Des journées nationales à l'italienne !

A l'occasion des journées nationales d'ISF Italie, qui avaient pour thème "pour une connaissance sans frontières face à la crise des ressources", deux membres d'ISF France ont été échanger avec la fédération italienne. Amélie et Camille reviennent sur ces journées.
Etudiant⋅es français⋅es et italien⋅nes lors du Week-end ISF Italie
ISF Italie

Arrivée à Rome : accueil et découverte d’ISF Italie

Nous avons été chaleureusement accueillies par nos homologues italien·nes. L'évènement a commencé le vendredi après-midi à l'université de Sapienza dans le centre de Rome. Les bâtiments sont historiques et très beaux, notamment le cloître où les étudiant·es prennent leur pause. Un membre de longue date a présenté l'histoire d'ISF Italie : des groupes locaux se sont constitués au sein des universités il y a 20 ans, mais la fédération Ingénieurs sans frontières Italie n'existe que depuis 6 ans.

Des projets internationaux ont ensuite été présentés par les membres y ayant participé. Ils ont lieu dans les domaines que nous connaissons (énergie, eau etc.) sauf en agronomie qui n'est pas considérée comme une science de l'ingénieur en Italie. Un projet à Madagascar avait une visée plus sociale : la construction d'un centre multifonctionnel d'information. Le groupe de Florence a construit des sanitaires dans une prison de la banlieue de Rome avec des détenus.

Nous sommes ensuite parti·es au camping au bord de la mer où se déroulait le reste du week-end. Nous avons pu échanger au dîner avec de nombreu·ses·x membres dont le président. Ce dernier, avec le bureau de l'association jouent plus un rôle de guide. C’est en assemblée générale (2 fois par an) que les décisions sont prises : chaque membre y a un droit de vote. A la fin de la soirée, on nous offre le tee-shirt du week-end sur lequel est dessiné un port avec l'expression « ports ouverts à la connaissance », faisant écho à l'actualité de l'Union européenne et particulièrement aux propos du gouvernement italien sur les migrant·es.

Un week-end d’apprentissages

Le lendemain, nous commençons avec une conférence de John Mpaliza sur l'extraction des terres rares au Congo. John Mpaliza parcourt à pied les écoles et parlements d'Europe pour sensibiliser à ces questions, vous pouvez suivre son itinéraire sur le site peacewalkingman.org. En effet, les conditions de travail dans ces industries sont inacceptables : pas de protection physique, des salaires très faible et de nombreux enfants au travail, ce qui entraîne des maladies et entretient les conflits.

Le manque de traçabilité empêche par ailleurs les constructeur·rices de téléphone de savoir dans quelles conditions ont été extraits le cobalt et le coltan par les entreprises à qui elles et ils les achètent, pour peu que ce soit des préoccupations de l’entreprise – ce qui est rarement le cas. De plus, de nombreux métaux sont exportés au Rwanda et revendus de là-bas. Certaines marques donnent des garanties de traçabilité ou disent ne pas utiliser de coltan, mais ces garanties ne tiennent pas toujours la route.

Beaucoup de travail reste à faire dans ce domaine, notamment en prenant compte de l’impact de nos actions, que ce soit en tant qu’individu·es, en changeant moins souvent de téléphones et en se tournant vers des marques faisant des efforts de responsabilité et de traçabilité, ou en tant que pays, en reconnaissant et mettant un terme au rôle de la France dans l’entretien des conflits dans plusieurs pays d’Afrique. A noter que ce contrôle s’exerce notamment par le maintien du franc CFA.

Nous terminons en chantant tous ensemble Hakuna matata avec la guitare de John. L'expression que nous retenons le plus de lui est « penser sans frontières ».

La journée se poursuit par un café du monde où, par petits groupes, nous analysons des graphiques qui portent sur les ressources minières et fossiles.

Pour faire le plein d'énergie après cette matinée chargée, rien de tel qu’un bon repas ensemble autour de grandes tables !

L'après-midi, nous présentons ISF France, ce qui intéresse beaucoup les participant·es : certain·es nous avaient déjà posé des questions la veille pour connaître nos points communs et différences. Nous avons des salarié·es et des groupes thématiques de professionnel·les alors qu'elles et eux sont uniquement bénévoles et qu'étudiant·es et professionnel·les travaillent ensemble au sein des groupes locaux. Le groupe FéminISF les a particulièrement intéressé. Quelques femmes ont témoigné : des remarques d’un professeur les incitant à être mères au foyer les avaient amené à se questionner sur l’importance d’inclure cette thématique dans leurs réflexions.

Conférence d’Elena Giglia sur l’open science

Elena Giglia, responsable de l’open science à l'université de Turin, a ensuite fait une présentation très dynamique sur le système actuel de publication des articles scientifiques, ses limites, et le fonctionnement du libre accès.

