La sélection méritocratique: un système testé et non approuvé en école d'ingenieur.e.s!

Les travaux de nombreux·ses sociologues ont démontré les effets pervers de la sélection dans le système scolaire1 : le phénomène de reproduction sociale est aujourd’hui large- ment documenté. Elle se traduit dans les statistiques par le fait qu’un enfant d’ouvrier·ère·s a plus de chance de devenir ouvrier·ère·s que de changer de classe sociale, de la même manière, un enfant de cadre a statistiquement plus de chance d’être cadre lui-même.
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Pixabay-Thomas Volter

Les travaux de nombreux·ses sociologues ont démontré les effets pervers de la sélection dans le système scolaire1 : le phénomène de reproduction sociale est aujourd’hui large- ment documenté. Elle se traduit dans les statistiques par le fait qu’un enfant d’ouvrier·ère·s a plus de chance de devenir ouvrier·ère·s que de changer de classe sociale, de la même manière, un enfant de cadre a statistiquement plus de chance d’être cadre lui-même.

Au sein des écoles, il y a une concentration d’élèves issu·e·s des classes sociales supérieures, dont le genre correspond au sexe qui lui a été assigné·e à la naissance et qui ne sont généralement pas victimes de racisme systématique. L’explication majoritairement avancée médiatiquement est celle de « l’au-to-censure » des catégories sous représentées. Ce phénomène existe mais n’a pas pour cause les individu·e·s qui se censurent tou·te·s seul·e·s ! C’est bien le système scolaire qui favorise des compétences non-académiques et non-explicites en faveur de certaines catégories sociales2. Les quelques programmes « d’égalité des chances » ne sont qu’un bout de sparadrap sur une hémorragie. Ils permettent à quelques élèves de milieux populaires de réussir scolairement afin d’avoir des exemples à brandir pour montrer que le système méritocratique fonctionne, mais ils ne bousculent en rien les données statistiques3.

Selon des chercheur·ses en psychologie4, ces exemples ont une autre fonction : ils servent le « mythe légitimateur »5qu’est la méritocratie. C’est-à-dire le fait d’accepter les inégalités au motif qu’elles seraient en quelque sorte méritées, « croire en un monde juste c’est en effet croire en des inégalités justes »6. De plus, entretenir l’espoir de réussites pour les personnes que le système positionne statistiquement à des places subordonnées revient à freiner les processus de contestation sociale. La méritocratie divise les luttes, car elle individualise et isole les individus au sein du collectif en leur faisant espérer un avenir meilleur si elles ou ils sont sages et travailleur·euse·s7. Le système méritocratique est donc une sélection à la conformité et à la docilité. Pour passer les étapes de sélection,il s’agit de répondre le plus correctement aux consignes et aux attendus sans jamais les remettre en question.Pourtant, des pédagogues révolutionnaires défendent depuis longtemps une pédagogie où la remise en cause d’une autorité est favorisée par l’apprentissage8.Or,les défis sociaux et écologiques demandent une appropriation critique de ces enjeux par les citoyen·ne·s afin qu’il·elle·s puissent participer à l’élaboration des choix de société de façon démocratique. L’enseignement dispensé en école d’ingénieur·e ne va pas dans ce sens tout en légitimant la docilité via la sélection méritocratique. La loi ORE abonde en ce sens en renforçant des processus largement observés dans les écoles d’ingénieur·e.

Cependant, une réforme ambitieuse de l’enseignement supérieur pourrait tout de même s’inspirer des écoles d’ingénieur·e·s en certains points, comme la mise à disposition de moyens adaptés. Certaines rares écoles ont même compris qu’il fallait rémunérer les élèves pour leur donner des conditions d’études optimales. ISF milite pour la fin du système à deux vitesses écoles-universités. C’est-à-dire un enseignement de l’ingénierie au sein des universités, avec pour cela, des budgets supplémentaires répartis plus équitablement afin de répondre au nombre de places nécessaires.

 

  1. Les travaux de P.Bourdieu, par exemple.

  2. Les travaux de M. Duru-Bellat mais également le livre « Fatima moins bien noté que Marianne » de F. Durpaire et B. Mabilon-Bonfils.

  3. S. Bouamama « Les discriminations racistes, une arme de division massive ».

  4. C. Dalbert, parexemple.

  5. Jost, Hunyady, Sidanius,Pratto.

  6. M.Duru-Bellat,E.Tenret«L’emprise de la méritocratie scolaire : quelle légitimité ? »,2009.

  7. S. Bouamama « Les discriminations racistes, une arme de division massive ».

  8. P.Freire, B. Hooks, C.Freinet.

19 juin 2018
Lola Guillot, membre du comité Former l’Ingénieur·e Citoyen·ne
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