Après la tribune, la lutte

Alors que la France se déconfine, de nombreuses tribunes voient le jour. Tout comme l'ensemble des textes qui ont été produits lors des derniers mois de confinement, elles appellent à un nouveau monde suite à cette crise. Cependant, là où les désirs de changement qu'expriment ces tribunes sont légitimes, une partie d'entre elles présentent des limites et peuvent parfois s'avérer très candides et rester lettre morte.
Cour de récré à Tourcoing au déconfinement
Site internet medias.liberation

Des tribunes qui semblent découvrir les inégalités :

Parmis les nombreux textes publiés ces derniers mois, une partie ne traite que des inégalités qui ont été constatées lors de la crise du Covid-19. Or, ces inégalités étaient déjà présentes, et ont été aggravées en temps de crise. Ne se pencher que sur ces situations précises permettra peut-être à nos sociétés de survivre à des moments extrêmement difficiles, mais il faut aller au-delà si l'on veut parvenir à éradiquer les inégalités pour de bon.

 

Le Covid-19 révélateur des inégalités, vraiment ?

Le Covid-19 a amené dans les médias et dans l'actualité des témoignages de personnes précaires, discriminées et exploitées, que nous ne sommes pas habitué⋅es à entendre. En effet, lorsque tout va bien, ces derniers ne parlent pas des femmes précaires qui travaillent dans la santé, des livreurs à la course, souvent racisés, ou encore des caissières qui ont assurées la distribution en nourriture de toute la population. Or, ces personnes subissaient déjà des discriminations avant la crise, des syndicats et des revendications existaient déjà dénonçant leurs conditions de vie et demandant à leurs patron·nes et aux gouvernements de faire évoluer ces situations. Si le sujet a connu un public plus large, ces inégalités avaient déjà été identifiées par les personnes concernées, par les syndicats et les associations, et avaient déjà été révélées aux décideur·euses politiques. Communiquer sur un coronavirus "révélateur" des inégalités, ou même sur un besoin de lutter contre elles en temps de crise, contribue à masquer les luttes pré-existantes, et qui continueront d'exister.
 

Une bonne occasion pour redistribuer les cartes ? Pas si sûr :

Si l'idée d'utiliser la crise pour faire table rase afin de mieux recommencer peut sembler réconfortant dans un contexte si difficile, les possibilités pour que cette crise se tranforme en opportunité semblent très restreintes. Tout d'abord, une pandémie n'est jamais une bonne nouvelle, car cette dernière détruit des vies, et plus particulièrement chez les plus fragiles et précaires. De plus, rien ne semble présager un changement d'orientation de nos politiques. Ces dernier·ères semblent toujours vouloir faciliter l'enrichissement des plus riches, le maintien du capitalisme, et le système politique qui le permet. Il semblerait même qu'au nom de cette vision de l'économie réduite au profit des capitalistes, la situation puisse être déteriorée. Il va falloir travailler plus pour rattraper le retard, abandonner des jours de congés, accepter des baisses de salaires, etc. Enfin, les meilleures armes que nous avons à notre disposition pour ralentir la propagation d'un virus que nous ne connaissons pas, le confinement et la distanciation sociale risquent de constituer un frein aux mobilisations traditionnelles (manifestations, rassemblements).  Cela a été le cas lors du rassemblement de soutien au comité Adama, représenté par Assa Traoré le 2 juin 2020, durant lequel la police a utilisé l'argument de la santé pulique pour disperser violemment le rassemblement. 

 

Que faire alors ?

Ces constats et critiques vis-à-vis de tribunes ne doivent pas pour autant limiter nos actions et nos possibles. Les tribunes s'appuient généralement sur l'actualité récente pour traiter de sujets politiques et une crise de l'ampleur du Covid-19 devait normalement être à l'origine de nombreux textes. Le besoin d'agir est le même qu'avant la crise, voire plus important, car comme évoqué précédement, certains acquis sociaux se trouvent menacés au nom de la reprise économique. Nous pouvons continuer à nous mobiliser contre les inégalités à travers des propositions ambitieuses. C'est par exemple le cas de la tribune "Plan de Sortie de crise". Mais ce qui fait avancer nos mobilisations, ce n'est pas uniquement les tribunes et les constats. Il est nécessaire de saisir les inégalités aujourd'hui et ce qu'elles impliquent pour ceux et celles qui les subissent, il est urgent de proposer des solutions ou d'en imaginer. Mais plus encore, il est primordial de faire vivre les mouvements qui s'opposent à ces inégalités et qui proposent une autre société. Et ce critère-là, il ne change pas automatiquement suite à une crise. Construire des mouvements, tisser des solidarités, mobiliser et se mobiliser, sensibiliser, produire des outils de sensibilisation, toutes ces tâches nécessitent du temps et des personnes nombreuses qui fassent vivre les luttes. Car s'il existe un élément qui permet le changement, c'est bien le rapport de force. À la sortie de la seconde Guerre Mondiale, la sécurité sociale n'a pas vu le jour grâce aux bonnes intentions de nos dirigeant⋅es mais bel et bien à la mobilisation massive de syndicats et de partis politiques qui avaient gagné en crédibilité par leur participation à la résistance et qui ont pu imposer un agenda de transformation sociale.
 
Pour un peu plus de lecture sur ce sujet, d'autres associations ou collectifs ont publié des articles récemment :
19 juillet 2020
Commission Mouvements Sociaux et Plaidoyer
Thématique 
Catégorie