Appel à la dé-corporatisation des luttes

Que ce soit en tant qu’ingénieur·e·s diplômé·e·s ou encore étudiant·e·s, La sélection est un passage obligatoire du parcours ingénieur. En effet, les écoles d’ingénieur·e·s rentrent dans la catégorie des grandes écoles, qui sélectionnent leurs élèves en fonction de leurs résultats scolaires mais aussi de leurs motivations et activités extra-scolaires. Les résultats de cette sélection sont pourtant bien loin des objectifs méritocratiques annoncés.
Manifestation du 1er mai à Lyon - INSA Lyon en lutte
Éveline Manna

ISF, dans son manifeste pour une formation citoyen·ne des ingénieur·e·s, critique la duplicité du système français, divisé entre grandes écoles et universités, et prône la réunification des deux structures. La loi ORE va au contraire créer un enseignement supérieur à plusieurs vitesses en rendant plus difficile l’accès aux classes populaires, l’inverse d’une tentative de démocratisation de l’enseignement supérieur.

En tant qu’association d’ingénieur·e·s conscient·e·s et produits de la sélection, ISF a un rôle à jouer face à la généralisation de celle-ci à l’ensemble de l’enseignement supérieur. Le programme « Former l’ingénieur·e citoyen·ne » abonde en ce sens et fournit des outils pour diffuser cette volonté de démocratisation des formations supérieures. Ce travail pourra être réalisé au sein des écoles d’ingénieur·e·s, mais aussi par les étudiant·e·s à l’université mobilisé·e·s contre la loi ORE. Un certain nombre de membres des groupes locaux s’impliquent localement dans la mobilisation étudiante contre la réforme de l’université. C’est notamment le cas à Strasbourg où quelques élèves ingénieur·e·s s’investissent dans le mouvement étudiant en participant aux Assemblées Générales sur le campus, en tractant devant les restaurants universitaires ou en aidant à l’élaboration des revendications des étudiant·e·s. Cette aide spontanée découle soit d’un passé à l’université avant l’entrée en école d’ingénieur·e·s, soit d’une solidarité étudiante dépassant le cadre corporatiste de l’école.

Cependant, l’intérêt pour l’actualité universitaire est sensiblement absent des écoles tant celles-ci sont dépolitisées1. En effet, les espaces et temps de débat dans les écoles d’ingénieur·e·s sont quasi inexistants. Les sujets politiques sur la vie étudiante et les études supérieures en général ne sont jamais questionnés, confortant ainsi les étudiant·e·s dans leur immobilisme. D’autres formations supérieures sélectives n’ont pas ce problème, notamment les Institut d’Études Politiques. Les étudiant·e·s des IEP bénéficient d’espaces et de temps de débats, favorisés voire mis en place par l’administration. Évidemment, l’objet de ces formations est intrinsèquement politique et explique le fort intérêt de ces étudiant·e·s pour le mouvement étudiant de contestation en cours. Les étudiant·e·s ingénieur·e·s sensibles aux questions sociales gagneraient à s’inspirer de la vie politique et associative des Sciences Po et des universités.

Pourtant, les élèves-ingénieur·e·s manifestent ces dernières années un certain regain d’intérêt pour les questions politiques et notamment les problématiques environnementales et sociales comme en témoigne la création récente du collectif Ingénieurs Engagés. L’expérience à Strasbourg démontre l’importance d’une meilleure organisation, ce qui passe notamment par la réintroduction des syndicats étudiant·e·s dans le milieu ingénieur·e. Ceci permettrait un réel rassemblement au niveau national avec un décloisonnement des luttes et la construction d’un discours étudiant général et sans clivages corporatistes, contre la sélection, pour une meilleure répartition et une augmentation globale des budgets de l’enseignement supérieur.

  1. La dépolitisation est un processus qui vise à masquer l’aspect politique des problématiques considérées. Cela revient à réfléchir dans l’idéologie dominante qui est alors perçue comme naturelle.

12 juin 2018
Antoine Dubiau, co-président ISF Strasbourg
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Groupe ISF