Face à la crise: questionner la responsabilité sociale des ingénieurs
Les cadres sont reconnus notamment pour une capacité : la responsabilité. Si être responsable, c’est être capable de décider et d'agir, c'est aussi anticiper, prévoir, et rendre compte. Or aujourd'hui, on peut constater un réel écart entre la réalité de la responsabilité des cadres et la conscience qu’ils en ont.
Flickr - Fredonino - cc
Ainsi, la plupart des jeunes ingénieurs amenés à prendre des responsabilités n'ont pas conscience des enjeux de leurs décisions et de leurs actions sur la société. N’étant ni dirigeants, ni actionnaires, ni clients, ils pensent se dégager de toute responsabilité politique ou juridique.
Est-ce compréhensible ? D'un côté, on ne peut pas leur en vouloir : leur formation les prépare de moins en moins à réfléchir à des questions comme les évolutions de la société, l’impact des avancées de la recherche scientifique sur ces évolutions, la responsabilité sociale des entreprises, etc. Dès lors, les habitudes de l'entreprise dans laquelle ils arrivent et les préoccupations quotidiennes vont enterrer définitivement tous ces questionnements.
Nous évoluons dans une économie où les grandes entreprises jouent un rôle prépondérant, autant par le nombre de leurs salariés - et la responsabilité humaine qui en découle - que par leur influence dans l’organisation des marchés mondiaux. Or les jeunes cadres ne peuvent fermer les yeux sur leurs responsabilités dans la crise écologique qui prend de l'ampleur jour après jour, dans les crises sanitaires et alimentaires répétées, ainsi que dans les scandales financiers qui frappent chaque jour des entreprises multinationales et nous ont mené à une crise économique inédite,
Même les ingénieurs ? Oui, surtout eux. Notamment par les fonctions qu’ils occupent - dans la recherche, le développement, le pilotage de la production, la gestion des risques, les montages financiers, etc. - les ingénieurs techniques et ingénieurs d'affaires sont les premiers responsables de la transformation de nos sociétés. Ceux-ci, en raison des connaissances qu’ils détiennent (plus parfois que les dirigeants !), sont les plus à même de maîtriser les enjeux de la mondialisation économique. Or la situation de crise et les mouvements de contestation qui se généralisent devraient les inviter à faire le bilan de leurs actions, et à rendre des comptes à leurs concitoyens !
Intéressons nous à un cas concret récent, la crise des subprimes. Combien de jeunes ingénieurs d'affaires ont, au nom de l’innovation financière, dissout le risque des subprimes dans des produits financiers opaques dont les différents acteurs financiers se sont refilés la responsabilité les uns aux autres ? Pourtant conscients que cela ne tiendrait pas éternellement, ces cadres de la finance, jeunes pour la plupart, ont persévéré et n'ont jamais pris le temps de se concerter, de poser le problème ensemble, et de dire « ça suffit ! ». Qu’auriez-vous fait à leur place, sous la même pression et la même habitude de ne pas se sentir responsable ?
Il est bien que les hommes politiques et les médias dénoncent les frasques de certains traders et autres « escrocs » financiers, et parlent d'imposer des règles et des sanctions. Mais allons-nous aborder les vrais problèmes, celui de l'abandon des sciences sociales dans leurs formations, celui de l'absence de concertation commune et de vision à long terme ? La formation des ingénieurs, initiale ou continue, a-t-elle correctement préparé ces derniers à se questionner sur leurs responsabilités, à prévenir les risques sociétaux et environnementaux de leurs actions, à comprendre le modèle économique dans lequel ils évoluent - quitte à le remettre en question ?
Les médecins, à l’issue de leur thèse, prononcent le serment d’Hippocrate. Dans sa version moderne, c'est un engagement moral fort vis à vis de la société : "Je n'entreprendrai rien qui dépasse mes compétences", "Même sous la contrainte, je ne ferai pas usage de mes connaissances contre les lois de l'humanité", "Je ne me laisserai pas influencer par la soif du gain ou la recherche de la gloire", etc. Les ingénieurs devraient y jeter un coup d'œil ! Car la responsabilité sociale des cadres semble bien supérieure aujourd’hui à celle des médecins....
