologie alimentaire sont sujettes aux même critiques, puisque publiées dans le même type de revue que celle de l'équipe Séralini. Deuxièmement, personne ne s'est jamais donné les moyens d'étudier les impacts sanitaires d'une alimentation avec des OGM sur le long terme. Sur un sujet aussi controversé et passionnel, ce manque est particulièrement interpellant et alimente encore les soupçons de collusion évoqués ci-dessus.
La responsabilité
Dans ces débats, un sujet est particulièrement complexe à aborder est celle de la responsabilité de ces dysfonctionnements. Elle se partage entre trois groupes d'acteur : les consommateurs, les groupes agroalimentaires et distributeurs, les pouvoirs publics. Au début du XXème siècle, la création de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a marqué le passage du consommateur responsable de ce qu'il achetait au pouvoir public normalisant pour protéger le consommateur. À la fin du XXème siècle, la puissance de grands groupes agro-alimentaires et des distributeurs, leur "transnationalité" les émancipant partiellement des réglementations locales, mais aussi le manque de moyens des pouvoirs publics a mis le projecteur sur les entreprises privées. Le développement des questions de responsabilité sociale et environnementale des entreprises amplifie cette approche. L'avancée la plus significative dans ce sens est l'adoption de la directive Reach dans l'Union Européenne qui oblige les entreprises du secteur de la chimie à évaluer et gérer les risques posés par les produits chimiques qu'elles utilisent et produisent, et de fournir des informations de sécurité adéquates à leurs utilisateurs (1). De manière plus diffuse, aujourd'hui l'opinion publique critique les entreprises. Ainsi , les entreprises ou les filières lieux des scandales alimentaires sont en difficulté, de la filière bovine après la vache folle à Spanghero (2) après l'affaire des lasagnes. Cela n'est peut-être pas étranger au fait que ces entreprises font encore des bénéfices importants en temps de crise économique sévère et de déficits publics records. Certaines entreprises seraient en quelques sortent les dernières à avoir les moyens économiques d'exercer une responsabilité.
Ainsi, on se rend compte que les normes réglementaires, c'est-à-dire obligatoires, posées par les pouvoirs publics ne sont pas toujours suffisantes à la protection du consommateur. De plus, les effectifs humains de la DGCCRF ont baissé de 19 % entre 2007 et 2011 (3) suite à la Réforme générale des politiques publiques en France (RGPP). Quand le consommateur souhaite que les pouvoirs publics s'opposent à telle ou telle pratique, les accords internationaux de l'UE ou de l'OMC, peuvent limiter parfois la capacité à réglementer dans ce sens. Ainsi, l'interdiction de la production d'OGM en France est sans cesse remise en cause alors que l'opinion publiques y est massivement opposée. Les futurs accords de partenariat économique entre l'Union européenne et l'Amérique du Nord, dits « TAFTA », risquent d'amplifier ce phénomène. Et aucun système de contrôle sur la vente de viande ou de produits lacté fait à partir d'animaux nourris avec des OGM n'a été mis en place.
De la proximité à l'origine contrôlée
Restent alors deux solutions mobilisées pour rétablir la confiance du consommateur dans les produits, notamment alimentaires, qui lui sont proposés : la proximité et la certification par un tiers.
La question de la proximité a été propulsée dans les médias français sur des positions protectionnistes lors de la campagne présidentielle française de 2012 sous la dénomination « made in France ». Elle suit le mouvement de fond de la consommation local dont la tête de pont sont les Associations pour le maintien d'une agriculture paysanne (AMAP) qui mettent directement en relation l'agriculteur et le consommateur. Cette proximité permet de réassurer le consommateur qui peut directement demander des comptes et éventuellement visiter le lieu de production. D'ailleurs le Mouvement inter-régional des AMAP (MIRAMAP) a communiqué dans ce sens lors de l'affaire des lasagnes au cheval (4).
Cependant, tous les consommateurs ne sont pas aujourd'hui prêts à s'impliquer dans ces initiatives de proximité. Une autre option est la certification dite "par tierce partie", il s'agit de normes volontaires que le producteur décide de s’appliquer et qui sont certifiées par un organisme certificateur extérieur indépendant. Cette voie n'est pas opposée, mais complémentaire de la première. Ainsi nombre de paysan vendant via des AMAP sont aussi certifiés en Agriculture Biologique.
En France, l'Institut national des appellations d'origine propose plusieurs normes volontaires permettant de garantir l'origine géographique et la composition des produits. C'est le cas des produits labellisés Appellation d'origine contrôlée ou protégée (AOP/AOC) et Indication géographique protégée (IGP). De plus, la plupart des cahiers des charges AOP excluent l'utilisation d'OGM puisque le produit est relié à un « terroir ». Cependant, ces labellisations concernent principalement du vin et du fromage et ne recouvrent pas, loin s'en faut, toutes les gammes de produits alimentaires.