En effet, les citoyen·nes paient aujourd'hui 4 fois l'accès à la connaissance : avec les impôts elles et ils paient le salaire des chercheur·ses, le financement des projets de recherche, l'abonnement des laboratoires aux revues et les droits d'utilisation des articles. De plus, elles et ils paient une 5e fois pour lire un article car il faut l’acheter. Pour se rendre compte de la quantité d'argent public dépensé, l'université de Turin paie chaque année 2,1 millions d'euros d'abonnement ! Alors même que les revues font relire les articles par les chercheur·ses et ne les rémunèrent pas pour ce service ! Elena a comparé le système actuel à un restaurant où il faudrait amener ses ingrédients, cuisiner, et quand même payer bien plus que le couvert et l'utilisation de la cuisine ! De plus, les revues augmentent les prix alors que les budgets alloués par les états pour la recherche et l’enseignement baissent.

En plus de coûter très cher à la société, ce système est lent : 9 à 18 mois s'écoulent entre la soumission et la publication. Cela empêche la recherche d'être accessible quand on a besoin de résultats urgents, en cas d'épidémie par exemple. Elena Giglia cite Jon Tennant ainsi « Le contraire de l'open science n'est pas la science fermée mais la mauvaise science » (traduction française), et les statistiques le montrent depuis plusieurs années : la reproductibilité des résultats diminue tandis que l'auto-citation et le nombre de retraits de données falsifiées ou fabriquées augmentent, particulièrement dans les revues les mieux notées car le jeu en vaut la chandelle ! Le fameux facteur d’impact, qui mesure le nombre de citations d'un article et qui sert à noter les revues, est calculé de manière opaque et non statistique à partir de données non libres.

Une fois la démonstration de la nécessité de changer de système, Elena a exposé les outils qui existent aujourd'hui pour publier en libre accès. Le principal frein est que la recherche est à l’heure actuelle évaluée en se basant sur les revues dans lesquelles les laboratoires publient et que cette évaluation privilégie les revues les plus connues, qui sont payantes et souvent très chères. Cependant, des financeurs comme la Commission européenne commencent à obliger les chercheur·ses des projets H2020 à publier en libre accès. En France, la ministre de la recherche a d’ailleurs lancé un plan sur l'open science en juillet.

Elena imagine un système où il n'y aurait plus de revues mais un seul site internet mondial où les chercheur·ses soumettraient leurs travaux à la critique publique de leurs pairs qui devraient s'identifier pour pouvoir noter les articles. L'évaluation serait alors basée sur cette note et sur le nombre de citations, qui ne serait plus faussé.

Son intervention a convaincu beaucoup de participant·es et a donné envie aux doctorant·es de publier en libre accès. Malheureusement nous n'avons pas eu le temps d'animer un débat mouvant sur le sujet. Elena avait également amené un jeu qu'elle propose à des laboratoires pour imaginer comment organiser l'open science. Nous en avons récupéré un exemplaire avec l'envie de l'animer aux prochaines RESIC car l'open science nous semble incontournable à ISF France : l'ingénieur·e citoyen·ne souhaite partager les connaissances qu'elle ou il produit avec le monde entier et contribuer ainsi à la solidarité internationale.

Clôture du week-end 

Le dimanche matin avait lieu l'assemblée générale pour élire un nouveau bureau. C'était l'occasion pour chaque groupe d'exprimer ses difficultés et ses attentes vis-à-vis de la fédération. Les mêmes problématiques sont rencontrées par ISF France; elle sont plus fortes en Italie du fait de l'absence de salarié·es, notamment du fait de la difficulté à trouver de nouveaux·elles volontaires et à avoir des membres actif·ves longtemps. Quelqu'un·e a utilisé une belle image sur le rôle de la fédération : ISF Italie est un nuage que les groupes locaux alimentent mais qui ne pleut jamais ! Un autre des adhérent·es lui a répondu que la fédération était la somme des groupes locaux donc uniquement des volontaires et que c'était à chacun·e de se demander ce qu'elle·il pouvait faire pour la fédération (comme pour un état !). Les projets communs et les outils à diffuser doivent être proposés et relayés par les groupes locaux, le bureau n'est qu'un guide pour accompagner la volonté des membres. 

Après cette assemblée intense en échanges, nous allons nous vider la tête sur la plage et regrettons de ne pas avoir pris nos maillots car l'eau est bonne ! Nous déjeunons une dernière fois avec tout le monde et les invitons à venir aux prochaines RESIC. Nous avons aussi eu le temps de visiter Rome avec deux membres très sympathiques pour guides qui nous ont très gentiment accueillies chez eux.

Perspectives pour la suite

Nous espérons que ces échanges de membres aux week-ends qui ont lieu depuis plusieurs années continueront et que des projets communs seront mis en place. ISF Italie travaille notamment sur un site internet qui cartographie tous ses projets et permettrait de prendre contact avec les groupes y ayant participé. Ce serait intéressant de faire ce site ensemble pour y intégrer les projets d'ISF France. Cela permettrait par exemple d'unir nos forces sur des problématiques communes comme le projet de ligne de train à grande vitesse entre Lyon et Turin.

19 décembre 2018
Camille Barizien, comité FéminISF et Amelie Dupendant, ISF AgriStA
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