La biopiraterie, une nouvelle forme de colonisation?

La Fondation Danielle Mitterrand - France Libertés est une association de solidarité internationale qui s'engage dans les droits des peuples à disposer de leurs ressources naturelles, à lutter contre la spoliation de leurs terres et à préserver leurs savoir-faire et leurs savoir-vivre. Interview de Marion Veber, chargée de programme "Droits des peuples".
Conférence de presse organisée par Planète Amazone, France Libertés et des représentants du peuple des Guarani Kaiowá
Fondation Danielle Mitterrand - France Libertés

Ingénieurs sans frontières : qu'est-ce que la biopiraterie ?

Marion Veber : La biopiraterie fait référence à la privatisation du vivant et des savoirs traditionnels sur la biodiversité, notamment par le biais de brevets. Les biopirates sont les entreprises, en particulier pharmaceutiques, cosmétiques ou agroalimentaires, ainsi que les instituts de recherche qui s’approprient des plantes ou semences ainsi que les connaissances et savoir-faire sur ces ressources à travers la propriété intellectuelle. Les communautés locales, rurales et autochtones, qui vivent particulièrement proches de leur environnement, ont en effet développé des connaissances très fines sur la biodiversité qui les entoure et qui sont fortement recherchées par le monde de la recherche ou économique pour les valoriser. On parle de biopiraterie quand ces acteurs s’approprient de manière illégitime ces savoirs, sans le consentement des communautés et sans partage des bénéfices réalisés grâce leur utilisation.

La biopiraterie interroge donc sur plusieurs aspects. Comment donner un droit de propriété intellectuelle à des éléments qui se reproduisent naturellement et gratuitement ou que tout un chacun peut reproduire en s’appuyant sur des savoirs collectifs partagés ? Cela pose la question des biens communs du vivant et leur appropriation et privatisation. La biopiraterie invite également à réfléchir à la reconnaissance et valorisation des savoirs des peuples. Comment repenser les rapports à ces populations pour qu’ils soient moins marqués par la violence et l’exploitation abusive ? Vandana Shiva, grande militante indienne engagée dans la lutte contre la biopiraterie parle « d’un déni du travail millénaire de millions de personnes et de cerveaux travaillant pour le bien de l’Humanité » et va même plus loin : « Lors de la première colonisation, les peuples autochtones se sont fait voler leurs terres. Au moyen des droits de propriété intellectuelle et des brevets, on se trouve à piller l’esprit et le corps des peuples autochtones ; la vie elle-même se fait coloniser ». Lutter contre la biopiraterie consiste donc à s’opposer à la marchandisation de la nature et à chercher à protéger les savoirs des peuples sur la biodiversité.

 

ISF : peux-tu présenter un exemple concret de travail avec une communauté sur le sujet ?

MV : Le 16 novembre, France Libertés a lancé une campagne internationale sur un nouveau cas de biopiraterie qui concerne la stévia. Connue par les Guarani Kaiowa et Pai Tavytera depuis des siècles, ils l’utilisent notamment pour ses propriétés sucrantes. C’est de ce savoir traditionnel que découlent toutes les utilisations ultérieures de la stévia. Cependant, les Guaranis ne reçoivent pas la part juste et équitable des bénéfices résultant de la commercialisation des glycosides de stéviol. Il s’agit d’un cas patent de biopiraterie. Des entreprises spécialisées dans les matières premières agricoles, l’agroalimentaire et la biotechnologie (Coca-Cola, PepsiCo, Casino, Carrefour, Nestlé, etc.), utilisent la stévia et les connaissances traditionnelles des Guaranis pour réaliser des profits (le chiffre d’affaires 2015 réalisé sur les produits contenant de la stévia est estimé entre 8 et 11 milliards de dollars US).

Nous sommes aujourd’hui en contact avec les Guaranis et espérons convaincre les entreprises d’engager des négociations avec eux pour la mise en place d’un protocole d’accord et ainsi garantir un partage juste et équitable des avantages. Si ce partage ne doit pas nécessairement prendre une forme financière, il doit cependant répondre aux demandes exprimées par les Guaranis.

 

ISF : comment les institutions politiques internationales s'emparent du problème ?

MV : Pour protéger les peuples et la biodiversité des biopirates, les États ont élaboré deux textes fondamentaux dans le cadre de sommets onusiens : la Convention sur la Diversité Biologique (1992) et le Protocole de Nagoya (2010). Ils posent le principe dit APA (Accès et Partage des Avantages) : les acteurs souhaitant accéder aux ressources génétiques d’un État doivent demander l’autorisation et, en cas de savoirs traditionnels associés, le consentement des communautés concernées doit être récolté et un partage des bénéfices mis en place. Ces textes marquent une avancée certaine, mais restent toutefois soumis à la bonne volonté des États d’appliquer dans leurs droits nationaux ces principes fondamentaux. C’est ce qu’a fait la France en votant le 20 juillet dernier la loi sur la biodiversité qui, bien que présentant certaines limites, comprend tout un volet sur la prévention de la biopiraterie par l’élaboration d’un cadre clair.

D’autres États sont beaucoup plus avancés comme l’Inde ou le Pérou qui se sont lancés dans des actions de recensement des savoirs traditionnels liés à leurs biodiversités. L’objectif avec la Bibliothèque digitale indienne ou la Commission nationale contre la biopiraterie péruvienne est de disposer d’un outil efficace pour prouver l’antériorité des savoirs traditionnels en cas de demandes de brevets posés sur des plantes dont les propriétés brevetées seraient déjà connues par des peuples. Il s’agit d’un travail titanesque qui a déjà permis d’enregistrer un très grand nombre de connaissances traditionnelles et d’invalider des demandes de brevets.

Lutter contre la biopiraterie passe aussi par un travail de prévention à travers le renforcement des capacités des communautés locales pour mieux les informer de ce qu’est la biopiraterie, de leurs droits et des possibilités d’action. Faire connaitre les alternatives possibles est aussi un élément essentiel pour dépasser les pratiques actuelles.
 

Pour aller plus loin

Sur la biopiraterie :

Site de France Libertés : http://www.france-libertes.org/-Lutte-contre-Biopiraterie-.html#.WEGCV32VpSA

Les alternatives à l’appropriation de la biodiversité et des savoirs traditionnels des peuples autochtones - 2016

La biopiraterie : Comprendre, Résister, Agir – 2012

Sur le cas de la stévia :

Stévia, une douceur au goût amer - 2015

Stévia : vers un accord de partage des avantages - 2016

Pétition internationale : https://actions.sumofus.org/a/coca-cola-partagez-les-profits-percus-grace-aux-produits-a-base-de-stevia/

http://www.france-libertes.org/Share-Stevia-signez-la-petition.html

Connaitre d’autres cas de biopiraterie : http://www.france-libertes.org/-Quelques-cas-de-biopiraterie-.html#.WEGObn2VpSA


 

13 janvier 2017
Propos recueillis par Arnaud De Maria
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