Welcome to technopolice

Combien de fois sommes-nous filmé·es chaque jour ? Pourquoi et comment toutes ces caméras et autres gadgets « sécuritaires » saturent l’espace ? Qui exploite ces données ? Comment ? Examinons donc cette technopolice.
La quadrature du net
creative commons

L’exemple « SafeCity » Estrosi
En 2018, Nice lançait le projet « SafeCity » (1) : un programme de 3 ans au budget de 25 M€.

Ses principaux axes :
L’énorme dispositif de vidéosurveillance, l’un des plus denses de France (2) , (plus de 3000 caméras) sert à la gestion de la voie publique, la protection des établissements scolaires et des transports, la verbalisation et la gestion de la circulation. Il analyse les démarches, les émotions, l’ambiance sonore, en temps réel dans une instance de contrôle de la police municipale.

L’application citoyenne « Reporty » devait permettre de contacter les forces de l’ordre en se géolocalisant pour signaler toutes sortes d’incidents, des « incivilités » aux tags ou aux dépôts sauvages d’ordures. Contestée, l’application n’est pas au goût de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), qui la juge disproportionnée.

La technopolice, c’est quoi ?
Citons la Quadrature du Net : « Elle transforme l’urbanité toute entière pour en faire une vaste entreprise de surveillance. Une surveillance macroscopique d’abord, dédiée à un pilotage serré et en temps réel des flux de population et de marchandises, à une gestion centralisée depuis un centre de commandement hyperconnecté. Puis, une surveillance rapprochée des individus et des groupes : dès que des comportements ‘ʻsuspects’’ sont détectés, les appareils répressifs pourront fondre sur eux, ‘ʻpréempter la menace’’ et réprimer la moindre petite infraction à l’ordre public. » (3)

Florilège des technologies pour votre bien

Vidéosurveillance intelligente : détecte les situations. Recherche les mouvements de foule, objets abandonnés, personnes se mettant subitement à courir et autres comportements « inhabituels » ou « inciviques ». Fonctionne aussi avec les drones.
Détection de bruits suspects : à l’aide de microphones et d’intelligence artificielle, elle signale un cri, un bris de vitre ou de la musique trop forte...

Big Data : en récupérant un maximum de données (images de vidéosurveillance, données de la circulation, des hôpitaux, de la police, des réseaux sociaux, dénonciations...), pour les passer par le filtre d’une analyse automatique pour « anticiper et donc [...] empêcher le déroulement de faits problématiques pour la paix urbaine » (4).
Reconnaissance faciale : un des outils favoris de la technopolice. Elle vise à identifier ou authentifier des personnes à l’aide de données biométriques (visage).

Applications « citoyennes » pour signaler des dépôts d’ordures devant chez soi, tout « incident » sur la voie publique, ou les « incivilités » directement à la police avec la caméra de son ordiphone (5) géolocalisé.

Et après ?

On pourrait s’indigner des dérives décrites ici, rejoindre les associations qui, localement ou nationalement, s’épuisent en recours contre ces projets. Dans les prochaines années la France va accueillir la coupe de monde de rugby 2023 puis les Jeux olympiques 2024. Ces projets sont donc, pour l’industrie, une formidable vitrine d’armes numériques à vendre sur les cendres des libertés publiques.

Il faut donc comprendre le sens profond de ces évolutions : il s’agit d’acter l’avènement du panoptique, c’est-à-dire la paix publique transformée en surveillance constante de tous·tes par chacun·e.

C’est une lourde modification sociale : nous ne sommes plus les citoyen·nes, usager·ères d’un service public, nous devenons les sujets d’une surveillance constante, perpétuel·les suspect·es localisé·es en temps réel. Ce système nous classifie : normaux, « inhabituels » voire « inciviques » ; il se prépare à juger notre « normalité », voir nos émotions et à réprimer ce qui lui déplaît.


La technopolice est, in fine, le passage d’un statut de citoyen⋅ne à celui de suspect⋅e en puissance, de l’altérité à l’anomalie au prétexte de la « tranquillité publique » par la force et contre tous·es.

(1) « Ville sûre » en français
(2) Nice, projet Safe City : https://technopolice.fr/nice/
(3) Manifeste Technopolice, la Quadrature du Net
(4) Big Data : https://technopolice.fr/big-data/
(5) Plus communément appelé « smartphone »

 

13 janvier 2022
Mathieu Amirault, membre de l'équipe sustèmes d'information
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