La terre, notre nouveau pétrole...

Notre modèle de développement est largement basé sur la destruction irréversible de ressources fossiles limitées. Ainsi, à plus ou moins long terme, nous allons devoir trouver d'autres ressources, notamment pour produire notre alimentation et notre énergie. L'agriculture semble être une piste alternative intéressante. Cependant, la ressource en terres agricoles est tout aussi limitée sur la planète. Une limite dans l'espace quand les ressources fossiles sont limitées dans le temps.
Pâture dans le Rouergue
Pâture dans le Rouergue
Photo T. Martin
Une grande partie des biens que nous fabriquons pour subvenir à nos besoins ont une origine biologique. En effet, qu'ils soient issus de matières premières biologiques animales ou végétales, qu’ils soient transformés par un processus biologique comme la fermentation, ou qu’ils aient été produits avec une énergie d’origine biologique telle que le pétrole, le gaz ou le bois, l'intervention d'organismes vivants est un préalable à l'existence de ces biens.

On peut diviser ces ressources biologiques - ou d’origine biologique - en deux catégories. Il y a tout d’abord les fossiles : en majorité charbon, gaz naturel et pétrole. Il y a ensuite les ressources issues de l'agriculture, c'est-à-dire de la maîtrise d'un cycle biologique par l'homme, qui sont alimentaires ou non, comme le coton textile.

Les ressources fossiles s'épuisant, un grand nombre de biens que nous utilisons tous les jours ne pourront tout simplement plus être fabriqués de la même manière au cours des cents prochaines années. Nous devrons alors soit nous en passer, soit les substituer par d'autres biens, soit trouver d'autres processus pour les fabriquer. Des solutions de remplacement peuvent être proposées à partir de produits agricoles, par exemple les textiles coton, lin et laine, les biocarburants, ou encore des matières simili-plastiques produites à partir de maïs ou d’hévéa. Ces matériaux et ces processus sont-ils pour autant vraiment disponibles et renouvelables ?

Les limites de la production agricole


Tout processus agricole nécessite une surface disponible pour recueillir un réservoir d'éléments biologiques tels que des micro-organismes ou de la matière organique, et d’éléments minéraux. En résumé : pas d'agriculture sans terres. L'avantage des terres est que, bien entretenues, elles sont une ressource renouvelable, donc potentiellement illimitée dans le temps. La difficulté, c’est qu’elles sont limitées dans l’espace.

L'utilisation agricole de la terre rentre en compétition avec d'autres usages, en premier lieu desquels figure l'urbanisation mais aussi la production énergétique par les panneaux solaires ou par les éoliennes. La ressource en terres productives, propres à l'agriculture, est donc en baisse actuellement. Pour ne rien arranger, les capacités de production agricole de nombreuses terres sont en forte diminution, du fait d’une exploitation agricole trop intensive, de certaines activités industrielles ou du dérèglement climatique.

Enfin, la perspective d'une production agricole libérée de l'apport d'intrants d'origine fossile exige, au moins à court terme, encore plus de surfaces de production qu'aujourd'hui.
En effet, un sol fertilisé depuis longtemps avec des engrais chimiques perd sa vie organique. Ainsi, si on le fertilise de nouveau avec un engrais non chimique, du fumier par exemple,  il produira moins au début, le temps de reconstituer une vie organique (1). Nous aurons donc rapidement à nous débrouiller entre des ressources fossiles limitées dans le temps et des ressources agricoles limitées dans l’espace.

Protéger l’accès à la terre


A cause de cette limite dans l’espace, la ressource terre attise de plus en plus les convoitises. Du fait de sa rareté et de ses diverses utilisations possibles, elle est plus que jamais sujette à la spéculation et aux appétits commerciaux. L'exemple le plus connu aujourd’hui est la tentative d'achat massif de terres par l'entreprise coréenne Daewoo Logistics à Madagascar (2).

Au 21ème siècle, nos combats « pour un exercice harmonieux des droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels au niveau mondial » (charte d'ISF) passeront inévitablement par la défense d’un accès juste aux terres, correspondant aux besoins des populations, et par la lutte contre son accaparement par un petit nombre d'individus. La maîtrise de cet or brun sera peut-être avec celui de l'or bleu une des clefs du commerce et de la géopolitique de ce siècle, comme l'or noir était celui du siècle dernier..

1. Voir L.&C. Bourguignon, Laboratoire d'Analyse Microbiologique des sols (LAMS)
2. Voir sur le site des Amis de la Terre
4 mars 2010
Tanguy Martin, équipe développement agricole
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