Commerce équitable : réflexions et expériences du groupe local de Troyes

Le groupe Ingénieurs sans frontières Troyes est composé d’étudiants de l’Université de Technologie de Troyes. La présidente du groupe est Lou Grimal depuis mars 2017. Ce groupe est très hétérogène car les étudiants sont dans des domaines très variés (informatique, mécanique, matériaux ou encore systèmes industriels). Ces étudiants ont récemment organisé les Journées d’Échange et de Sensibilisation à la Solidarité Internationale (JESSI) autour de la thématique de l’eau avec des acteurs du domaine. Et ce groupe d’irréductibles troyens ne s’est pas cantonné à ce très gros événement, il a aussi réalisé une multitude d’actions sur de nombreux sujets, tels que le commerce équitable !
La nouvelle équipe Start' and Stop du groupe Ingénieurs sans frontières Troyes
@ISF Troyes

Alexandre Harre : Bonjour Lou. En mars dernier, le groupe Ingénieurs sans frontières Troyes a porté l'organisation des JESSI ( les Journées d'échanges et de sensibilisation à la solidarité internationale) sur la thématique de la gestion et de la gouvernance de l'eau. Peux tu nous parler des actions qui ont été organisées par le groupe à la suite de cet événement ?

 

Lou Grimal : Après cet évènement fort , nous avons décidé de mener notre deuxième projet nord : Start & Stop, une course d’autostop solidaire entre Troyes, Aix-la-Chapelle et Bruxelles. Cela nous a permis de tisser des liens solidaires avec le groupe Ingénieurs sans frontières Aix-la-Chapelle (Ingenieure ohne Grenzen Aachen) et Ingénieurs sans frontières Bruxelles. Après cet événement, nous avions réussi à établir une forte cohésion au sein de notre groupe. Je ne vous cache pas que ce projet a été assez prenant pour l’ensemble des membres !

 

Entre ces deux gros évènements, nous avons pris le temps d’organiser deux soirées débats. Chaque débat était introduit par un acteur fort en fonction de la thématique choisie. Pour commencer le choix d’intervenants s’est tourné vers des enseignants-chercheurs de notre école. Le premier débat a porté sur la responsabilité au long terme des ingénieurs et le deuxième débat portait sur l’éthique au travail. Nous avons toujours veillé à avoir plusieurs temps distincts lors des débats : nous partions d’un point de vue philosophique avant d’aller progressivement vers des considérations plus politiques. Cela nous permettait d’aborder les sujets sous plusieurs angles.

 

AH : J’ai appris que votre groupe avait organisé une rencontre avec un producteur lors de la quinzaine équitable. Peux-tu m’en dire un peu plus sur cet évènement ?

 

LG : Oui exactement. Nous avons eu l’idée d’organiser une semaine en lien avec le développement durable, l’échange et la solidarité internationale. Cette semaine s’est nommée « WISE : Week of International Solidarity and Exchange ». L’ensemble des événements - un par jour - était proposé en anglais. Grâce à Artisans du monde (ADM) nous avons pu réaliser une conférence sur le commerce équitable au sein de la semaine WISE. Je pense que cette rencontre a soulevé plus de questions que de réponses. C’est Bernard Ranaweera, président de l’association « Small Organic Farmers’ association », qui nous a présenté son association, son fonctionnement et les produits vendus.

 

AH : Qu’est-il ressorti de cette rencontre et de ces échanges ?

 

LG : Pour être honnête, je pense que beaucoup d’étudiants ont décroché pendant la conférence. Très peu de place était laissée au débat entre les étudiants et l’intervenant car Bernard Ranaweera avait un flot de parole assez dense.  Heureusement, les membres d’ADM ont ensuite ré-expliqué les notions fondamentales du commerce équitable et ont permis à certains de se remettre dans le débat. Je pense que beaucoup se sont rendu compte que le commerce équitable n’était pas une question aussi simple qu’elle n’y paraît.

 

Bien sûr cette conférence a permis à certains étudiants de découvrir le commerce équitable, mais nous avons été déçus de l’aspect un peu trop commercial. Cette rencontre se voulait être un travail de fond, mais pour finir elle a plus été un travail de vente de produits équitables. C’est dommage.

