Reprendre la main sur les objets techniques

Depuis quelques années, la philosophie des logiciels libres a largement dépassé le seul champ du numérique et du logiciel, pour toucher celui des produits matériels. Le partage libre des plans et des méthodes de construction permet de diffuser, répliquer, améliorer et partager des objets physiques comme on le fait avec les logiciels.
Modèle de carte électronique libre Arduino
C. Alvarado Minic (Vénézuela) - cc

Des exemples fleurissent dans de multiples secteurs d’ingénierie. Les cartes électroniques libres Arduino sont à l’origine de nombreuses innovations, donnant lieu à d’autres projets ouverts comme les compteurs électriques intelligents Open Energy Monitor. Il est possible de reproduire soi-même une voiture Tabby ou WikiSpeed, ou d’acheter les éléments en kit auprès des sociétés italiennes et américaines associées. En France, la coopérative L’Atelier Paysan incite à l’autoconstruction en partageant librement des plans 3D de machines agricoles. L’association Tripalium diffuse des manuels et forme à la construction de petites éoliennes.

La plupart de ces modèles ont en commun un lien très fort avec leur communauté d’utilisateurs, qui assurent une partie de l’amélioration des produits. Si la conception sur ordinateur et le réseau internet ont facilité les échanges de ces plans devenus de simples fichiers électroniques, ce sont surtout les machines de prototypage rapide telles les imprimantes 3D qui favorisent aujourd’hui l’expansion du modèle libre. Chacun peut dès lors reproduire des objets à domicile, ou en profitant de machines dans un Fab Lab – ces ateliers de fabrication ouverts au public.

 

Un nouveau paradigme

Quand un produit est conçu dans l’objectif unique de vente et de profit, il suit le modèle du monopole et de la rareté, donc bien souvent la logique d’obsolescence programmée : réduire la durée de vie ou d'utilisation du bien afin d'en augmenter le taux de remplacement. En revanche, si c'est une communauté hétérogène incluant des utilisateurs qui conçoit le produit, la durabilité est prise en compte naturellement. De fait, en facilitant également la réparation et l’évolution de produits modulaires, le matériel libre porte la promesse de limiter le gaspillage et de préserver nos ressources naturelles. Par ailleurs, tandis que les savoirs s’échangent librement à l’échelle du globe, le matériel libre et la fabrication distribuée favorisent une production locale des biens, largement bénéfique en termes de redistribution de richesses et d’écologie.

 

Quels modèles économiques ?

Bien entendu, les modèles économiques du matériel libre sont plus complexes que ceux du logiciel libre, en raison du coût incompressible des matériaux pour la mise au point. La dépendance aux entreprises est plus grande ; les communautés de concepteurs doivent bien souvent aller dans l'économie marchande pour pouvoir subvenir à leurs besoins. C'est souvent la vente de produits qui génère un revenu suffisant pour financer les équipes qui s'emploient à proposer des produits libres. En effet, beaucoup d'utilisateurs n'ont pas le temps ou le souhait de fabriquer eux-mêmes les produits, et préfèrent les acheter tout faits ou en pièces détachées auprès du concepteur. Ils ont toutefois la garantie de pouvoir “ouvrir le capot” pour mieux comprendre le fonctionnement, voire modifier le produit afin de l’adapter à un besoin ou à un contexte particulier. C’est aussi et souvent la vente de conseils et de formations qui permet de monétiser l’accès à un savoir théorique mais aussi pratique, ou encore des prestations de réparation et de maintenance. Enfin, des acteurs historiques du marché choisissent de plus en plus d’ouvrir tout ou une partie de leurs savoirs. Rarement dans un but philanthropique, il s’agit plus souvent pour eux d'augmenter leur productivité en profitant des améliorations des autres acteurs, ou encore de se positionner comme un acteur central du marché en imposant ses standards. L’exemple récent de Tesla agite le milieu : l’entreprise américaine à la pointe des véhicules électriques a annoncé en 2014 l’ouverture de tous ses brevets. Une façon de rendre incontournable sa technologie et assurer le succès de sa méga-usine de batteries prévue pour 2017 ?

 

Article librement inspiré des travaux de Benjamin Tincq et Léo Bénichou pour Open Models.

1 juin 2015
Thomas Champigny, bénévole équipe SysInfo
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