L’intérêt d’une mission exploratoire dans un projet de développement

Deux étudiants d'Ingénieurs sans frontières Nord qui sont partis en mission en été 2015 au Sénégal nous racontent la nécessité des missions de terrain.
ISF Nord au Sénégal
ISF Nord au Sénégal
Ingénieurs sans frontières Nord

Notre projet commence officiellement en mai 2015 par une réunion d’initialisation à Villeneuve d’Ascq (le fief d’Ingénieurs sans frontières Nord, mais souvent on abrège en disant qu’on habite à « Lille »). Notre partenaire, c’est Taske, une association de femmes migrantes, dont la présidente souhaite alors mener un premier projet de développement dans son village d’origine : Walel, tout à l’Est du Sénégal. L’objectif : aider les femmes de Walel à développer le maraîchage en leur donnant accès à l’eau.

 

Guère davantage d’informations sur le besoin, ni même sur le village.

Après une phase de réflexion, de rédaction de dossiers, de plannings et de budget, nous nous rendons donc sur place à deux, en juillet, pendant dix jours, pour une première observation du terrain.


Pourquoi une mission exploratoire ?

La réponse peut paraître évidente : en gestion de projet, on nous répète toujours qu’il faut préparer le terrain le mieux possible, afin d’anticiper les risques lors de la mise en œuvre technique. Mais pourquoi ne pas avoir récolté des données en contactant les quelques acteurs locaux (notamment les villageois, la Division Régionale de l’Hydraulique1 et l’ADOS Matam2), effectué l’étude préparatoire en France, et lancé les travaux ? Pourquoi était-il nécessaire que nous nous déplacions spécialement pour cette observation ?

Tout d’abord la communication au téléphone avec les acteurs locaux depuis la France est difficile, et le village ne dispose pas de connexion Internet. La barrière de la langue est en effet plus facile à dépasser en face à face, d’autant plus que règne là-bas une culture de « proximité » : si on ne voit jamais directement l’interlocuteur, le projet semble lointain et abstrait, les acteurs locaux ont le sentiment qu’ils n’y seront pas impliqués, ou simplement que le projet n’aboutira pas. À vrai dire, c’est un peu pareil de notre côté, on a besoin de s’imprégner de la situation pour saisir sa réalité et nous motiver à avancer.

Et puis dans un projet de développement, on détecte typiquement des problèmes, des situations délicates, dont on ne peut se rendre compte que sur place. Par exemple, il peut exister des conflits d’intérêts, qu’ils soient effectifs, implicites ou encore en puissance (entre différents groupes3 du village, ou avec le village voisin, etc.). Certaines personnes au village n’en sont pas vraiment conscientes, d’autres font de la rétention d’informations…

Enfin, très peu osent pointer du doigt les réalités. On s’en est rendu compte au cours de notre séjour. Oui, même dans une région où la plupart semblent généreux et de bonne foi, tout n’est pas rose. Le dernier jour, un notable4 de Walel, passionné de sciences, nous a témoigné son enthousiasme vis-à-vis du projet, et nous a mis en garde contre certaines personnes, dont il a tu l’identité, qui en tireraient profit à des fins personnelles, au détriment du développement du village. On s’est demandé pourquoi on ne l’avait rencontré seulement la veille de notre départ de Walel, alors que nous avions organisé plusieurs réunions avec les notables : les autres l’avaient-il tenu à l’écart parce qu’il était légèrement bavard, ou bien parce qu’il tenait des propos à la limite du politiquement correct ?

Tous ces conflits risquent de détourner le projet de son objectif de bénéficier à la majorité du village. Mais ils ne doivent pas nous empêcher de continuer : si on analyse la situation (sur place donc) suffisamment tôt, et qu’on intègre ces risques à notre réflexion, on espère trouver une solution technique et un mode de gestion compatibles avec les conflits existants, et pourquoi pas apaiser ces tensions ?

Enfin, en passant du temps au village, les principaux concernés apprennent à nous connaître, nous faire confiance et s’assurer de notre bienveillance. On entretient alors une discussion, un échange constructif d’égal à égal, qui permet aux villageois de prendre pleinement part au projet, puisqu’ils comprennent que le but est de travailler ensemble pour agir dans leur intérêt, de manière durable. On n’agit pas à la place des acteurs locaux, mais avec eux. Il me semble que c’est d’ailleurs un des aspects fondamentaux des Projets Sud d’Ingénieurs sans frontières.

Mais si on n’est là que pour réaliser des diagnostics, si les acteurs locaux connaissent leur situation mieux que nous et sont plus compétents que nous pour creuser des forages, quel est l’intérêt même de prendre part au projet ? C’est simple : nous apportons aux villageois un point de vue objectif et critique ; sans compter que notre présence leur fait prendre conscience que leurs besoins et leurs volontés ont de l’importance pour des personnes « extérieures », ce qui les motive alors à agir par eux-mêmes.


1 Institution publique gérant l’accès hydraulique dans la région de Matam

2 ONG basée en France (Rhône-Alpes) et au Sénégal (Matam), menant des projets d’aide au développement

3 Les villages sont organisés en groupes d’activité/métier

4 Les notables sont les sages du village, consultés pour toute décision importante

12 février 2016
Elisa Pheng, Ingénieurs sans frontières Nord
Thématique 
Groupe ISF