Quelques dépoussiérages nécessaires pour aborder le débat sur les retraites
La retraite est d’abord un exercice de répartition instantanée de richesses physiques.
Quel que soit le système de retraite, collectif ou individuel, à répartition ou à capitalisation, on manipule des objets financiers : cotisations, épargne, capitaux, rentes, pensions, décotes. Mais derrière cet écran monétaire, l’enjeu économique est une répartition de richesses physiques, matérielles ou immatérielles.
Ce sont ces richesses physiques produites par les agents économiques qui donnent une consistance à notre niveau de vie. Ces productions ne sont généralement pas des biens que l’on peut mettre à l’abri pour les utiliser plus tard, et s’il y a des effets de stocks, à l’échelle d’un pays ceux-ci sont anecdotiques et à très courte échéance. Dans le temps long d’une vie c’est un partage instantané.
Avec quelles conséquences ?
La répartition et la capitalisation sont deux façons de traiter un même problème, pour lequel il n’y a ni fatalité désespérante ni solution magique.
En posant ainsi le cadre de résolution, on peut apporter des réponses raisonnées et équilibrées par rapport à l’environnement économique, et évacuer les approches alarmistes et culpabilisantes.
En quoi consiste cet exercice de répartition ?
La meilleure image est celle du partage d’un gâteau, celui des richesses physiques produites dans l’espace-temps considéré. Un premier partage consiste à décider quelle fraction du gâteau est réservée aux retraités. Un second partage consiste à fixer des critères pour attribuer la part de chaque retraité·e.
La construction du système de répartition est un problème pour ingénieur·es : pour que le système soit stable et pérenne, il faut prendre en compte le contexte et identifier les degrés de liberté, afin de piloter les bons paramètres. Si le système fige certains degrés de liberté, il ne pourra pas faire face aux perturbations futures amenées par le contexte.
Les données de contexte sont démographiques mais aussi économiques. À côté de l’espérance de vie et de la pyramide des âges, il faut aussi prendre en compte la productivité des actif·ves, le temps de travail, le taux de chômage ou plutôt d’emploi, les innovations de rupture, la rareté des ressources, le contexte international et enfin la transition écologique.
On peut disserter sur chacune de ces données, sa tendance prévisible, et ses effets sur le système. Nous proposons la lecture suivante : Le facteur démographique déterminant est l’évolution de la pyramide des âges qui crée une tension sur le système. Face à cette tension, la productivité horaire des actif·ves a augmenté dans le passé avec un tel effet de levier que la réduction du nombre d’actif·ves par retraité·e a pu être amortie sans trop de douleur pour les retraité·es avec une augmentation progressive et contenue des cotisations. Le plus dur est derrière nous, et si cette tendance se poursuit, les déficits futurs resteront modérés et supportables, mais les aléas portés par les différents contextes peuvent largement modifier cet équilibre dans un sens ou dans le sens opposé.
Pour le premier partage, le levier à piloter est la fraction du gâteau, et pour cela le paramètre principal est le taux de cotisation sur les salaires des actif·ves. C’est une clé du problème, et les raisons pour lesquelles le sujet est tabou sont plus dogmatiques qu’économiques.
Le second partage est la répartition entre les retraité·es. C’est un enjeu d’équité sociale, dans lequel deux logiques s’opposent : celle d’une reproduction à l’identique des écarts de salaires cumulés de la vie active, ou celle d’une réduction de ces écarts par la prise en compte des besoins fondamentaux, des pénibilités, des périodes non travaillées, et des marges possibles de redistribution.
Quelques considérations sur le pilotage du système :
Un paramètre très sensible est l’âge moyen des départs en retraite, car il influence à la fois la part du gâteau et les règles de répartition entre les bénéficiaires. Il est courant de penser que la solution est de faire travailler les actif·ves plus longtemps au motif que le gâteau à partager sera plus volumineux, mais la réalité s’écarte de cette logique lorsqu’il y a déjà un taux élevé d’actif·ves sans emploi.
On oppose souvent le système à prestations définies au système à cotisations définies, le qualificatif défini voulant dire strictement limité. Le premier a la préférence des retraité·es actuel·les et futur·es, le second a la préférence des employeur·euses et des actif·ves qui ne pensent pas encore à leur retraite. Plutôt que de les opposer, il vaut mieux admettre que l’on a besoin de moduler à la fois les cotisations et les prestations, et que vouloir figer les unes ou les autres ne peut mener qu’à une impasse.
La pyramide des âges est relativement prévisible dans le long terme, mais il n’en est pas de même pour les perturbateurs économiques qui ont pourtant un effet de levier très significatif. La fenêtre de vision pour piloter et garantir les prestations est celle des 5 prochaines années, sachant qu’au-delà de 15 ans la prévision des besoins devient trop approximative. La retraite est bien un domaine où une vision à court terme n’est pas perturbante car il faut se souvenir que c’est une répartition instantanée de richesses physiques.
Quelle est la différence entre répartition et capitalisation ?
Dans les deux cas, les lois de la nature et de l’économie réelle imposent une répartition instantanée de richesses physiques. Dans la répartition, le partage est mis en œuvre dans un cadre collectif avec une vue d’ensemble des ressources, des besoins et des relevés des carrières individuelles.
Dans la capitalisation, on intercale entre l’économie réelle et les prestations versées au moment de la retraite une couche d’intermédiation financière qui apporte des aléas multiples : les parcours d’épargne individuels, les performances des placements, les incitations fiscales, les choix orientés par les employeur·euses et les organismes financiers. En capitalisation il y a des gagnant·es et des perdant·es, et surtout un marketing financier envahissant qui tout en étant un vrai métier ne crée pas de richesses physiques, mais au contraire pèse négativement sur la productivité globale du travail.
Ce débat sur la réforme des retraites est finalement l’occasion de replacer le sujet dans l’économie réelle, de redonner confiance dans un système par répartition héritier des régimes actuels issus de l’histoire sociale du pays, de relativiser la valeur des projections à trop lointaine échéance, et de prendre conscience que le moment est venu de mettre en place des instances démocratiques et représentatives du corps social pour un pilotage indépendant et solidaire qui profite à tous·tes.