 

AH : Mise à part cette rencontre, il semblerait que votre groupe soit intéressé par le commerce équitable. Pourquoi et comment vous est venue cette volonté de parler de la démarche de commerce équitable au sein du groupe local ? 

 

LG : Nous nous sommes intéressés au commerce équitable très rapidement car nous entretenons de très bonnes relations avec les bénévoles d’Artisans du monde. Cela vient plus d’un intérêt pour les personnes qui tiennent la boutique à vrai dire. Voilà, c’est d’abord une histoire de bonne entente entre deux groupes de personnes qui agissent sur des thématiques proches mais de manière différente. Nous apportons un public plus jeune, étudiant, avec une approche plutôt technique. Le groupe ADM est plus âgé, plus stable et mieux ancré sur le territoire troyen. Nous sommes donc assez complémentaires.

ADM avait un projet d’ouverture d’une épicerie équitable à l’Université de Technologie de Troyes. Pourquoi pas. Bien sûr le pouvoir d’achat est plus élevé chez les enseignants chercheurs que celui des étudiants, mais le projet d’une épicerie est réalisable. Tout le monde peut être acteur même avec de petits moyens.

 

Pour finir, il est certain qu' Ingénieurs sans frontières Troyes soutient le commerce équitable car c’est un système alternatif qui apporte de la pérennité à la démarche économique de certains producteurs. Par contre, les produits du commerce équitable venant souvent de très loin, il est important de le coupler avec des produits plus locaux. Cela donne plus de sens à ce commerce car lorsque le produit peut être réalisé localement, il faut que cette solution soit également proposée au consommateur. Cependant, lorsque le produit est forcément produit très loin dans le monde, alors il doit être expliqué au consommateur la plus-value du label équitable et en quoi les produits « non-équitables » ont un impact négatif sur l’environnement, le progrès social, etc. 

 

AH : Qu’est ce qui te semble important dans le commerce équitable ? Pourquoi donc le promouvoir ?

 

LG: Pour moi, le commerce équitable c’est faire du développement durable car il faut des projets qui tiennent la route économiquement, qui apportent du progrès social et qui respectent l’environnement. Enfin le système de gouvernance plus coopératif est un aspect organisationnel important. Donc le commerce équitable pour moi, c’est cet ensemble cohérent : économique, social, environnemental et politique. Cela permet aux producteurs de se détacher des aléas du marché.

 

L’histoire du commerce équitable est très intéressante car à chaque fois c’est un acte politique fort dans plusieurs sens du terme. D’un point de vue des producteurs, il faut que ces derniers se mobilisent autour d’une cause commune et se réorganisent. En effet, plusieurs cas au Mexique, en Afrique, montrent que le commerce équitable est un outil pour lier solidairement des communautés. D’un point de vue du consommateur, cela signifie que l’on souhaite s’assurer de l’éthique du produit. Là aussi cela peut être considéré comme un acte politique.

 

Au niveau de la promotion du commerce équitable. Je dirais que c’est bien de promouvoir ce commerce, tout simplement parce que cela fait du bien à une part de la population mondiale qui est pauvre et qui a besoin de vivre. Cependant, il faut faire attention à quel type de commerce équitable on peut faire confiance. Est-ce que les produits « équitables » vendus dans un Carrefour ont la même éthique que ceux vendus dans une boutique ADM ? Je ne pense pas.

 

AH : Est-ce que tu trouves que les autres commerces sont inéquitables ?

 

LG: Certains commerces sont plus équitables que d’autres, c’est une évidence. Le sens du commerce équitable est de payer au prix que l’on pense juste le travail d’un producteur.

 

Ce qui m’énerve, c’est que souvent on parle du commerce équitable comme quelque chose de cher. Oui c’est vrai, c’est cher. Mais quel est le prix social des produits non équitables ? Je pense qu’il est encore plus élevé, mais c’est un prix que l’on paye collectivement. Dans le documentaire ARTE La Face cachée du Chocolat, les pratiques de la filière du cacao sont explicitement présentées. Certes, depuis le début des années 2000, notamment avec le protocole Harkn-Engel, des progrès ont été faits. Mais le travail des enfants en Côte d’Ivoire, dans les plantations de cacao par exemple, persiste.

19 décembre 2017
Propos recueillis par Alexandre Harre, bénévole équipe Éducation au développement
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Groupe ISF