Haïti : Ne pas répéter les erreurs du passé

Aujourd'hui, plus encore qu'hier, la réponse aux besoins des haïtiens nécessite des politiques et services publics durables, accessibles pour tous les citoyens et sur l'ensemble du territoire national. De quelle situation part-on ? Comment aider à construire des services publics pérennes en évitant les écueils du passé ?
Reconstruction d'Haïti
Vision du monde


Par Pierre-Michel Joassaint, consultant en gestion publique, ancien membre du cabinet du Premier ministre d’Haïti et Bernadette Debrosses, retraitée de la fonction publique territoriale, membre de l’IRCOD (Institut régional de coopération-développement)

Un cimetière de projets et un État en crise structurelle perpétuelle

Quatre mois se sont écoulés depuis qu’Haïti a été frappé par un terrible séisme qui a laissé derrière lui près de 300 000 morts et une capitale totalement détruite. La puissance du tremblement de terre ne peut expliquer à elle seule ce bilan. Les causes doivent être recherchées dans la crise structurelle dans laquelle s’est installé ce pays depuis des décennies et d’où ni les Haïtiens ni l’aide internationale n’ont pu le sortir. Le tremblement de terre a frappé l’économie du pays en plein cœur, car l’essentiel de l’activité économique et la plupart des services étaient concentrés dans la capitale. La nécessité d’aménager le territoire et de redistribuer plus équitablement les services publics a été constamment réaffirmée mais jamais mise en
œuvre.
Face à cette carence, les ONG et les micro-initiatives locales et étrangères sont souvent les seuls recours de la population. Ces initiatives facilitent la survie des populations en offrant quelques services de base, mais au final ce système n’a pu qu’encourager l’abdication de l’État et hypothéquer l’émergence de collectivités locales modernes en freinant la mise en place d’un cadre global de développement. Le même constat s’applique aux coopérations bilatérales ou multilatérales qui, sans se soucier de la cohérence des actions et même parfois en se faisant concurrence, arrivent avec des projets déjà fi celés et les financements qui vont avec.

Haïti n’est pas un terrain vierge !

En Haïti, tout ou presque a déjà été étudié. La pierre d’achoppement n’est ni le niveau de connaissance et de diagnostic de la situation, ni la conceptualisation de solutions mais la manière concrète de les mettre en œuvre. Il faut savoir résister à la tentation de l’expert providentiel qui arrive, le plus souvent en toute bonne foi, avec de nouvelles recettes. Il faut donc avoir la modestie de poursuivre et non de refaire le chemin parcouru, car il a mobilisé à la fois les ressources humaines et financières de l’aide internationale et des institutions publiques haïtiennes. Ceci implique aussi que les acteurs de l’aide internationale partagent leurs fonds documentaires et leurs expériences.

La pérennisation des services : un coût à assumer

Une part importante de l’aide extérieure est consacrée au financement et à la réalisation de projets d’investissement. L’investissement est une condition nécessaire mais non suffi sante à la fourniture du service public. La continuité du service implique, d’une part, des charges de fonctionnement dont le financement est parfois ignoré ou sous-estimé, quand il n’est pas tout simplement proscrit par les règles de l’aide et, d’autre part, la reconnaissance des agents publics qui ont la charge du service à la population. Or de nombreuses tâches de conception sont exécutées par des experts extérieurs et des consultants locaux, à des niveaux de rémunération bien supérieurs aux rémunérations publiques. La disproportion entre les rémunérations publiques et les rémunérations externes incite les personnes compétentes à quitter le service public ou à cumuler des emplois. Au niveau des emplois d’exécution, certaines rémunérations publiques sont inférieures au seuil de pauvreté absolue, et donc aux rémunérations servies, par exemple, dans des opérations « cash for work ». Dans de telles conditions, la gestion du service public dans la durée ne sera jamais assurée.

Enfin, la question centrale reste de savoir à quelles priorités doit répondre l’aide extérieure, en termes de services collectifs à rendre à la population, à court terme et à moyen terme. Dans la situation dramatique que connaît Haïti, le déferlement d’initiatives non coordonnées ne fera qu’accroître le chaos antérieur. Le changement d’approche concernant l’aide à Haïti est une priorité pour éviter les erreurs passées, mais la question de la gouvernance reste posée. Ajouter à la catastrophe une gouvernance politique incapable de s’accorder sur des priorités opérationnelles hypothéquerait gravement la reconstruction.

7 février 2011
Bruno Le Bansais
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