Post-scriptum
L'Initiative internationale pour la responsabilité sociale des cadres (IRESCA) participe pleinement de cette volonté de promouvoir des lieux de réflexion, d’échanges et d’expression des cadres, dans l'espace public et au sein des entreprises. Site web de l'IRESCA
Ingénieurs sans frontière est également très impliquée dans la réflexion autour du cursus des formations d’ingénieurs, avec la mise en place d’un projet de recherche (et notamment l'encadrement d'une thèse) sur la formation humaine des ingénieurs.
Est-ce compréhensible ? D'un côté, on ne peut pas leur en vouloir : leur formation les prépare de moins en moins à réfléchir à des questions comme les évolutions de la société, l’impact des avancées de la recherche scientifique sur ces évolutions, la responsabilité sociale des entreprises, etc. Dès lors, les habitudes de l'entreprise dans laquelle ils arrivent et les préoccupations quotidiennes vont enterrer définitivement tous ces questionnements.
Il y a pourtant matière à se remettre en question !
Nous évoluons dans une économie où les grandes entreprises jouent un rôle prépondérant, autant par le nombre de leurs salariés - et la responsabilité humaine qui en découle - que par leur influence dans l’organisation des marchés mondiaux. Or les jeunes cadres ne peuvent fermer les yeux sur leurs responsabilités dans la crise écologique qui prend de l'ampleur jour après jour, dans les crises sanitaires et alimentaires répétées, ainsi que dans les scandales financiers qui frappent chaque jour des entreprises multinationales et nous ont mené à une crise économique inédite,
Même les ingénieurs ? Oui, surtout eux. Notamment par les fonctions qu’ils occupent - dans la recherche, le développement, le pilotage de la production, la gestion des risques, les montages financiers, etc. - les ingénieurs techniques et ingénieurs d'affaires sont les premiers responsables de la transformation de nos sociétés. Ceux-ci, en raison des connaissances qu’ils détiennent (plus parfois que les dirigeants !), sont les plus à même de maîtriser les enjeux de la mondialisation économique. Or la situation de crise et les mouvements de contestation qui se généralisent devraient les inviter à faire le bilan de leurs actions, et à rendre des comptes à leurs concitoyens !
Intéressons nous à un cas concret récent, la crise des subprimes. Combien de jeunes ingénieurs d'affaires ont, au nom de l’innovation financière, dissout le risque des subprimes dans des produits financiers opaques dont les différents acteurs financiers se sont refilés la responsabilité les uns aux autres ? Pourtant conscients que cela ne tiendrait pas éternellement, ces cadres de la finance, jeunes pour la plupart, ont persévéré et n'ont jamais pris le temps de se concerter, de poser le problème ensemble, et de dire « ça suffit ! ». Qu’auriez-vous fait à leur place, sous la même pression et la même habitude de ne pas se sentir responsable ?
La citoyenneté à l'ordre du jour
Il est bien que les hommes politiques et les médias dénoncent les frasques de certains traders et autres « escrocs » financiers, et parlent d'imposer des règles et des sanctions. Mais allons-nous aborder les vrais problèmes, celui de l'abandon des sciences sociales dans leurs formations, celui de l'absence de concertation commune et de vision à long terme ? La formation des ingénieurs, initiale ou continue, a-t-elle correctement préparé ces derniers à se questionner sur leurs responsabilités, à prévenir les risques sociétaux et environnementaux de leurs actions, à comprendre le modèle économique dans lequel ils évoluent - quitte à le remettre en question ?
Les médecins, à l’issue de leur thèse, prononcent le serment d’Hippocrate. Dans sa version moderne, c'est un engagement moral fort vis à vis de la société : "Je n'entreprendrai rien qui dépasse mes compétences", "Même sous la contrainte, je ne ferai pas usage de mes connaissances contre les lois de l'humanité", "Je ne me laisserai pas influencer par la soif du gain ou la recherche de la gloire", etc. Les ingénieurs devraient y jeter un coup d'œil ! Car la responsabilité sociale des cadres semble bien supérieure aujourd’hui à celle des médecins....
Post-scriptum
L'Initiative internationale pour la responsabilité sociale des cadres (IRESCA) participe pleinement de cette volonté de promouvoir des lieux de réflexion, d’échanges et d’expression des cadres, dans l'espace public et au sein des entreprises. Site web de l'IRESCA
Ingénieurs sans frontière est également très impliquée dans la réflexion autour du cursus des formations d’ingénieurs, avec la mise en place d’un projet de recherche (et notamment l'encadrement d'une thèse) sur la formation humaine des ingénieurs.
22 février 2010
Thomas Champigny, vice-président de la fédération ISF
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