La voie biologique
Une autre de ces normes volontaires est le label Agriculture biologique (AB). Cette norme est pour l'Europe produite par l'Union européenne (5). Elle est efficace dans sa simplicité, qui fait son succès. En effet le principe s'énonce en quelques mots : "pas d'utilisation de produit de synthèse". Il s'agit avant tout d'une obligation de moyen et non de résultat. La traçabilité sur cette filière est physique, c'est-à-dire qu'un produit biologique est bien issu de plante cultivée selon le cahier des charges AB et d'animaux élevée selon le même cahier des charges. Il est transformé sur une ligne de production dédiée aux produits biologiques. De plus, le label garanti l’absence d'OGM et même l’absence d'OGM dans l'alimentation des animaux d'élevage.
La voie équitable
Un autre label bien implanté en France aujourd'hui est le label de commerce équitable dit "Nord-Sud" Max-Havelaar. Ce dernier est basé sur des critères environnementaux, sociaux et économiques allant vers le renforcement des capacités de producteurs défavorisés du Sud. La traçabilité est physique sur la majorité des produits. Dans ce cas, on peut quasiment identifier la parcelle d'origine du produit. Pour certains produits la traçabilité n'est que « documentaire ». C'est-à-dire qu'il rentre autant de matière première équitable qu'il sort de produit équitable de la chaîne de production. Néanmoins le non-mélange avec des matières non-équitables sur la ligne ne peut-être garantie. C'est généralement le cas pour les produits pour lesquels la création d'une ligne de transformation spécifique à l'équitable induit un surcoût insurmontable (cacao, coton, etc.). Une augmentation des volumes vendus pourrait permettre de résoudre ce problème. Par contre la garantie est apportée qu'il n'y a pas d'OGM dans les produits équitables et lorsque qu'une origine géographique est donnée à un produit elle est bien garantie.
Une meilleure traçabilité est possible
Un des premiers freins à l'achat de ces produits labellisés est leur prix qui est perçu comme plus cher. À qualité de produit égale ça n'est pas toujours vrai, mais cela reste généralement le cas. On attribut souvent ce « surprix » au fait que dans le commerce équitable le producteur est mieux rémunéré. S'il est vrai que le producteurs est souvent mieux rémunéré, le « surprix » est plutôt du à des manques d'économie d'échelle sur ces filières qui restent aujourd'hui modestes en volume. Ainsi sur le café, produit vendu en grand volume en Commerce équitable, à qualité gustative égale, les prix se valent presque avec ceux du conventionnel, mais pas la traçabilité et évidemment pas la qualité socio-environnementale de la production.
Comme tout système construit et géré par des êtres humains, les initiatives de consommation de proximité et les labels ont leur limite et ne sont pas infaillible. Il existe dans chacune de ces filières des exemples de fraudes propre à y jeter le discrédit.
De plus, le consommateur peut projeter plus dans le produit labellisé que ce qui est garanti par le label. On croit souvent que les aliments issus de l'agriculture biologique sont meilleurs pour la santé. Cela est assez facilement démontrable pour la santé du producteur, même si certains produits d'origine « naturelle » peuvent se révéler aussi toxiques. Par contre, il n'y a pas de démonstration globale avérée pour la santé du consommateur, même si certaines études tendent à montrer des bénéfices pour certains, comme une quantité d'oméga 3 supérieure dans les produits lactés biologiques.
Néanmoins, la traçabilité est bien plus performante et fine pour les produits labellisés que pour les autres dit « conventionnels » et avec des qualités gustatives, culturelles, sociales ou environnementales supplémentaires. Ces systèmes représentant des innovations majeures dans la production agricole et la consommation alimentaire des trente dernières années gagneraient à être encore plus largement diffusées et défendues pour le bénéfice de tous. Ils montrent aussi que des initiatives ayant une origine citoyenne, qu'elles soient restées privées ou soit devenues publiques, peuvent se révéler plus efficaces que les systèmes de contrôle mis en place par les grands groupes de l'agroalimentaire. En effet le label Max-Havelaar est la propriété d'organisations collectives de paysans et travailleurs du Sud et d'associations citoyennes du Nord. De son côté, le label AB est aujourd'hui public en France, mais a été créé par des groupes de paysans et de consommateurs militants dans les années 80.
1. http://ec.europa.eu/enterprise/sectors/chemicals/reach/index_fr.htm
2. Entreprise ayant vendu la viande chevaline pour du bœuf à Findus
3. http://www.senat.fr/rap/a10-115-3/a10-115-311.html
4. http://miramap.org/Tribune-du-MIRAMAP-dans-le-journal.html
5. http://www.agencebio.org/les-textes-reglementaires
18 avril 2014
Tanguy Martin (Ingénieurs sans frontières Devagri)
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