Ingénieurs sans frontières - Côte d'Ivoire : Entre l'impératif d'agir et celui de questionner.

Entretien avec Wakatélé SILUE, Président et BAMBA Lanciné, Secrétaire Général d'Ingénieurs sans frontières - Côte d'Ivoire à propos de leur organisation et du sens donné au rôle de l'ingénieur dans la société ivoirienne, balançant entre l'impératif d'agir concrètement auprès des populations les plus démunies et celui de questionner la place de l'ingénieur dans le modèle de développement.
Centre d'électrification rural à Ferke contruit par Ingénieurs sans frontières - Côte d'Ivoire
Centre d'électrification rural à Ferke contruit par Ingénieurs sans frontières - Côte d'Ivoire
Ingénieurs sans frontières - Côte d'Ivoire

Ingénieurs sans frontières - Comment est né Ingénieurs sans frontières - Côte d'Ivoire et dans quel but ?

Wakatélé SILUE et BAMBA Lanciné - L'organisation Ingénieurs sans frontières - Côte d'Ivoire s'est constituée informellement en 2010, puis de façon formelle en 2013 autour d'un groupe d'ingénieurs aux spécialités différentes qui voulait répondre aux besoins des populations en difficulté, particulièrement dans les zones rurales du pays qui connaissent des problèmes importants d'accès à l'eau, à la santé, à une agriculture durable, à internet et à l'électricité. L'idée originelle était de proposer des solutions à ces besoins en offrant une assistance technique émanant des différents savoirs que maîtrisaient les membres d'Ingénieurs sans frontières -Côte d'Ivoire. Notre savoir impliquait une responsabilité vis-à-vis de ces populations. Cependant, des personnes n'étant pas ingénieur de profession ont rapidement souhaité nous rejoindre. Pour nous, la technique n'est pas seulement l'apanage de l'ingénieur. Nous pensons d'ailleurs qu'il y a des savoir-faire détenus par des ingénieurs qui peuvent facilement être transmis à des populations n'ayant pas suivi d'études. À titre d’exemple, on peut citer le cas des femmes indiennes non-ingénieures, formées aux techniques de l’énergie solaire, une initiative de l’ONG Barefoot Collège.
 
ISF - Dans quelle mesure estimez-vous que ces membres non-ingénieurs sont un atout pour votre organisme ?

 

WS et BL - Nous vivons le fait d’avoir des membres non-ingénieurs comme une force et une complémentarité. Il existe des passionnés dans certains domaines qui réussissent à réaliser des projets à caractère technique sans toutefois jouir du titre d’ingénieur. Aussi, dans le cadre du transfert de technologie, il est possible pour ces membres de réaliser des projets d’ingénierie qui ne sont pas forcément de grande envergure, mais qui permettent d’améliorer le quotidien des communautés bénéficiaires. Ces membres non-ingénieurs peuvent être adhérents sans être contraints de cotiser.

ISF - Qu'en est-il des projets d'Ingénieurs sans frontières - Côte d'Ivoire depuis sa création ?

