A la rencontre d'Ingénierie sans frontières Argentine et de l'ingénierie sociale

Raphaël Colmeet-Dâage, président actuel d'Ingénieurs sans frontières Grenoble, a effectué un stage chez Ingénierie sans frontières Argentine durant l'été 2015. Il partage son expérience avec la fédération et nous explique la vision de l'ingénierie sociale portée par Ingénierie sans frontières Argentine.
Escuela Familial Agricola Avallenada (Santiago del Estero)
Escuela Familial Agricola Avallenada (Santiago del Estero)
Raphaël Colmeet-Dâage

 

Peux-tu te présenter ?

Je m'appelle Raphaël, je suis étudiant ingénieur, dans la belle ville de Grenoble. J’ai intégré Ingénieurs sans frontières Grenoble il y a maintenant un an, lorsque je suis rentré en école. Je suis son actuel président et je découvre que le poste est loin d'être de tout repos !

Comment es-tu rentré en contact avec Ingénierie sans frontières Argentine ?

Ma première idée était de monter un projet sud, j'ai donc commencé à étudier les différents Ingénieurs sans frontières à travers le monde pour trouver un partenaire pertinent. La coordination nationale de la fédération m'a alors conseillé de me pencher sur Ingenieria sin fronteras Argentina, qui avait été identifiée comme une association très dynamique avec une vision forte de l'ingénierie sociale. Leurs initiatives autour de la formation de l'ingénieur et leur conception de l'ingénieur responsable renvoient à de nombreuses réflexions développées par Ingénieurs sans frontières France. Premier exemple : en Argentine, on parle d'Ingénierie et non d'ingénieurs sans frontières. On traite du domaine d’étude, pas des diplômes ! Dès son origine, l'organisation s'est voulue inclusive tant sur les compétences que sur le genre. Ils considèrent que l'ingénierie concerne tout le monde, toutes les expertises sont les bienvenues ! Ingénierie sans frontières Argentine a été fondée en 2012 par une anthropologue et un ingénieur et a bien failli s’appeler Anthropologie sans frontières d'ailleurs.

Peux-tu nous présenter Ingénierie sans frontières Argentine, son mode de fonctionnement et ses valeurs ?

Ingénierie sans frontières Argentine est aujourd'hui composé de 200 bénévoles et de 4 salariés, moins de 4 ans après sa fondation ! Ils ont d'ores et déjà achevé une dizaine de projets et une dizaine d'autres sont en cours. Les objets des projets sont divers : construction d’un pont dans la pampa, mise en place de cours de graphisme dans une prison de Buenos Aires ou encore création d'un module de cours sur « gestion de projets sociaux » à l'Université Technologique de Buenos Aires. Cependant, quels que soient les projets, les grands principes que défend Ingénieurs sans frontières France sont respectés, à savoir : le partenaire sur place est maître de son projet, toutes les parties prenantes sont impliquées et les ingénieurs ne sont qu’un appui. Pour synthétiser, Ingénierie sans frontières Argentine, c’est toute une équipe d’ingénieurs, de graphistes, de professeurs qui réalisent ensemble des projets réellement « sociaux » ! Cela peut paraître un lieu commun mais l'ingénieur social est véritablement au cœur de toutes leurs activités.

À quelles activités as-tu participé ?

Mon projet était intitulé « L’ingénieur Social et sa mise en place vue du côté argentin ». Mon séjour en Argentine a duré un mois et demi, découpé en 2 phases :

J'ai tout d'abord passé 10 jours à Buenos Aires avec Ingénierie sans frontières Argentine pour travailler sur « la partie théorique de l’ingénieur social ». J'ai été accueilli avec un fameux asado argentin : un barbecue de bienvenue où j’ai rencontré tous les membres très actifs d'Ingénierie sans frontières Argentine. Leur accueil a été tout simplement extraordinaire ! Puis, j’ai participé à un cours du module de Gestion stratégique de projets sociaux vers le développement durable. Le principe est que les élèves travaillent directement sur les projets d'Ingénierie sans frontières Argentine et viennent sur le terrain une fois par mois. J'ai aussi assisté à des réunions de préparation d’un projet en eau et assainissement, et j'ai pu contribuer au projet de réhabilitation de l’installation électrique d’une cantine pour enfant dans un quartier isolé de Buenos Aires. L'équipe d'Ingénierie sans frontières Argentine m'a ensuite emmené, le temps d'un week-end, sur les lieux du projet auquel j'allais participer par la suite. Entre mise en place des profils métalliques des toits des nouvelles salles de classe, rencontre avec les professeurs, avec qui je m'apprêtais à vivre pendant un mois, et tombola organisée par l’école pour tous les habitants des alentours, ce fut un week-end animé et riche en enseignements !

