Des nouvelles de la COP 24, hiver 2018.

Ulysse est allé à la COP, la conférence des Parties, qui regroupe chaque année des représentants des Etats membres pour vérifier la bonne application des objectifs des conventions internationales adoptées. C'est aussi l'occasion pour des chercheurs, spécialistes, militants et citoyens de participer aux débats et d'échanger sur les multiples enjeux en lien avec le climat. Ulysse nous raconte son expérience lors de la COP24 qui se déroulait à Katowice, en Pologne, à l'hiver dernier.
Décoration - Université d'été 2019
@UEsolidaire

Jeudi 6 décembre au soir, première semaine de la COP 24, la Conférence des parties sur le climat, j’écoute un ami belge, une bière polonaise à la main: « J’ai vu des technologies impressionnantes qui pourraient produire de l’électricité en imitant le fonctionnement d‘une feuille et qui en même temps capteraient du carbone… Mais dans tous les cas, je vous fais confiance, c’est vous les ingénieurs !! ». Quelques heures plus tôt, lors d’une table ronde discutant du rôle des énergies renouvelables dans la transition énergétique, l’animateur concluait son scénario prédictif en avouant se fier à de potentielles irruptions techniques, à croire en l’ingénieur.

Et là, au milieu de tous ces gens venus de toutes les parties du monde, discuter des sujets qui les poussent à se lever et à se battre dans toutes les langues et sur tous les territoires, j’éprouve comme une prise de conscience, un choc, une peur. Je n’y crois pas. Ou du moins je n’y crois plus. Je suis passionné par la science depuis tout gamin, féru de revues scientifiques en tout genre, et rêvant de physique astronomique, mais pour la première fois de ma vie, je n’ai plus confiance dans cette science.

Le dire aide aussi à enlever un poids des épaules. Le poids de toutes les personnes qui ont eu l’impression de « quitter la science » comme on quitte une rame de métro, et qui, quelle que soit leur implication, leurs projets, s’en remettent à « ceux qui savent ». Démocratie toujours aussi incomplète par une représentation muette. Mais pourquoi ? Qu’est-ce qui pousse tant de personnes à frémir à la simple vision d’une équation ? A croire aveuglément ce qui est proféré par un scientifique ou bien à s’en méfier comme du discours d’un gourou annonçant la fin du monde ? 

Un des évènements m’ayant le plus marqué lors de cette COP est l’accueil accordé au rapport du GIEC (Groupe Intergouvernemental d’Experts sur le Climat) : poussé par les revendications de l’Arabie-Saoudite, la communauté internationale a « noté » (c’est le terme utilisé) que le GIEC a rendu un rapport. Comme un enfant qui remarquerait qu’une pomme est tombée d’un arbre : « Tiens, un autre fruit ». Ce groupement d’experts n’a justement rien à voir avec le catastrophisme du gourou évoqué précédemment. Leur travail peut même difficilement être qualifié de biaisé. Ils ne produisent rien, mais concentrent, analysent et synthétisent des centaines de publications de scientifiques et de climatologues en tout genre pour finalement proposer, via un rapport de synthèse, une grille de lecture d’un phénomène (dans le cas du rapport 1.5 : les différences entre des scénarios d’augmentation de température de 2°C ou d’1,5°C).

Ce travail de synthèse, trop peu commun dans l’univers des sciences et des techniques est pourtant essentiel si l’on veut atténuer cette frontière entre le « monde de la science » et le « reste du monde ». Trop tôt on présente les sciences et les mathématiques comme un processus exclusif, un monde de l’abstraction et des calculs, qui laisse de côté celles et ceux ne se représentant pas ce qu’est une intégrale ou détestant les lignes de calculs à répétition. Ce territoire scientifique est ainsi peuplé d’une élite, relativement éduquée, censée comprendre le monde et avertir sur son état. Et certain·es se permettent de remettre ceci en cause comme si c’était une croyance.

Cette tension est purement démocratique et il y a tant de choses à faire pour éviter de conserver cette caste dans laquelle certain·es placent le salut de l’humanité et dont d’autres doutent plus que jamais. Depuis longtemps Ingénieurs sans frontières met en garde contre la non-neutralité de la technique et son puissant pouvoir de transformation de la société. Cette science doit être ludique, vulgarisée et non pas utilisée de manière plus ou moins alarmiste. La démarche même doit viser une appropriation des découvertes, techniques ou connaissances par le plus grand nombre. Ainsi, les citoyen·nes pourront se faire leur propre idée des questions de société telles que la transition énergétique, le nucléaire, le réchauffement climatique, le numérique, la biodiversité … Comprendre les enjeux, ce que peut apporter la science ou la technique mais aussi et surtout, quelles en sont ses limites. Il n’est en effet plus l’heure d’excuser nos comportements par la confiance dans un eldorado technique futur. Il n’arrivera pas.

Comme souvent, les solutions existent déjà. Pour n’en citer qu’une, on peut s’inspirer des écoles dites « alternatives » existantes en France pour réfléchir à un renouveau de nos méthodes pédagogiques. L’objectif est de favoriser l’appropriation de cette « technique » et d’ainsi permettre dès le plus jeune âge le questionnement et l’exercice critique face au savoir. Mais ça ne s’arrête pas là ! L’association Sciences Citoyennes par exemple développe des projets de recherche scientifique citoyens : les financements et la direction même du progrès pourraient alors être décidés par un panel de citoyens et de citoyennes tiré au sort et informé·es. Un moyen de mettre la recherche au service du bien commun.

Il n’est donc pas nécessaire de faire partie d’une association ou d’être professeur·e des écoles pour répondre à ces enjeux. Nous avons tou·te·s des connaissances -scientifiques ou non- et sommes amené·es à les échanger avec d’autres personnes. Internet aujourd’hui est une masse phénoménale d’informations, vraies, fausses, biaisées ou non. Vérifions les informations qu’on nous donne, discutons de celles-ci et critiquons les. Ne restons pas borné·es. Il n’est plus question de « croire » dans certaines informations, mais d’avoir un avis pondéré et argumenté. L’enjeu est démocratique et largement nécessaire pour une gestion équitable des enjeux de notre siècle.


 

14 mars 2019
Ulysse Vassas, membre du groupe thématique d'ingénieur·es Résilience Energétique Sobriété et Transitions
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Groupe ISF