WS et BL - Pour l'instant, nous avons mené deux projets d'ampleur qui ont été entièrement auto-financés par l'association. Le premier est un projet de centre d'électrification rural à l'aide de panneaux solaires et dont l'inauguration devrait être concrétisée cette année. Il permettrait notamment aux populations de la zone de pouvoir charger leur portable sans avoir à faire des dizaines de kilomètres mais également aux enfants d'avoir de l'électricité pour pouvoir étudier le soir et obtenir de meilleurs résultats. À terme, ce projet pourrait bénéficier à plus de 2000 personnes de 5 villages particulièrement démunis qui pourront utiliser l’électricité de manière permanente et gratuite.
Une étude a également été menée dans la zone rurale de Mahapleu, à l'Ouest du pays, afin de visiter les infrastructures scolaires de la zone : manque d'électricité et d'eau potable, bâtiments en décomposition et surpopulation des salles de classe sont autant de facteurs qui rendent les conditions de scolarisation difficiles et poussent certains élèves à une déscolarisation prématurée. Cette zone particulièrement touchée par la crise politico-militaire de 2010 a vu sa situation se dégrader par rapport au reste du pays et les inégalités s'accroître.
Malheureusement, la question de la finition des projets se pose et les délais ne sont pas respectés faute de ressources. C'est pourquoi nous souhaitons renforcer notre réseau et nous structurer autour de projets d'ampleur financés par des bailleurs. En 2013, nous avons rejoint EWB International en qualité de membre "start-up". En 2014, nous avons participé à un évènement réunissant tous les membres à Washington DC. Aujourd'hui, nous sommes devenus membre de plein droit d'EWB International. Nous avions également loué un stand au Salon international de l'humanitaire en Belgique, Aidexpo, afin de pouvoir rentrer en contact avec des bailleurs européens mais des problèmes de visas nous ont empêché d'être présents...

ISF - Que vous a apporté cette participation à la rencontre organisée par EWB International ?

 

WS et BL - Notre participation à cette rencontre a été une belle opportunité pour nous en ce sens que ce forum nous a servi de cadre pour faire connaître notre organisation ainsi que nos différentes activités. Par ailleurs, nous avons pu rencontrer le président de la fondation Alcoa, une entreprise fournissant de l'aluminium, les responsables d'EWB International et l’ensemble des membres qui ont effectué le déplacement. Il faut dire que cette rencontre était l’occasion pour nous d’assister à des présentations enrichissantes et surtout de développer notre carnet d’adresses. Cependant, nous avons déploré le manque de soutien envers les organisations du Sud notamment celles d’Afrique subsaharienne.

ISF - Quelles sont les futures ambitions de l'association ?

WS et BL - Les questions humanitaires, les problématiques du millénaire avec, entre autres, l’avancée du réchauffement climatique, l’accès à l’eau potable et à l’énergie pour tous, questionnent de façon permanente et graduelle le rôle et la responsabilité des ingénieurs. En effet, face aux graves fléaux et autres catastrophes naturelles dont les causes restent bien souvent inexpliquées, qui sortent donc parfois du domaine du rationnel, les ingénieurs doivent en tout temps et en tout lieu prendre véritablement conscience de leur responsabilité, à savoir prévenir et trouver des solutions permettant d’améliorer les conditions de vie des populations vulnérables. Nous pouvons affirmer qu’il existe d’ailleurs une forte propension à vouloir questionner de plus en plus le rôle des ingénieurs dans la société au regard des grands enjeux et défis actuels.
La principale ambition pour les années à venir est celle de faire connaître Ingénieurs sans frontières -Côte d'Ivoire, notamment en travaillant à son implantation dans les écoles et dans les zones où nous travaillons. Nous souhaitons passer par le biais des délégués étudiants afin d'installer des bureaux dans les écoles d'ingénieurs du pays et qu'ils puissent servir de relai à la parole d'Ingénieurs sans frontières -Côte d'Ivoire. Nous avons commencé ce travail il y a peu et nous nous confrontons au fait que la principale préoccupation des étudiants est l'entrée dans le monde professionnel afin d'obtenir une situation stable à la sortie de l'école, et non les questions de solidarité. Cette situation est renforcée par le fait que la plupart des formations d'ingénieurs ne proposent pas d'enseignements qui mobilisent sur les questions de développement. Elles se contentent d'offrir les connaissances pour être apte à travailler en entreprise. Avec le temps, nous espérons produire les changements de mentalité qui nous permettront d'augmenter le nombre de nos membres et les ressources propres de l'organisation..
 
Ingénieurs sans frontières ‐ Côte d’Ivoire
, « L’ingénierie au service du développement humain et durable... » Site web : www.isf‐ci.org

29 février 2016
Jérémy Billon
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