Briançon, une crise de l’accueil souhaitée politiquement ?

12 septembre 2023, 6 000 personnes débarquent sur l’île italienne de Lampedusa. Un record. Une actualité. Des images. C’est le retour dans le débat public de la rhétorique du « flot migratoire », cette masse sans visage qui viendrait inonder l’Europe. Ni une, ni deux cet argumentaire est utilisé par les pouvoirs publics pour justifier le déploiement de nouveaux moyens répressifs à la frontière franco-italienne. Une réponse dangereuse et totalement inadaptée aux problématiques réelles à Briançon.
Les frontières tuent
Les frontières tuent
Baptiste Soubra, Collectif La Faille

Une « vague migratoire » à relativiser

6 000 personnes simultanément à l’échelle d’une île comme Lampedusa, ou 2 500 personnes sur un été à Briançon représentent un nombre significatif au regard des capacités d’accueil actuelles. Cependant ce sont des chiffres à relativiser. Briançon, Lampedusa sont des lieux de passage, des étapes sur des routes migratoires. Au final les personnes se répartiront dans toute l’Europe, un territoire qui fait vivre presque 450 millions de personnes. Remise à cette échelle la « menace » pour nos économies, systèmes sociaux et souverainetés apparaît somme toute relative. A l’échelle de la France, l’OCDE montre que le taux de personnes nées dans un pays étranger et vivant en France est relativement stable (12,8% en 2022) depuis 20121.

Les situations critiques d’engorgement que l’on peut observer dans des lieux donnés sont le résultats de spécificités géographiques et de volontés politiques. Briançon par exemple est connu comme carrefour migratoire au moins depuis l’antiquité du fait de la topographie des Alpes et de la proximité de villes disposant de moyens de transport les reliant à d’autres grands axes. La situation Briançonnaise montre aussi combien l’accueil est une affaire de choix politiques. Il s’agit en effet d’un territoire capable d’accueillir plus d’1,5 millions de nuitées touristiques par hiver.

La répression ne règle pas une crise humanitaire

Depuis 2015, dans le Briançonnais l’accueil des personnes exilées est réalisé par différents réseaux citoyens, collectifs et associations, soit directement chez les habitant·es, soit dans des lieux permettant un accueil collectif. Malgré le fait que l’hébergement des personnes vulnérables soit une compétence de l’Etat, jamais la préfecture n’a mis en place les moyens d’accueil d’urgence suffisant. La réponse de l’Etat a toujours et uniquement été répressive suivant la logique : « contrôler pour faire baisser le flux, afin que les associations puissent gérer ». Une réponse inefficace et dangereuse.

L’affluence cet été a fait que les associations ont été dépassées. De fin août à fin octobre la seule solution d’hébergement d’urgence inconditionnel à Briançon était le Pado, un bâtiment vide occupé en dernier recours. Tout comme les Terrasses Solidaires qui ont décidé de fermer temporairement après un mois d’août très difficile, le Pado a eu a accueillir jusqu’à 300 personnes simultanément. Devant cette situation humanitairement critique la réponse des pouvoirs publics a été doublement inhumaine : faire couper l’eau et l’électricité du Pado, et renforcer les contrôles d’identité dans le secteur. Des personnes d’origines étrangères installées depuis plusieurs mois ou années sur le territoire se sont fait contrôler en allant au travail.

« C’est le carnaval, je me balade avec mes affaires d’escalade visible pour ne pas me faire contrôler » - Salim2, marocain, vivant à Briançon depuis 2 ans.

On imagine assez bien comment un tel acharnement administrativo-judiciaire, va a l’encontre des droits fondamentaux et ne peut faire qu’empirer la situation localement. Qui plus est que ces mesures sont inefficaces puisque les personnes renvoyées en Italie, tentent logiquement de revenir en France en prenant encore plus de risque pour éviter les contrôle. Dans les 10km séparant Briançon de la frontière 3 personnes exilées sont décédées entre juillet et octobre 2023.

Dans un contexte d’augmentation des tensions internationales et d’aggravement des conséquences du dérèglement climatique, la migration est et restera un enjeu humanitaire et un sujet de solidarité internationale majeur dont la solution se trouve chez nous : sur le terrain pour contribuer à un accueil digne et permettre un accès aux droits fondamentaux, mais aussi et surtout dans les politiques publiques. Nous ne vivons pas une crise migratoire mais une crise de l’hospitalité qu’il convient de régler si la France veut toujours pouvoir se dire « humaniste ».

 

Note : 70% des personnes quittant leur pays s’installent dans un pays voisin au leur. Il est donc faux d’affirmer que la France accueille « toute la misère du monde » (source HCR)

 

1 Libération, 14/11/2023

2 Le prénom a été modifié

3 janvier 2024
Baptiste Soubra, Bénévole CN et solidaire vivant dans le Briançonnais
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