Imaginer l’ingénieur africain de demain : un témoignage du Burkina Faso
ISF - En quoi les formations du CREPA sont-elles adaptées à la réalité locale ?
Halidou Koanda - Nos formations s’inspirent de résultats de recherche-actions menées sur le terrain : elles tiennent compte des besoins des acteurs, des pratiques et savoir-faire locaux, des atouts et contraintes socioculturels. Ainsi, les technologies développées et promues ne sont pas « high-tech » mais conçues à partir de la créativité des artisans et des matériaux locaux. Dans les pays où nous dispensons ces formations, les acteurs locaux font face à des difficultés d’accès à l’eau potable et au manque d’ouvrages d’assainissement et d’hygiène. Ils attendent des solutions simples et adaptées à leurs capacités. À travers les enseignements du CREPA dans les écoles d’ingénieurs et les universités, nous arrivons à influencer les curricula des ingénieurs et techniciens.
ISF - Pour assurer leur pérennité, les structures de formation proposent des cursus payants. Cela pose-t-il problème ?
H. K. - Cela pose des problèmes d’accès de tous aux connaissances et au savoir. Il est dommage que les opportunités de financement des formations se réduisent au fil du temps. Les écoles d’ingénieurs sont de plus en plus destinées aux étudiants dont les parents ont les ressources suffisantes ; certains parmi les plus brillants sont exclus de la formation faute de moyens. Heureusement, certains pays comme le Burkina Faso offrent des bourses de formation d’ingénieurs, en général destinées aux candidats ayant obtenu d’excellents résultats universitaires. De plus, certaines banques acceptent aujourd’hui d’accorder des crédits aux jeunes pour leur inscription dans les écoles d’ingénieurs.
ISF - Quel est le rôle de l’État burkinabé dans la construction des cursus de formation ?
H. K. - Le rôle de l’État est essentiel dans la construction des cursus d’ingénieurs dans les pays en développement. Il définit les orientations et les priorités en matière de développement, en tenant compte du contexte et des défis au niveau national, régional et mondial : mondialisation, économie libérale, opportunités d’emplois des jeunes diplômés, décentralisation… Mais, force est de constater que le désengagement des États dans le financement d’une école telle que 2iE n’offre plus tellement de possibilité d’influencer les curricula proposés.
ISF - Ces cursus émergent souvent avec l’appui d’acteurs internationaux. Les contenus s’inspirent-ils de ceux du Nord ?
H. K. - De mon point de vue, l’ingénieur africain doit servir le développement de l’Afrique. Dans le secteur de l’eau, il s’agit de satisfaire les besoins actuels en termes d’animation et de structuration d’un service communal de l’eau, d’appui à l’élaboration et à l’application d’une réglementation communale, de gestion des services d’eau et d’assainissement en situation d’urgence. Dans un tel contexte, nous devons dessiner le « portrait robot » de l’ingénieur africain de 2030, pour servir la vision de développement à long terme de l’Afrique. Or, de plus en plus, les cursus proposés sont inspirés du Nord, notamment avec le basculement dans le système Licence/Master/Doctorat. Le problème est qu’ils sont adaptés aux besoins et au contexte du Nord, c’est-à-dire pour servir un système planifié et déjà en place. Ce qui est rarement le cas dans nos pays, caractérisés par une organisation et une planification insuffisantes voire déficientes. Les nouveaux diplômés ne sont pas immédiatement opérationnels et s’insèrent difficilement dans le milieu professionnel..
1. CREPA : Centre de ressources du secteur de l’eau et de l’assainissement, couvrant 17 pays de l’Afrique de l’Ouest et du Centre. Il accompagne le développement de services d’eau potable, d’assainissement et d’hygiène – en priorité pour les populations défavorisées.