Coopérer autrement en acteur de changement
ISF - Pourrais-tu nous présenter le programme "Coopérer autrement en acteurs de changement"
Émilie Leroux - Le programme interroge collectivement le CFSI et ses membres sur les pratiques de coopération dans un monde globalisé où les acteurs et les territoires font face à des enjeux économiques, sociaux ou environnementaux communs et où les interdépendances se renforcent. L’adoption d’Objectifs de développement durable (ODD) témoigne aussi de cette nouvelle lecture du monde. Au CFSI, nous souhaitons promouvoir le principe de la solidarité internationale comme réponse aux enjeux globaux. L’hypothèse que nous avons collectivement bâtie et que nous cherchons à vérifier via le programme repose sur deux axes : (i) les changements sociétaux durables que nous recherchons seront obtenus par des alliances entre des acteurs pluriels (la diversité de leur nature est un gage pour « faire système ») et (ii) la solidarité que nous développons doit sortir de la logique d’aide pour s’appuyer sur le commun et les interdépendances entre territoires et acteurs (les actions se développent sur des territoires miroirs). Ce programme est une recherche-action menée par les 21 membres du CFSI. Il s’articule autour de 9 projets pilotes menés par 10 membres qui réunissent 70 autres acteurs en France et dans 16 pays.
ISF- Qu'est-ce qui a conduit le CFSI à se pencher sur ces enjeux de changements des pratiques de coopération ?
E.L. - Au CFSI, nous essayons de nous adapter aux évolutions de notre monde et de placer l’expérimentation et l’apprentissage sur les pratiques de coopération au cœur des actions de la plateforme. Ces dernières années, nous avons beaucoup travaillé sur les relations entre société civile et pouvoirs publics. Les évolutions rapides des dynamiques internationales et la pression plus forte des enjeux liés aux inégalités ou au changement climatique nous ont amenés à être plus ambitieux et à aller plus loin dans l’innovation. Le paradigme « du Nord qui aide le Sud » est dépassé, mais il est urgent de savoir vers quoi faut-il aller. Et comment ?
ISF- Quelles principales difficultés rencontrent les participants dans l'évolution de leurs pratiques de coopération ?
E.L. - Les évolutions auxquelles le programme incite passent nécessairement par des tâtonnements. Plus que des difficultés, j’aimerais évoquer les défis que cela pose aux participants. Nous pensons que ce sont les alliances internationales des sociétés civiles qui peuvent peser sur les enjeux globaux. Mais sur quoi baser ces alliances ? Le premier défi est d’identifier ce qui est « commun » (par exemple les difficultés d’insertion socio-professionnelles) ou ce qui nous lie (notamment les enjeux qui dépassent les frontières étatiques : le commerce, les mobilités internationales ou le climat). Il faut ensuite par regards croisés avec nos partenaires analyser comment le « commun » se décline dans des contextes très différents et imaginer comment on peut mener ensemble une action qui nous permette de progresser ici et là-bas. Il est parfois difficile pour des acteurs de la solidarité internationale de bien comprendre comment se posent en France les enjeux sur lesquels ils travaillent là-bas et d’identifier quels sont les acteurs ici. Cette étape, nécessaire pour rechercher le « commun », a demandé du temps et une ouverture vers de nouveaux partenaires. C’est une « révolution » pour des acteurs internationaux rarement actifs sur leurs territoires d’ancrage (les actions se limitent souvent en France à l’éducation à la citoyenneté et solidarité internationale). Cela renvoie les participants à leur propre positionnement : certains s’interrogent aujourd’hui sur leur légitimité à intervenir dans un secteur là-bas. Cela questionne certains projets associatifs : sommes-nous acteurs ? Facilitateurs ? Comment lier solidarité nationale et internationale ?
Identifier ce qui fait commun, c’est aussi aller vers une réelle co-construction et dépasser les déclarations d’intention sur l’équilibre ou la transparence des partenariats entre acteurs « du Nord et du Sud ». Nous passons du « je fais là-bas avec » à « nous faisons ici et là-bas ». Cela bouscule les pratiques partenariales, c’est un autre défi que de savoir évoluer soi-même et de l’expliquer à ses propres partenaires si ces derniers ne sont pas demandeurs de changements.