Pour la mise en pratique, je suis ensuite reparti à l'École Familiale Agricole Avallenada dans la région de Santiago del Estero (cf.photo), dans la vraie campagne Argentine ! Construite à 10 km de la commune de Colonia Dora (2000 habitants à 15h de bus au nord-est de Buenos Aires), cette école accueille 120 élèves par an. Les niveaux s'alternent : les 11-14 ans ont cours les 2 premières semaines du mois et les 15-19 ans les 2 semaines suivantes. Les élèves vivent à l'école durant leurs deux semaines de cours. Ce sont presque tous des enfants de familles isolées des alentours qui vivent sans accès à l'eau ou à l'électricité. Ils m'ont accueilli tout sourire, essayant de m’intégrer et de me connaître, même si mon espagnol était fort différent du leur ! Les enfants suivent des cours de mathématiques, physique, sociologie, agronomie, dessin artistique, mais aussi des travaux pratiques au potager, dans la porcherie, à la cuisine et bien sûr dans le bâtiment. C'est sur cette dernière matière que je collaborais avec eux. Les professeurs sont très investis dans la vie de l’école et préparent avec soin leurs enseignements. Leur objectif est, je cite, “ d’éduquer les enfants à réfléchir et à agir par eux-mêmes, tout en alliant des outils et connaissances techniques”. Leur positionnement m’a réellement impressionné. Ingénierie sans frontières Argentine avait déjà travaillé avec cette communauté pour la construction d'un pont. Leur principe est qu'ils ne mènent jamais de projet en propre, ils mettent leurs compétences à disposition de communautés qui mènent leurs projets. C'est une des clés de l'ingénierie sociale selon moi. Mon rôle était d'accélérer la construction de toits de l’école, qui sont bien évidemment construits par les élèves et les professeurs. J’étais un lien dynamique entre les ingénieurs d’Ingénierie sans frontières Argentine et les professeurs de l’école. Cependant, je n’étais ni chef de travaux, ni architecte, ni quoi que ce soit qui implique un rôle décisionnel. Lorsque des enfants étaient en pause, je les amenais au chantier et nous faisions ensemble des encoffrages, du béton et autres. En cas de doute sur les méthodes, je demandais l’avis des professeurs très compétents.

Quels apprentissages t'ont marqué dans cette expérience ?

Je vais vous le dire sous forme d’exemples :

- Le recyclage actif : à l’école, les bouteilles en plastique sont remplies de déchets (ni végétal, ni animal), jusqu’à devenir très solides. Elles sont ensuite utilisées dans le béton, ayant la même utilité que les pierres. Il y a ensuite évidemment du compost, la fabrication d’humus ou encore les restes des repas distribués aux animaux.

- L’agronomie : Pour préparer l’arrivée de nouvelles vaches, les professeurs commencent à penser à un défrichage important de la forêt épineuse des alentours. Cependant, le défrichage sera raisonné afin de préserver la biodiversité, sachant que les vaches vont elles-mêmes défricher leur terres, et que sans biodiversité la terre se meurt.

- Les cours de dessin : cette École Familiale Agricole est une des seules à donner ce type de cours. Il y a une volonté de permettre aux élèves de développer leur créativité : peintures murales au sein de l'école, fabrication de “maté” artisanal... Pour moi, cela illustre la conviction des professeurs d'ouvrir le champ de connaissances de leurs élèves.

- L'ingénierie sociale : les ingénieurs d’Ingénierie sans frontières Argentine sont portés par leurs convictions et agissent en fonction d'elles. Toute décision est prise avec l’accord à l’unanimité des membres de l'association, mais aussi et surtout des habitants et futurs utilisateurs du projet. L’implication des habitants est un point essentiel dans tous les projets menés par Ingénierie sans frontières Argentine.

Quels apports pour Ingénieurs sans frontières Grenoble et Ingénieurs sans frontières France suite à cette expérience ?

Personnellement, cette expérience me fait réaliser qu'il est possible de faire de vrais projets d’ingénierie sociale. Les partenaires sur place, les habitants des villages ciblés, sont heureux de participer à l’amélioration de leurs conditions de vie. Dès lors qu’ils se sentent impliqués, le projet ne peut être que plus rapide, mieux abouti et pérenne. Cependant, ceci est facilité par la possibilité d’aller régulièrement sur les projets en cours ( une fois par mois, Ingénierie sans frontières Argentine va sur le terrain ). À Ingénieurs sans frontières Grenoble, nos projets s’effectuent à des milliers de km de France … La distance représente un frein à la mise en place de projet d’ingénierie sociale selon moi. De ce fait, un 1er voyage de “découverte” me parait important à effectuer lorsque c’est possible sur un projet sud. Ou alors, peut-être devrions-nous mieux explorer les projets d'ingénierie sociale que nous pourrions réaliser sur nos territoires pour ensuite les lier à des problématiques globales.

Quoi qu'il en soit, Ingénieurs sans frontières Grenoble et Ingénieurs sans frontières France restent en contact et suivent les projets d'Ingénierie sans frontières Argentine. Benjamin Narang, ancien président du groupe locale, Ingénieurs sans frontières Paris IV, avait déjà effectué une période de volontariat avec eux en 2013. Le lien n'est que renforcé. À nous de continuer à l'alimenter, d'explorer de nouveaux formats de collaboration et de continuer à apprendre des uns des autres !.

 


 

23 octobre 2015
Claire Lataste
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Groupe ISF